Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer l'initiative du président Jacques Valade, qui nous a permis d'ouvrir un débat passionnant sur l'expérimentation de la gratuité dans les musées et sur l'accès de tous à la culture.
Depuis une vingtaine d'années, les musées connaissent un regain d'intérêt du public. On a même pu parler d'une « fièvre des musées », s'expliquant par la rencontre de plusieurs éléments : l'essor du tourisme, la modernisation des musées, qui ont donné d'eux-mêmes une nouvelle image, grâce au développement d'une plus grande diversité d'activités culturelles, pédagogiques et commerciales.
Les programmations événementielles et les opérations telles que La Nuit des musées ont également contribué à cette évolution très positive.
En 1985, 9 millions de personnes visitaient les musées nationaux. Cette fréquentation est passée à 15 millions de visiteurs en 2002 et à près de 24 millions de visiteurs en 2007. Elle a augmenté de 8 % en 2007 par rapport à 2006.
On a pu penser que cette embellie s'accompagnait d'une diversification des publics. Cependant, les analyses de statistiques de fréquentation ont fait tomber bien des illusions sur ce point.
En effet, on assiste à une intensification des rythmes de visites des publics en place plutôt qu'à la conquête de nouveaux publics. Le chiffre de fréquentation de publics en difficulté sociale reste désespérément bas. Or les musées constituent un formidable outil d'éducation populaire, qui participe à la lutte contre les inégalités, l'exclusion et l'isolement. Comme le disait André Malraux, « le musée est un des lieux qui donnent la plus haute idée de l'homme ».
L'accès à la connaissance, à l'éducation, au plaisir de la découverte des oeuvres doit être ouvert au plus grand nombre. Il faut donc étudier l'ensemble des voies possibles pour donner aux musées toute leur place dans une politique de démocratisation culturelle.
Je me réjouis que le Gouvernement, conformément aux engagements figurant dans le projet présidentiel, ait décidé de trouver des solutions pour attirer de nouveaux visiteurs vers l'art et la culture.
Dans un premier temps, celui-ci souhaite évaluer l'impact de la gratuité sur la fréquentation des musées nationaux. Cette expérimentation se justifie au regard des politiques menées par nos voisins : plusieurs pays, dont le Royaume-Uni, ont choisi depuis quelques années de rendre leurs musées gratuits pour tous.
La gratuité des musées est un sujet complexe, qui suscite, à juste titre, un vaste débat. La gratuité peut-elle suffire à attirer de nouveaux publics ? Quels avantages et quels inconvénients présente-t-elle ? Ne risque-t-elle pas de bouleverser l'équilibre financier des musées ?
Par ailleurs, peut-on appliquer la gratuité à l'ensemble des musées nationaux alors qu'ils diffèrent les uns des autres par leur taux de fréquentation, la nature de leur public ou le poids de leurs recettes ?
J'ai bien noté, madame la ministre, votre volonté de tenir compte, dans cette expérimentation, de la diversité des musées français puisqu'un double dispositif a été mis en place : l'accès totalement gratuit aux collections permanentes de dix musées à Paris et en province, et l'accueil gratuit des jeunes de 18 à 26 ans, un soir par semaine, dans quatre grands musées parisiens.
La question de la gratuité doit, en effet, être traitée différemment selon le type de musée : musée de province ou grand musée à forte popularité internationale. Les jeunes représentent un public spécifique.
Je souhaite évoquer les premiers résultats de l'expérimentation, communiqués en février. Les chiffres montrent une augmentation de la fréquentation, avec une hausse de 50 % sur les dix musées et de 100 % sur les quatre grands musées parisiens.
Cependant, il est encore trop tôt pour savoir si la gratuité a attiré de nouveaux publics. De plus, les premiers chiffres sont à relativiser puisqu'ils ne laissent en rien présager le comportement des visiteurs sur la durée.
J'évoquerai donc les études antérieures puisque la gratuité, d'abord prévue au musée du Louvre pour le premier dimanche de chaque mois, a été étendue en 2000 à l'ensemble des musées nationaux. Cette mesure a augmenté notablement la fréquentation de ces musées.
Mais l'on n'a pas vu clairement dans cette hausse de la fréquentation la traduction d'un élargissement des publics. Il semble que l'offre de gratuité touche surtout le public déjà habitué à fréquenter les musées. Une enquête du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie, le CREDOC, concernant les dimanches gratuits du musée du Louvre, confirme la faible évolution de l'origine sociale des visiteurs ce jour-là.
