Intervention de Serge Lagauche

Réunion du 26 mars 2008 à 15h00
Expérimentation de la gratuité des musées — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Serge LagaucheSerge Lagauche :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l'idée de la démocratisation de l'accès à la culture n'est pas nouvelle. Depuis 1981, les expériences se sont multipliées en ce sens, permettant à un nombre toujours plus important de nos concitoyens d'accéder, au moindre coût, à des institutions culturelles et des pratiques artistiques. La politique en faveur de la modernisation et de la démocratisation des musées date de cette époque.

Les musées français avant 1980, à l'exception notable du Musée national d'art moderne du centre Georges-Pompidou, créé en 1977, étaient dans une situation indigne de la notoriété et de la qualité de leurs collections. Dans ce domaine, la France était très en retard sur ses voisins allemands et britanniques et a fortiori sur les États-Unis : partout des locaux vétustes, une organisation archaïque, une image et une réalité poussiéreuses.

Un quart de siècle plus tard, chacun mesure l'ampleur de l'effort en faveur non seulement de l'équipement et de la modernisation des locaux, mais aussi du fonctionnement, de la diffusion et de l'ouverture vers tous les publics. Cet effort fut, au début des années quatre-vingt, d'abord le fruit de la volonté de François Mitterrand, à l'origine des grands projets : le Grand Louvre, la Cité des sciences, la Cité de la musique, l'Institut du monde arabe, le Musée d'Orsay ...

Cette forte volonté politique a bientôt été suivie et largement relayée par les collectivités territoriales, les maîtres d'ouvrage faisant le plus souvent appel, pour les bâtiments, à des maîtres d'oeuvre de grande qualité : à Paris, Ieoh Ming Pei, Jean Nouvel ou Christian de Portzamparc ; à Villeurbanne, Mario Botta ; au Mont Beuvray, Pierre-Louis Faloci ; à Vassivière, Aldo Rossi

Le succès a dépassé les espérances, et les principales réalisations à Paris comme en région font références dans le monde entier. Dans la période 1980-2000, la fréquentation globale de nos musées a explosé.

Si je me suis attardé quelques instants sur cette période fondatrice pour le renouveau des musées français, c'est pour démontrer que la gratuité n'est pas une fin en soi sans une réelle politique de développement des musées et de mise en valeur des collections. La véritable démocratisation passe par là et non pas seulement par une politique tarifaire.

Cependant, le coût d'entrée dans les institutions culturelles et dans les musées constitue désormais une dépense non négligeable pour un citoyen et sa famille désireux de profiter des collections publiques ou privées, le plus souvent aux alentours de 10 euros par personne. L'aménagement des tarifs pleins des musées pour favoriser l'accès d'un public plus diversifié est une question qui doit nourrir le débat sur la démocratisation de l'accès à la culture.

Depuis une décennie, les élus ont pris conscience de l'importance de ce débat.

Ainsi, dans son programme à l'élection présidentielle, le candidat Nicolas Sarkozy avait lancé l'idée d'instaurer la gratuité dans les musées ; le coût de cette mesure était alors estimé entre 150 et 200 millions d'euros. Cette idée, reprise au titre d'une « expérimentation » par François Fillon dans son discours de politique générale, a été concrétisée et officiellement présentée par vous, madame la ministre, lors d'une conférence de presse, le 23 octobre 2007, pour mise en oeuvre de l'« expérimentation » du 1er janvier 2008 au 30 juin 2008.

La gratuité dite « expérimentale » concerne ainsi quatorze musées français répartis sur l'ensemble du territoire et quatre musées parisiens pour les seuls 18-26 ans, un soir par semaine de dix-huit heures à vingt et une heures.

Il est quelque peu surprenant de faire autant de bruit autour de cette expérimentation et de prétendre en faire une politique novatrice et ambitieuse. Il y a un peu plus de quarante-cinq ans, le 15 décembre 1960, l'UNESCO adoptait la « Recommandation concernant les moyens les plus efficaces de rendre les musées accessibles à tous ».

Ce texte reconnaissait aux musées un rôle en matière de contribution « à la vie intellectuelle et culturelle de la population » et une « mission éducative permanente » et demandait qu'y soient développés des « services éducatifs ».

Il préconisait en outre une meilleure accessibilité aux musées « par toutes les catégories de la population » et recommandait que des dispositions soient prises pour « permettre, dans la mesure du possible, l'entrée libre dans les musées », précisant que, « à défaut de la gratuité permanente [...], l'admission dans chaque musée devrait être gratuite au moins un jour [...] par semaine. ».

En pratique, depuis une dizaine d'années, la gratuité dans les musées fait, un peu partout en France, mais aussi à l'étranger, l'objet de nombreuses expérimentations selon diverses formules : elles concernent différents publics, des horaires spécifiques Il ne s'agit donc aucunement d'une politique novatrice dans le secteur culturel.

Je m'attarderai quelques instants sur les exemples d'expérimentation de gratuité d'accès aux musées les plus parlants.

Faisant suite à une expérience de même type d'ouverture gratuite de cent monuments nationaux en octobre 1999, Catherine Trautmann, alors ministre de la culture du gouvernement Jospin, avait pris la décision d'ouverture gratuite des trente-quatre musées nationaux - vingt-trois en Île-de-France et onze en régions - le premier dimanche de chaque mois, à partir de janvier 2000.

Un an après, le bilan tiré de cette expérience de gratuité faisait apparaître une hausse moyenne de la fréquentation de 46 % par rapport à l'année précédente.

