Intervention de Christine Albanel

Réunion du 26 mars 2008 à 15h00
Expérimentation de la gratuité des musées — Discussion d'une question orale avec débat

Christine Albanel, ministre :

La progression est supérieure à la moyenne dans tous les sites, musées ou monuments à faible fréquentation - c'est-à-dire inférieure à 10 000 visiteurs en janvier - comme le palais Jacques Coeur, que je viens de citer, ou le musée de la marine de Toulon, qui a vu sa fréquentation augmenter de 204 %. La seule exception est le musée de l'air et de l'espace, musée à forte fréquentation, dont le nombre de visiteurs a augmenté de 139 %.

Au sein même des musées à forte fréquentation, comme le musée national du Moyen Âge et le musée Guimet, la gratuité n'a pas eu les mêmes effets. Le musée national du Moyen Âge progresse de 76 % en février par rapport à février 2007, et le musée Guimet de seulement 16 % pour la même période. L'essentiel de la fréquentation est constitué par les adultes, qui ne sont pas bénéficiaires de la gratuité en temps normal et représentent 65 % des visiteurs, musée Guimet excepté. Viennent ensuite les moins de 18 ans, avec 20 % de la fréquentation - toujours compte non tenu du musée Guimet -, en raison de la présence du musée de l'air et de l'espace dans l'échantillon, les jeunes constituant 54 % de son public. D'une manière générale, les familles et les jeunes de moins de 18 ans sont plus présents le week-end et les scolaires représentent une grande part de la fréquentation de la semaine. On a constaté que les visiteurs sont particulièrement attentifs aux textes et aux cartels, qu'ils restent plus longtemps et que les publics de proximité reviennent plus souvent. Les utilisations d'audio-guides et les demandes de visites-conférences sont en augmentation dans certains lieux, ce qui montre l'intérêt de ce public pour les outils de médiation.

S'agissant des quatre nocturnes gratuites, on a pu noter une forte augmentation - de l'ordre de 46 % à 69 % - de la proportion des visiteurs de 18 à 25 ans sur la fréquentation totale. Il faudra maintenant déterminer précisément la part des jeunes étrangers dans cette fréquentation, ce à quoi s'applique tout particulièrement le musée d'Orsay.

Il semble évidemment prématuré de tirer des conclusions avant la fin de l'expérimentation, car on ne saurait « surinterpréter » un éventuel effet d'aubaine - M. Renar a parlé d'un « effet lune de miel », qu'il a comparé avec ce que serait un mariage sur le long cours - et le phénomène d'engouement des premiers mois. Il est également encore trop tôt pour se prononcer sur la diversification des catégories socioprofessionnelles. Conformément au contrat passé avec le prestataire du suivi de l'expérimentation, le rapport final ne sera rendu qu'à la fin du mois d'août.

Pour répondre aux interrogations du président Valade, je rappelle que ces mesures de gratuité expérimentale ont, bien sûr, un coût direct lié à la perte des recettes de droits d'entrée : le coût total de ces deux dispositifs est de 2, 226 millions d'euros auxquels s'ajoutent les 85 000 euros du coût de l'étude. Conformément à l'engagement pris par le Premier ministre, le coût de l'expérimentation fera l'objet d'une compensation financière sur la gestion 2008, qui viendra abonder le budget du ministère de la culture.

Le président Valade le rappelait également, il est vrai que l'on constate parfois, dans certains établissements, des ruptures de partenariat, ou même la défection de certains mécènes, car le musée est jugé moins attractif ou, tout simplement, parce qu'il n'est plus en état d'assurer des prestations particulières en faveur du mécène, dont la gratuité. On a donc vu certains mécènes se retirer, en particulier au musée de Cluny.

Je soulignerai, par ailleurs, que l'augmentation de la fréquentation a évidemment des conséquences sur les conditions d'accueil des publics, cela a été dit, ainsi que sur les conditions de travail des personnels, en particulier sur les sites non rénovés.

L'impact de la gratuité sur le chiffre d'affaires est variable d'un établissement à l'autre. La perte de recettes de billetterie n'est nulle part compensée - c'est intéressant à noter- par une augmentation des recettes annexes, du moins pour l'instant : au musée Guimet, le chiffre d'affaires du restaurant a baissé de plus de 8 %. En règle générale, sur les deux premiers mois, on constate une certaine réduction du panier moyen d'achat des visiteurs dans les boutiques des musées, même sur des petits achats d'impulsion telles les cartes postales, comme si le contexte général de gratuité impliquait que tout doive participer de cette gratuité. Il est évident que cette tendance devra être vérifiée sur les six mois de l'expérimentation.

Tous ces éléments montrent bien que, face à la grande diversité des musées, en termes de budget, de fréquentation, de situation géographique, de structure du public, aucune solution globale ne s'impose.

