Intervention de Pierre Fauchon

Réunion du 26 mars 2008 à 15h00
Expérimentation de la gratuité des musées — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Pierre FauchonPierre Fauchon :

Il fallait attendre très longtemps, un jour de semaine, pour accéder à cette exposition. Pour ma part, je fais partie de la Société des Amis du Louvre et j'ai pu entrer directement. Mais les autres personnes devaient attendre près d'une demi-heure pour accéder au musée, puis une autre demi-heure pour parvenir aux oeuvres. Ne soyez donc pas surpris si cette exposition n'intéresse vraiment que des mordus de la culture et de l'art !

Ces difficultés ont pour effet de transformer la visite d'un musée en une action un peu exceptionnelle, une sorte d'obligation culturelle.

Il faut « avoir fait le Louvre » au moins une fois dans sa vie ! Alors, on fait le Louvre, mais dans quelles conditions ? C'est le parcours du combattant pour des centaines de milliers de visiteurs : ils s'arrêtent devant la Joconde, puis parcourent le reste, de salle en salle... Je me demande quel est leur niveau culturel à la sortie.

L'accès gratuit modifie complètement cette relation avec le musée : la démarche n'est plus exceptionnelle, plus ou moins rituelle ; les visites sont beaucoup plus fréquentes, sans doute plus brèves, mais en réalité plus intenses et plus fécondes, parce que plus motivées. Ceux qui le souhaitent vont voir la sculpture romaine, d'autres les jardins, pendant une demi-heure, trois quarts d'heure... Ils ne se sentent pas obligés de tout visiter parce qu'ils ont payé neuf ou dix euros l'entrée.

La gratuité devrait faire en sorte que, pour beaucoup - et le nombre de visiteurs devrait s'accroître au fur et à mesure de l'expérience, qu'il ne faut surtout pas arrêter trop vite - la fréquentation du musée deviendrait une forme de loisir comme une autre, une pratique régulière et non pas exceptionnelle, comme peuvent l'être le sport, la télévision, l'écoute de la musique...

Il me semble que notre vie culturelle s'en trouverait singulièrement enrichie, d'autant que la visite des musées se fait souvent en famille ou en couple, et qu'elle revêt dès lors un caractère convivial qui a sa valeur propre.

La vie culturelle est de plus en plus dominée par la communication moderne, elle-même largement assujettie aux priorités de l'économie marchande, qui bénéficie d'une certaine « gratuité », comme le soulignait M. Valade, mais d'une gratuité assez nocive dans la mesure où celle-ci ne fait que traduire la domination de l'économie marchande sur les médias modernes. C'est le revers de cette pseudo-gratuité !

Il me paraît plus important que jamais de faciliter l'accès du plus grand nombre, et spécialement des familles, à ces sources vives de culture et de spiritualité que sont les oeuvres d'arts plastiques conservées dans nos musées, et dont il n'est pas exagéré de dire qu'elles font partie du trésor de l'humanité.

L'expérience que je viens de vivre, ces jours derniers, de la gratuité du musée de Cardiff, ville de Grande-Bretagne qui n'est pourtant pas de premier plan, m'a étonné : j'ai vu, le dimanche de Pâques, des familles entières se presser au musée ; quel que soit l'âge des enfants, chacun y trouve son intérêt. Quatre ou cinq musées sont regroupés au même endroit. On peut ainsi y rester deux heures, trois heures, ou seulement une demi-heure si on le désire. Cette facilité d'accès rend la démarche tout à fait différente.

J'ai également entendu dire qu'à Buenos Aires, en Argentine, où des membres de ma famille se sont rendus récemment, tous les musées étaient gratuits. Or personne ne trouve ce fait choquant. Le résultat est que l'accès aux musées est beaucoup plus agréable.

Ces exemples vécus montrent que la facilité d'accès au musée modifie en profondeur la relation des visiteurs avec les créations d'arts plastiques. À cet égard, je rappelle que celles-ci présentent l'avantage de surmonter le barrage des langues et des cultures plus élaborées pour atteindre directement la sensibilité de ceux qui y ont accès.

Quels que soient le niveau culturel ou la connaissance des langues, n'importe qui se trouvant en présence d'un Chardin ou, dans un tout autre genre, devant Le sacre de Napoléon par David reçoit un choc devant l'oeuvre. Il n'est pas nécessaire d'avoir une préparation culturelle élaborée, car ces oeuvres d'arts plastiques parlent directement à l'intimité de chacun. Il ne faut pas oublier qu'il s'agit là d'un moyen de communication culturelle important et, au sens profond du terme, populaire.

Je crois pouvoir dire que cette réflexion est également partagée par mon groupe, et je parle sous le contrôle du président Michel Mercier. Je sais toutefois que, dans ses rangs, comme l'a d'ailleurs très bien exprimé M. Valade, il y a des interrogations et des réserves, lesquelles sont particulièrement justifiées dès lors qu'il s'agit de musées très particuliers.

Notre collègue de Bayeux nous a fait observer que la gratuité n'était pas possible pour admirer la tapisserie de Bayeux, qui ne fait d'ailleurs pas partie de ce que l'on appelle la culture générale au sens global du terme. En outre, la ville de Bayeux ne dispose probablement pas des mêmes ressources que l'État pour assurer la gratuité.

Cette remarque vaut aussi pour les expositions particulières, notamment celles du Louvre. J'ai déjà parlé de celle sur la Mésopotamie, pour la critiquer, d'ailleurs. Je la ménagerai en n'y revenant pas, car ce n'est malheureusement pas le sujet qui nous occupe ; sinon, j'aurais beaucoup à dire.

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