Ces musées nationaux sont, depuis lors, demeurés ouverts gratuitement à tous les publics le premier dimanche de chaque mois.

Le plan Sarkozy-Albanel constitue en réalité une extension du plan Trautmann, qui avait lancé une réelle gratuité, pour tous les publics, dans les musées nationaux.

Une expérience semblable a été mise en place par la ville de Paris : la gratuité d'accès aux collections permanentes des musées de la ville est ainsi effective depuis décembre 2001.

Ici encore, la ville de Paris affiche des chiffres de fréquentation en forte hausse ; celle-ci serait passée de 537 000 visiteurs en 2001 à 761 000 en 2005.

La satisfaction du public semble également au rendez-vous, puisque, selon une enquête menée par la ville de Paris, 73 % des personnes interrogées déclarent être « satisfaites » de l'instauration de cette gratuité. Néanmoins, 12 % des sondés n'ont pas entendu parler de l'opération de gratuité dans les musées de la ville de Paris.

La contrepartie d'une telle politique réside néanmoins dans le coût de celle-ci. À Paris, l'expérience de la gratuité des musées de la ville a été estimée à 400 000 euros. Je tiens à souligner que la gratuité dans les musées de la ville de Paris ne constitue pas une opération anodine, puisque les collections des musées concernés constituent les premières collections publiques de France après celles de l'État. Ainsi, le Petit Palais, dont l'accès aux collections permanentes est désormais gratuit, a exposé 1 300 oeuvres depuis le début de l'expérimentation.

En province, de nombreuses collectivités territoriales sont extrêmement dynamiques, malgré la réduction drastique des crédits d'intervention et des crédits déconcentrés depuis quelques exercices : baisse de 5 % des crédits destinés au patrimoine et stagnation, au sein de ces crédits, de ceux qui sont spécifiquement destinés au patrimoine des musées, pour le seul exercice budgétaire de 2008.

Je ne pourrai citer ici l'ensemble des expériences provinciales menées en matière de gratuité dans les musées. Je saluerai néanmoins les initiatives conduites à Dijon, où l'accès aux collections permanentes des musées municipaux est gratuit depuis le 1er juillet 2004.

De même, les huit musées départementaux de l'Isère sont devenus gratuits depuis le 2 janvier 2004 à la suite d'un vote du conseil général. On pourrait encore citer les exemples de gratuité des musées municipaux de Caen, de Sceaux ou de Saint-Brieuc.

Chez nos voisins européens, les expériences de gratuité se multiplient également. Ainsi, au Royaume-Uni, la gratuité est de mise depuis 2001 pour l'accès aux collections permanentes des musées. La fréquentation des musées de ce pays serait passée de 24 millions de visiteurs en 1997-1998 à 39 millions en 2006.

La hausse de la fréquentation doit cependant être relativisée. Les chiffres que je viens de citer doivent être pris avec précaution : les experts estiment que l'effet d'aubaine joue les premiers mois, mais surtout que la hausse de fréquentation signifie non pas un renouvellement du public, mais une fréquentation accrue, du fait de la gratuité, des publics habitués.

L'objectif de démocratisation de la culture par l'instauration de la gratuité ne serait-il alors qu'un miroir aux alouettes ? Celle-ci ne favoriserait-elle qu'un public déjà éduqué, issu de catégories socioculturelles favorisées ?

Déontologiquement, on peut donc doublement s'interroger sur le bien-fondé de l'accès gratuit aux musées et à la culture en général.

D'aucuns estiment, à juste titre, que la culture a un coût et que le public consommateur de cette culture doit en prendre conscience. En acquitter le prix par un droit d'entrée ou d'usage participe de cette prise de conscience.

Concevoir un musée comme un simple lieu de passage, c'est oublier qu'il abrite des personnes travaillant à la conservation des collections, à la restauration d'oeuvres, à la publication d'écrits et qu'il doit s'enrichir en permanence par l'acquisition de nouvelles oeuvres.

Je ne veux pas relancer une polémique qui nous a récemment divisés au sein de cette assemblée. Je rappellerai cependant que c'est une certaine vision de la gratuité de la culture qui conduit des personnes mal informées à télécharger illégalement en ligne des oeuvres culturelles - films et musique -, générant l'idée que l'accès à la culture doit être gratuit, et ce au mépris du droit des auteurs, de leur juste droit à rémunération pour le fruit de leur travail.

La gratuité dans les musées est une arme à double tranchant. On peut donc légitimement s'interroger sur la pertinence d'une gratuité intégrale. Des politiques de gratuité à application ciblée se justifient : on peut ainsi très bien imaginer la mise en place de la gratuité pour seulement certaines catégories de visiteurs.

Je ne reviens pas sur les catégories bénéficiant toujours au moins d'un tarif préférentiel, tels les chômeurs, les étudiants ou les séniors pour lesquels la gratuité d'accès doit être généralisée.

On pourrait cependant envisager de favoriser les visiteurs nationaux dont les collections des musées constituent le patrimoine commun, financé par leurs impôts. Dans de nombreux pays, des tarifs préférentiels, voire la gratuité, ont été instaurés pour les seuls nationaux.

Les étrangers constituent la plus grande partie des visiteurs, soit environ 70 % du public fréquentant les musées. Ils ne contribuent pas, par leurs impôts, au fonctionnement des musées.

En grossissant un peu le trait, on peut estimer qu'exonérer de droit d'entrée les touristes étrangers dans les musées reviendrait, dans de nombreux cas, à contribuer indirectement au financement des tours opérateurs !

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