Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d'abord remercier le président Jacques Valade d'avoir suscité un débat particulièrement intéressant.
Cette question de la gratuité des musées prend un relief tout particulier à la veille des cinquante ans du ministère de la culture, à la lumière des grandes missions fondatrices que lui avait assignées André Malraux, notamment celles de rendre accessibles les oeuvres capitales de l'humanité, et d'abord de la France, au plus grand nombre possible de Français, d'assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel et de favoriser la création des oeuvres de l'art et de l'esprit qui l'enrichissent.
C'est dans cet esprit que la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France a défini les missions des musées. Elle a précisé leur rôle social et éducatif, et les a intégrés dans une réelle logique de décentralisation afin qu'ils deviennent de véritables acteurs de la démocratisation de la culture.
La politique des musées de France se déploie selon quatre axes majeurs : protéger et enrichir le patrimoine, faire progresser la connaissance et mieux la transmettre, au travers notamment d'une politique d'éducation artistique et culturelle, aménager le territoire et enrichir l'offre muséale, développer les coopérations européennes et internationales.
Grâce à l'implication forte de l'État et des collectivités territoriales depuis plusieurs décennies, nos musées ont considérablement évolué, ainsi que tous les orateurs, en particulier M. Pierre Bordier, l'ont souligné.
Les Français aiment leurs musées ; huit sur dix les admirent, les trouvent utiles ou savants, et plus de sept sur dix les associent aux idées de plaisir, de détente et d'émotion, même si l'on peut toujours souhaiter attirer les trois réfractaires qui ne les associent pas à cette idée de plaisir !
Les chiffres de fréquentation traduisent cette attractivité et l'on ne peut que s'en réjouir. Ainsi, 49 millions de visiteurs ont franchi les portes des musées de France en 2006, dont 24, 5 millions celles des musées nationaux. Ces excellents chiffres se confirment en 2007, puisque les musées nationaux ont connu une fréquentation de plus de 25 millions de visiteurs.
Ainsi, les musées sont devenus plus accessibles sans pour autant perdre de leurs exigences scientifiques ni, évidemment, se réduire à un simple lieu de loisir.
Ils sont devenus des vecteurs attractifs d'accès à la connaissance grâce à une mutation profonde non seulement dans leur conception muséographique, mais aussi dans leur rapport au public avec l'apparition de véritables services culturels. Ils ont su proposer de nombreux outils de médiation adaptés à la diversité des publics, comme des visites-conférences, des livrets pour les familles, et font appel aujourd'hui aux nouvelles technologies pour développer des sites internet et des audioguides plus performants.
La valorisation des collections passe aussi, désormais, par l'édition de produits dérivés, la création de boutiques et de librairies qui, souvent, sont des relais au plaisir : quand on sort d'une exposition, on a envie de la prolonger en faisant un achat en rapport direct avec ce que l'on a vu.
Le musée est devenu un lieu de vie où l'on peut aussi se restaurer et parfois même assister à des colloques, des concerts ou des spectacles qui font écho à la programmation scientifique.
De grands progrès ont été accomplis pour que les publics, et tout particulièrement les jeunes, s'approprient nos musées. Sur ce dernier sujet, nous comptons évidemment beaucoup sur l'application des préconisations du rapport sur l'éducation artistique et culturelle, qui a donné lieu au plan que Xavier Darcos et moi-même avons annoncé voilà maintenant quelques semaines.
La politique tarifaire est, bien évidemment, un levier essentiel pour l'augmentation et la diversification des publics. La construction des grilles tarifaires des musées est faite dans un souci d'équité, à l'intersection de deux enjeux importants et qui pourraient paraître contradictoires : l'accès à la culture, dont Pierre Fauchon a souligné l'immense importance pour tous, et la nécessité pour chaque établissement de développer ses ressources propres afin de compléter son financement sur fonds publics et ainsi contribuer à limiter la pression fiscale. On ne saurait oublier la portée symbolique des mesures tarifaires, en particulier pour le public national et le public local de proximité.
La loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France précisait que « les droits d'entrée des musées de France sont fixés de manière à favoriser leur accès au public le plus large ». Dans les musées de France relevant de l'État, les mineurs de dix-huit ans sont exonérés du droit d'entrée donnant accès aux espaces de présentation des collections permanentes. La loi réaffirme ainsi son attachement aux valeurs de démocratisation et d'ouverture à tous les publics, en particulier au jeune public de moins de dix-huit ans.
Je souligne que la politique tarifaire proposée par les musées nationaux prévoit déjà de nombreuses exonérations ainsi que des tarifs réduits et la gratuité pour les catégories de publics les plus défavorisées socialement et économiquement, c'est-à-dire les chômeurs, les bénéficiaires du RMI, les titulaires du minimum vieillesse, les personnes handicapées.
Les tarifs réduits, enfin, existent pour les titulaires d'une carte de réduction de famille nombreuse et les visiteurs acquittant le droit d'entrée avec des chèques-vacances.
De nombreuses formules d'abonnements permettent également de venir et de revenir dans les musées. Ainsi que M. Pierre Fauchon l'a souligné, il est important que les amateurs puissent voir tantôt une chose, tantôt une autre, et revenir plusieurs fois, ce que permettent les formules d'abonnements qui sont aujourd'hui très répandues.
Je rappelle aussi que les musées nationaux sont ouverts le premier dimanche de chaque mois depuis janvier 2000. Cette mesure, très populaire, favorise la visite des jeunes, des familles mais aussi de la population active dans son ensemble.
Par ailleurs, la première visite dans un musée se fait souvent ce jour-là.
Ces mesures, qui sont appréciées des Français, notamment la gratuité pour les moins de dix-huit ans, devraient être mises en oeuvre, en application de la loi relative aux musées de France, dans l'ensemble des musées nationaux, tous ministères confondus : défense, éducation nationale, recherche et enseignement supérieur.
Je me réjouis que le ministère de la culture et de la communication se soit trouvé aux avant-postes en matière de tarification pour les plus défavorisés. Je constate, par ailleurs, que de nombreuses collectivités territoriales ont également décidé, de manière autonome, d'appliquer des mesures tarifaires similaires.
La question de la gratuité est évidemment au coeur de la politique tarifaire. L'accès gratuit aux collections des musées nationaux fait l'objet d'un débat déjà ancien. Ainsi, dès la création du Museum central des Arts, la Convention adopte sans discussion le principe de la gratuité, et ce pour deux raisons que je tiens à rappeler : en premier lieu, les collections publiques issues des confiscations de la Révolution constituaient une propriété collective appartenant à tous et à chacun ; en second lieu, le musée devait être destiné aux étudiants et aux artistes.
Jusqu'aux années 1890, le principe de la gratuité des musées est acquis, les vertus éducatives des musées s'inscrivent dans la lignée des principes de l'école publique, laïque et gratuite, chers à Jules Ferry, selon lequel « si c'est à l'école que l'enfant et l'ouvrier reçoivent l'enseignement, c'est surtout au musée qu'ils trouvent l'exemple ». Le principe de la gratuité des musées était alors le corollaire du principe républicain de la gratuité de l'enseignement public.
Le débat sur le bien-fondé d'un droit d'entrée dans les collections nationales surgit en 1896, au moment de la création de la Caisse des musées nationaux, l'ancêtre de la Réunion des musées nationaux. Le premier argument avancé par les partisans de l'instauration du droit d'entrée réside dans l'obligation de développer de nouvelles ressources et pose la question du musée en tant que service public. La commission parlementaire chargée d'instruire le dossier réalise une enquête auprès des musées européens qui, pour la plupart, percevaient alors des droits et appliquaient la gratuité le dimanche.
De longs débats parlementaires s'ensuivent, opposant violemment - déjà à l'époque ! - les partisans de la gratuité à ceux qui souhaitaient voir appliquer un droit d'entrée. Le fait que l'entrée payante du musée permettrait d'éloigner les vagabonds était souvent évoqué. Devant la Chambre, Clemenceau avait riposté à cet argument : « Ils regardent avec une douloureuse stupeur les toiles que le hasard a mis devant eux. Laissez rêver les pauvres, ouvrez les portes plus grandes encore si vous pouvez, au lieu de songer à les fermer ! »...