Je souhaite en fait que, à l'issue de cette expérimentation, nous soyons en mesure de définir une politique des publics ambitieuse et qui déploie un « arsenal » de dispositions tarifaires adaptées, dont l'État maîtrisera l'incidence, les coûts directs et induits.

Je désire pouvoir présenter les grands axes de cette politique à l'automne prochain. De toute façon, il est clair que l'un de ces axes sera de favoriser la fréquentation des musées par les jeunes publics.

Évidemment, toute décision politique a un coût. Vous savez que, à l'occasion de la communication sur l'éducation artistique et culturelle faite en conseil des ministres par M. Xavier Darcos et moi-même le 30 janvier dernier, nous avons décidé d'accorder aux enseignants la gratuité d'accès aux collections permanentes des musées nationaux et monuments nationaux. Cette mesure entrera en vigueur dès la rentrée scolaire de 2008.

On estime que les enseignants, français et étrangers, représentent en réalité de 5 % à 10 % de la fréquentation totale. Cette mesure paraît très importante pour favoriser, précisément, la fréquentation des publics scolaires. Elle fera évidemment l'objet, le moment venu, d'une compensation financière selon des modalités similaires à celles qui ont été arrêtées pour l'expérimentation en cours. On avait évalué, au départ, à 2 millions d'euros le coût de la mesure, mais on pense aujourd'hui qu'il sera certainement très supérieur à ce chiffre.

Si nous attendons de connaître les résultats de l'expérimentation pour en mesurer l'incidence sur la fréquentation et la diversification des publics, nous disposons déjà d'une première évaluation des coûts de trois mesures de gratuité partielles ou ciblées.

Le coût de la gratuité totale de l'accès aux musées nationaux pour les jeunes âgés de 18 ans à 25 ans représenterait de 15 millions à 25 millions d'euros par an.

Le coût de la gratuité des musées nationaux tous les dimanches se situerait dans la même fourchette.

Enfin, le coût annuel de la gratuité totale des musées s'inscrirait, cela a été rappelé, entre 165 millions et 200 millions d'euros. Instaurer cette gratuité supposerait, bien sûr, de revoir radicalement le soutien public aux musées nationaux, car, au-delà de la compensation intégrale des pertes directes de recettes, il faudrait aussi assumer les charges liées au renforcement de la capacité d'accueil du public, de la surveillance et de la maintenance des espaces.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois qu'il est évident, à ce stade - cela a été souligné par les différents orateurs -, que la seule gratuité ne peut avoir un effet important sans un recours à une médiation appropriée et, bien entendu, à l'engagement de personnels formés à ces pratiques et à ces enjeux.

Les musées sont, par excellence, des lieux de transmission des savoirs, et cela fait plus de vingt ans que le métier de médiateur a été introduit dans ces institutions. Je souhaite, d'ailleurs, que nous puissions ouvrir une réflexion sur l'avenir et l'évolution des métiers de l'accueil et de la surveillance.

Toute nouvelle mesure de gratuité doit être accompagnée d'une campagne de communication adaptée, de nouveaux outils de médiation, de la recherche et de l'accompagnement des publics les plus éloignés de la culture et des musées.

Je voudrais rappeler, à cet instant, l'importance du développement des partenariats avec les collectivités territoriales, mais aussi avec l'ensemble des acteurs de la société civile et des acteurs sociaux. J'évoquerai l'exemple des protocoles d'accord et des conventions que nous passons avec les ministères chargés de l'éducation nationale, de la recherche et de l'enseignement supérieur, de la santé, de la justice, du tourisme, ainsi, bien entendu, qu'avec les fédérations d'éducation populaire.

Il est clair que le travail en cours sur la tarification de l'accès aux musées est l'un des aspects majeurs - mais ce n'est pas le seul - de l'insertion des musées de France dans la vie sociale et culturelle de nos concitoyens. Il est également clair que c'est l'un des volets - ce n'est pas non plus le seul - d'une politique générale de démocratisation culturelle que nous appelons de nos voeux et qui va bien au-delà, supposant en particulier la mise en oeuvre d'une politique d'éducation artistique et culturelle forte et adaptée.

Il est évident, en outre, que cette question s'inscrit dans une réflexion générale sur le thème de la gratuité de la culture. Cela a notamment été souligné par MM. Valade, Renar et Lagauche. En effet, nous menons par ailleurs une réflexion sur la lutte contre le piratage et sur le téléchargement, afin de défendre le droit des auteurs, ce qui est aussi une façon de défendre l'emploi culturel. Cela suppose évidemment toute une philosophie. La question de la gratuité des musées est l'un des éléments de la démarche, même si l'on voit bien quelle incidence la gratuité peut avoir sur la fréquentation de ces établissements. Sur ce point, les chiffres sont significatifs.

En tout cas, si nous devions aller vers cette solution, il faudrait affirmer une volonté politique très forte et faire des choix budgétaires à la hauteur des enjeux et des nécessités.

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