De même, une étude dirigée en 2007 par le département des études, de la prospective et des statistiques vient renforcer ce sentiment : selon les conclusions de cette étude, la gratuité ne crée pas l'envie de consommer de la culture, et moins encore pour ceux qui n'ont pas connu d'expériences satisfaisantes en la matière.
Malheureusement, la gratuité risque de n'apporter qu'une réponse partielle à la question de l'élargissement des publics. Nous nous trouvons face à une problématique plus complexe qu'il n'y paraît. Il me semble que le problème doit être pris sous un autre angle.
Pour les publics les plus défavorisés, les populations immigrées ou les jeunes habitant dans des quartiers difficiles, le musée est un lieu ennuyeux et sans vie, qui fait partie d'un autre monde. Même sans appartenir à un milieu très défavorisé, nombreuses sont les personnes qui voient dans le musée un sanctuaire destiné à ceux qui disposent déjà d'une culture artistique. Accorder la gratuité ne peut modifier cet état d'esprit.
La familiarisation avec les musées doit commencer dès l'école, la France ayant un véritable retard à rattraper en matière d'enseignement, de sensibilisation et de pratiques artistiques en milieu scolaire.
L'action que vous menez, madame la ministre, avec M. Xavier Darcos, en mettant en oeuvre un plan gouvernemental de développement de l'éducation artistique et culturelle, peut être déterminante pour donner l'envie aux jeunes de pousser la porte des musées.
Suivant les préconisations du rapport Gross de décembre dernier, vous prévoyez, notamment, la fréquentation des institutions culturelles par le public scolaire et un enseignement de l'histoire des arts depuis le primaire jusqu'au lycée ; je tiens à vous féliciter de cette initiative.
Pour tous ceux qui n'ont plus l'âge d'aller à l'école, l'action menée par les musées est essentielle. Je pense, par exemple, aux tarifs préférentiels, à la présence de guides, à l'aide à la visite et à l'information des visiteurs.
Le recours aux nocturnes a déjà montré son efficacité pour attirer des publics qui apprécient de pouvoir visiter ces lieux autrement ou qui n'ont pas le temps de venir à d'autres moments.
Diverses pistes sont à explorer, tels les billets permettant de revenir pendant une période déterminée ou donnant l'accès à d'autres lieux culturels, l'organisation de journées exceptionnelles et de manifestations dans et hors de l'enceinte des musées. En modifiant l'offre, on peut peut-être modifier le profil du visiteur.
Par ailleurs, la gratuité représente un coût considérable. Il est nécessaire d'évaluer ce coût et d'étudier toutes les conséquences financières qui découleraient du choix d'une gratuité plus ou moins élargie.
Les musées connaissent des frais importants de conservation, de restauration, de publication, d'une part, et des frais de fonctionnement, d'autre part.
Le Gouvernement pourra-t-il faire le choix de la gratuité dans un contexte budgétaire contraint ? En outre, n'est-il pas regrettable de laisser échapper les recettes du tourisme ? Les touristes ne sont pas les publics que nous voulons atteindre, mais ils seront les premiers à profiter de la gratuité.
Enfin, comme l'a souligné le président Jacques Valade, peut-on réellement prévoir les effets de la concurrence entre les musées gratuits et ceux dont l'accès restera payant ?
Il faut également s'interroger sur le concept même de gratuité.
Madame la ministre, vous luttez contre le piratage et l'image donnée par Internet d'un accès libre et gratuit aux oeuvres culturelles. Cette lutte passe par toute une pédagogie en direction du public, notamment les jeunes, afin qu'il reconnaisse que l'accès à une oeuvre musicale ou cinématographique a un coût. Pourquoi adopterait-on un autre discours en ce qui concerne l'accès aux musées ?
Je me réjouis qu'avec l'avis favorable du Gouvernement la commission des finances du Sénat ait prévu, lors de la discussion du projet de budget pour 2008, la remise d'un rapport dans les neuf mois, associant ainsi les parlementaires à l'analyse des résultats de l'expérimentation. Ce rapport précisera les coûts de l'expérimentation pour les établissements concernés, ainsi que la composition du public accueilli.
Notre débat d'aujourd'hui montre, me semble-t-il, que les réponses à apporter sont multiples et que le sujet exige une très large réflexion.
Comme vous l'avez souligné lors de votre présentation du dispositif au musée national du Moyen Âge, madame la ministre, nous rêvons tous d'attirer plus largement les publics vers les lieux de culture, de leur donner envie d'en pousser les portes.
Notre groupe salue votre détermination à mener à bien ce projet.