Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet qui nous rassemble aujourd'hui, l'épidémie de fièvre catarrhale ovine et ses conséquences, se trouve au coeur de l'actualité de la filière de l'élevage et des préoccupations de ses professionnels. Aussi suis-je particulièrement heureux que nous puissions en débattre, comme je l'ai souhaité, en séance publique.
L'importance de ce thème m'avait d'ailleurs conduit, en tant que président du groupe d'études de l'élevage, à mener une série d'auditions à l'automne dernier, mais aussi à y accorder une place notable dans le rapport sur l'avenir de la filière ovine que notre collègue François Fortassin et moi-même avons eu le plaisir de voir adopter à l'unanimité par notre commission des affaires économiques voilà quelques semaines.
Je sais, monsieur le ministre, que cette filière vous inquiète autant que nous et je suis heureux que votre collègue irlandaise ait attiré très récemment l'attention du Conseil et de la Commission sur la situation très grave dans laquelle se trouve toute la filière européenne. J'espère que, sous votre présidence, au deuxième semestre, des décisions importantes seront prises en sa faveur.
Avant de vous interroger de façon prospective, monsieur le ministre, et afin que tous nos collègues ici présents aient bien en tête les données du problème, je souhaiterais procéder à quelques rappels sur l'historique de la maladie, ses conséquences sur le cheptel et les mesures prises par les pouvoirs publics pour y faire face, après avoir rappelé également que la Fédération des groupements de défense sanitaire, la FGDS, estime que cette crise est l'une des plus importantes depuis la Seconde Guerre mondiale et, probablement, la plus grave depuis la fin des années soixante.
La fièvre catarrhale ovine, dite aussi maladie de la langue bleue, est une maladie infectieuse, mais non contagieuse, due à un virus transmis essentiellement par des insectes piqueurs et pouvant revêtir vingt-quatre formes sérotypes différentes. Elle touche l'ensemble des ruminants, grands et petits : bovins, ovins et caprins. Issue des zones subtropicales, elle se propage au niveau planétaire du fait du réchauffement climatique et de la globalisation des échanges, notamment des produits de l'élevage. À une échelle plus locale, elle peut s'étendre au gré des vents dominants, progressant d'une trentaine de kilomètres par jour.
Présente depuis quelques années dans les pays du sud de l'Europe, dont la Corse, elle a fait une première apparition à la mi-août 2006 dans le nord du continent, aux Pays-Bas, sous forme du sérotype 8. La Belgique, le Danemark, une partie du Royaume-Uni, l'Allemagne, puis la France sont ensuite touchés dans des proportions variables. Si notre pays est d'abord relativement épargné, il ne résiste pas à l'explosion de l'épizootie de l'été 2007, toujours en provenance du nord de l'Europe, jusqu'à être recouvert presque entièrement. Ainsi, la France compte seulement une demi-douzaine de cas en 2006, 10 000 en 2007 et plus de 18 000 selon les derniers chiffres publiés début mars.
La situation s'est compliquée encore davantage avec l'apparition du sérotype 1 dans les Pyrénées-Atlantiques, en provenance d'Espagne. Notre pays se trouve ainsi « pris en tenailles » entre essentiellement deux types différents du même virus, qui ne peuvent être traités de façon uniforme. En France, en effet, ce sont plus de cinquante départements qui sont désormais situés dans la zone dite « réglementée », dont les mouvements de sortie du bétail sont normalement interdits.
Les éleveurs et professionnels de la filière sont ainsi confrontés à une situation sanitaire et économique très critique.
Or, les conséquences de cette maladie sont dramatiques, quand bien même elle ne remet pas en cause la qualité et le goût de la viande en tant que telle. Sur le plan purement sanitaire, on relève ainsi les symptômes suivants : un affaiblissement général des animaux contaminés, dont les voies respiratoires sont obstruées, ainsi qu'un amaigrissement et des retards de croissance ; une difficulté de reproduction des mâles et des femelles, du fait des conséquences du virus sur la fertilité, de nombreux cas de stérilité et une augmentation significative des avortements ; un accroissement des taux de morbidité et de mortalité.
