Intervention de Christine Albanel

Réunion du 26 mars 2008 à 15h00
Expérimentation de la gratuité des musées — Discussion d'une question orale avec débat

Christine Albanel, ministre :

D'autres estimaient que l'État n'avait pas de raison de prendre en charge les loisirs de « la clientèle cosmopolite de l'agence Cook », désignant ainsi les ancêtres des touristes d'aujourd'hui. Ces débats contradictoires, qui ont abouti à de nombreuses mesures de gratuité, vont se poursuivre longtemps, s'ils ne se poursuivent pas encore.

Mais, à l'heure des audits, des études et des enquêtes d'évaluation, il devrait nous être possible de mieux percevoir les enjeux sociaux, économiques et symboliques de ces mesures. À la demande de la direction des musées de France, la DMF, une enquête nationale exhaustive a été conduite en 2004 auprès des 11 173 musées de France, alors qu'une enquête générale a été réalisée par le CREDOC - cela a été rappelé - auprès d'un échantillon de 6 000 Français de plus de 18 ans. Les résultats nous permettent d'aborder la problématique de la tarification des musées, grâce à une meilleure connaissance des pratiques culturelles de nos concitoyens.

La politique tarifaire au sein des musées de France est très variée. À côté de la gratuité totale dans certains musées, une large gamme de tarifs réduits et de gratuités partielles est proposée pour certains types de publics : jeunes, étudiants, scolaires, chômeurs. Il faut préciser aussi que les droits d'entrée des musées de France restent, dans l'ensemble, peu élevés - même si on peut les trouver trop importants -, allant de 3 à 10 euros au maximum, par rapport à d'autres institutions culturelles, notamment celles du spectacle vivant.

La gratuité totale, hors expositions temporaires, concerne 15 % des musées de France, des petits ou moyens musées en général, mais aussi ceux de la Ville de Paris et d'autres collectivités territoriales qui ont instauré la gratuité d'accès à leurs collections permanentes : Bordeaux, Caen, Dijon ou encore le département de l'Isère, par exemple.

La gratuité totale est moins fréquemment appliquée que la gratuité partielle ou ciblée comme, par exemple, un jour par mois, par semaine, pour les enfants ou les jeunes, ou bien encore pour les publics les plus défavorisés. Ainsi, un peu moins d'un musée sur cinq, soit 21 %, offrent un jour de gratuité totale par mois et, à l'opposé, 19 % des musées sont totalement payants et ne proposent aucune formule de gratuité, quels que soient les publics.

Le sujet de la gratuité revêt donc des formes diverses et s'avère, de ce fait, complexe. Les débats sont souvent contradictoires quant aux effets directs et indirects des droits d'entrée sur la fréquentation et l'élargissement des publics, les expériences différant parfois d'un établissement à l'autre et d'un pays à l'autre.

La comparaison avec des musées d'autres pays peut alimenter la discussion à l'échelon international. Les différents orateurs ont mentionné à juste titre les récentes déclarations sur la gratuité des musées britanniques ainsi que l'annonce d'une semaine de gratuité en 2008 pour les grandes institutions culturelles britanniques subventionnées du spectacle vivant, du café-théâtre au Royal Opera House à Londres.

Il faut nuancer l'interprétation des chiffres concernant l'augmentation de la fréquentation liée à la gratuité des musées nationaux britanniques, ainsi que cela a d'ailleurs été souligné par M. Lagauche. Des résultats qui semblaient très performants, avec 83 % d'augmentation de la fréquentation, ne concernaient en fait que cinq musées : le Science Museum, le musée d'histoire naturelle, le musée des sciences et de l'industrie de Manchester, un musée zoologique et le musée national de Liverpool. Les autres musées nationaux britanniques n'ont enregistré qu'une petite augmentation de leur fréquentation de 5 %, voire une diminution de l'ordre de 10 % à 25 %, comme dans le cas de la National Gallery.

Je tenais à rappeler ces éléments pour replacer le débat de la gratuité dans son contexte : la démocratisation de l'accès à la culture est un objectif absolument majeur pour le Gouvernement, et il importe donc de choisir les bons leviers pour attirer de nouveaux publics.