Sur un plan plus économique, les éleveurs d'ovins, de bovins ou de caprins sont touchés de plein fouet par les effets directs et indirects de la maladie, entraînant des baisses importantes des revenus du fait des baisses de production en lait et en viande. Sont également à signaler une augmentation des charges vétérinaires - visites et traitements -, une chute importante de la fertilité des mâles et une augmentation de la stérilité sur beaucoup d'animaux, une image de marque dépréciée auprès des consommateurs, et, pour nombre d'élevages, une restriction de circulation des animaux à l'intérieur des territoires contaminés. On note, surtout, une restriction des échanges intracommunautaires avec, pour conséquence, des baisses de prix significatives.
Ces échanges se font majoritairement à destination de l'Italie, qui importe 84 % de nos broutards destinés à l'export, et accessoirement, c'est-à-dire pour 13 %, à destination de l'Espagne. Or, depuis le 3 mars, nos partenaires italiens imposent un blocus sur les importations de bovins français non vaccinés contre la fièvre catarrhale et issus de la zone réglementée, soit 80 % de la production hexagonale. Ce sont ainsi 200 000 broutards qui pourraient être privés d'exportation, le temps que le programme national de vaccination se mette en place.
On peut espérer que ces difficultés sont conjoncturelles, même si les mois d'avril et de mai sont parmi les moins dynamiques pour le commerce des bovins. Cependant, elles touchent la filière à un moment où le marché des broutards connaît déjà une baisse structurelle inquiétante. Depuis plusieurs mois, en effet, et indépendamment de l'épidémie de fièvre catarrhale, la demande italienne est en recul sensible, et les cours des broutards sont en retrait. Cette tendance peut être attribuée à une flambée du cours des céréales servant de base à l'alimentation des animaux, à une baisse de la consommation et à une concurrence accrue des viandes importées des pays de l'Est et d'Amérique latine.
La filière ovine n'est pas davantage en situation de faire face à de telles difficultés. Comme nous l'avons mentionné dans le rapport auquel j'ai fait tout à l'heure allusion, celle-ci a en effet vu son cheptel se réduire d'un quart depuis le début des années quatre-vingt, et les revenus de ses producteurs stagner - dans le meilleur des cas - dans les tout derniers rangs des revenus agricoles, notre pays étant donc contraint d'importer plus de la moitié des ovins qu'il consomme, alors que nous avons tant d'espaces...
C'est sur cette espèce ovine que les conséquences sont les plus dramatiques : un taux de mortalité beaucoup plus fort - entre 10% et 50 % du cheptel -, des frais vétérinaires importants et, surtout, un pourcentage d'élevages contaminés beaucoup plus grand que dans le secteur bovin.
Dans un rapport de la chambre d'agriculture des Ardennes - département touché depuis le début de l'épidémie -, on peut lire que 45 % des béliers sont stériles. De plus, les brebis connaissent une baisse de prolificité, laquelle passe de 1, 25 agneau par brebis à 0, 43 agneau par brebis, soit un manque de 80 agneaux pour 100 brebis. Vous comprendrez alors la vulnérabilité de ces élevages.
Ce rapport montre aussi un impact important sur les élevages « bovins lait ». Les exploitations laitières ardennaises sont, pour les deux tiers, des exploitations mixtes avec des troupeaux allaitants de type naisseur mais, surtout, naisseur engraisseur de boeufs. Les conséquences de la FCO sur le troupeau allaitant s'ajoutent alors à celles qui sont constatées sur le troupeau laitier. Pour beaucoup d'élevages, la chute de production laitière par rapport à l'an passé est significative, voire très importante. Les problèmes du vêlage sont nombreux tant au niveau de la santé des veaux nouveau-nés que de la santé des vaches au niveau génital, puisque l'on recense de nombreuses métrites et rétentions placentaires.
Par ailleurs, les vaches ayant vêlé en fin d'hiver ou au printemps sont, pour la plupart, vides aujourd'hui - jusqu'à 70 %, comme on a pu le constater. Les lots de génisses mis à la reproduction pendant l'été, pour des vêlages au printemps 2008, ont des résultats de reproduction très faibles. De plus, la morbidité des veaux est inquiétante pour la stabilité à venir des troupeaux.
L'impact sur les élevages allaitants risque aussi d'être très lourd. Les cours de la viande semblent peu impactés. Le prix du broutard est, en revanche, en forte baisse - 2 euros au lieu de 2, 60 par kilo vif, soit une perte d'environ 200 euros par broutard vendu.