Dans son discours de politique générale, le Premier ministre avait demandé que soit conduite une expérimentation de la gratuité sur un échantillon d'établissements situés à Paris et dans les régions. Le but était de connaître l'impact réel du prix sur la fréquentation, mais aussi sur la diversification des publics de nos musées : la fréquentation augmente-t-elle dans un contexte de gratuité et, si oui, dans quelle proportion ? La gratuité permet-elle d'attirer de nouveaux publics et, dans l'affirmative, lesquels ?

Pour répondre à ces questions, il fallait définir un échantillon d'établissements qui soit représentatif du paysage muséal français. Ce paysage est très divers et il semble évident que les enjeux de la gratuité ne sont pas les mêmes pour un grand musée national, qui connaît déjà des records de fréquentation et rencontre parfois des problèmes du fait de cette fréquentation, ou pour un établissement plus confidentiel. Il n'était en aucun cas ni possible ni souhaitable d'appliquer arbitrairement la gratuité totale à l'ensemble des musées nationaux.

Deux dispositifs d'expérimentation de l'accès gratuit aux collections permanentes ont donc été conçus : la gratuité totale pour tous dans quatorze musées et monuments nationaux dépendant du ministère de la culture mais aussi d'autres ministères - défense, enseignement supérieur et recherche - et la gratuité pour les jeunes de 18 à 25 ans dans quatre grands établissements parisiens, un soir par semaine, de 18 à 21 heures. Cette expérimentation a débuté le 2 janvier et s'achèvera à la fin du mois de juin. Le suivi journalier de la fréquentation et l'enquête de public ont été confiés à un prestataire extérieur, qui bénéficiera de l'expertise de la direction des musées de France et du département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la culture.

Le choix des quatorze établissements qui expérimentent la gratuité totale s'est inscrit dans une réflexion d'ensemble sur le pilotage des musées et des monuments nationaux. L'échantillon proposé couvre l'ensemble du territoire - nous en avons, évidemment, informé les élus locaux - et concerne des musées qui attirent une part limitée de visiteurs étrangers ; bien sûr, le problème de la gratuité se pose dans des termes particuliers pour un établissement comme le château de Versailles, par exemple, qui accueille 75 % de visiteurs étrangers. Il traduit aussi la grande variété des collections nationales, qui couvrent un champ chronologique et scientifique large, de la préhistoire, avec le musée d'archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye, aux collections contemporaines exposées au château d'Oiron, en passant par le Moyen Âge célébré au musée de Cluny, la Renaissance au musée d'Écouen, sans oublier les souvenirs des sacres royaux au palais du Tau à Reims, ni les trésors de l'Asie exposés au musée Guimet.

Pour répondre à votre interrogation, monsieur le président Valade, nous avons également tenu compte du contexte local, afin de ne pas créer de situation de concurrence déloyale entre les musées d'un même territoire. C'est ainsi que le choix du musée Adrien Dubouchet de Limoges s'explique par le fait que le musée municipal de l'Évêché est déjà gratuit et connaît une fréquentation supérieure à celle de notre musée national. Nous avons retenu le musée Magnin de Dijon pour les mêmes raisons : tous les musées municipaux de la capitale bourguignonne sont, en effet, d'ores et déjà gratuits.

L'autre dispositif concerne l'expérimentation de la gratuité pour les jeunes de 18 à 25 ans dans quatre grands établissements parisiens un soir par semaine : le Centre Georges-Pompidou, le musée du Louvre, le musée d'Orsay et le musée du quai Branly.

Le suivi est assuré en interne par les directions des publics des établissements concernés : une enquête quantitative est mise en place avec les dispositifs de chaque site.

Pour la dimension qualitative, une enquête est lancée en collaboration avec le master « affaires publiques » de l'institut d'études politiques de Paris. Cette dernière étude analysera les effets de la gratuité en termes d'attractivité, d'image, de pratiques, d'effets de transfert d'un équipement à l'autre.

Nous sommes dans le troisième mois de l'expérimentation : les premiers chiffres dont nous disposons confirment déjà la complexité de l'analyse. Pour les mois de janvier et de février, la fréquentation des quatorze établissements qui expérimentent la gratuité totale s'élève à 314 856 visiteurs, soit une progression de 65 % par rapport à l'année dernière. Cependant, on observe une certaine variabilité selon les sites, puisque cette progression varie de 20 % au musée Guimet jusqu'à 345 % au palais Jacques Coeur - mais il est vrai que, dans ce dernier cas, on ne partait pas de chiffres de fréquentation considérables !

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