Intervention de Michel Barnier

Réunion du 26 mars 2008 à 15h00
Lutte contre l'épidémie de fièvre catarrhale ovine — Discussion d'une question orale avec débat

Michel Barnier, ministre :

Ce plan de vaccination respecte les priorités qui ont été définies, même si je sais qu'il y a ici ou là des questions, des inquiétudes, voire des critiques. Mais je n'ai pas élaboré ce plan tout seul. En effet, un ministre ne possède pas la science infuse, pas plus que son cabinet ou la direction générale de l'alimentation. Nous avons accompli un travail honnête, sincère, approfondi en concertation avec l'ensemble des professionnels. Voilà comment nous avons défini les priorités.

Puisque tous les animaux ne pouvaient pas être vaccinés en même temps, nous avons donc dû établir des priorités de la façon la plus objective possible afin d'être les plus efficaces possible.

Les priorités de vaccinations sont donc les suivantes : bovins et petits ruminants reproducteurs, ainsi que femelles de remplacement des seize départements du Nord ; animaux partant en transhumance ; animaux destinés aux échanges ; animaux de cinq départements - Aveyron, Gironde, Lot, Lot-et-Garonne, Tarn-et-Garonne - afin de prévenir la diffusion du sérotype 8 vers la zone déjà touchée par le sérotype 1.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il n'y a pas de doute, à avoir sur l'efficacité de la vaccination puisque les vaccins ont fait l'objet d'une évaluation de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments avant d'être autorisés. Je pense pouvoir vous apporter clairement et honnêtement une assurance sur ce point.

Le rapport de l'Office alimentaire et vétérinaire auquel vous faites référence, monsieur Bailly, concerne non pas l'acceptation de notre vaccin, mais bien la mise en oeuvre des actions de prévention pendant l'année 2007 dont certaines faiblesses ont conduit l'Italie à prendre les mesures unilatérales que nous avons regrettées.

À ce titre, des réunions techniques se tiennent cette semaine pour examiner avec les professionnels les mesures d'adaptation sanitaires aux recommandations formulées par la Commission européenne à la suite de l'inspection de l'Office alimentaire et vétérinaire.

Monsieur Soulage, je viens d'évoquer le risque de rencontre entre le sérotype 1 et le sérotype 8. Concernant la zone « tampon », comme vous l'avez souligné, une zone de surveillance devra être mise en place autour de la zone vaccinée par le BTV1. Dans ces zones, les animaux seront vaccinés contre le sérotype 8 et feront l'objet d'une surveillance particulière à l'égard du sérotype 1. Des conditions particulières pour l'exportation sont prévues dans les textes communautaires au travers de la réalisation d'un test virologique. Ces éléments sont pris en compte dans les discussions sur ces textes communautaires.

M. Soulage, comme d'ailleurs MM. René Beaumont et Gérard Bailly, m'a interrogé sur le principe de l'aide au maintien des animaux sur les exploitations. J'en viens donc aux mesures de soutien à mettre en oeuvre si la situation de blocage actuel avec l'Italie devait se poursuivre.

Si une telle situation devait se prolonger, j'étudierais naturellement avec les professionnels les dispositifs d'aide au maintien des animaux dans les exploitations pendant les trois ou quatre mois d'embargo nécessitant des soutiens publics.

Monsieur Soulage, nous discutons actuellement de tous ces principes avec les professionnels. L'idée reste cependant de mettre en oeuvre une mesure similaire à celle qui a été instaurée en 2006, en tenant compte du coût des aliments qui a augmenté.

Monsieur René Beaumont, vous avez signalé qu'en Saône-et-Loire, grand département d'élevage, on n'a pas les moyens de maintenir les animaux sur les exploitations. C'est la raison pour laquelle nous réfléchissons non pas à un seul type d'aide, mais à différents dispositifs permettant de prendre en compte la diversité des situations.

Les éleveurs qui commercialisent leurs broutards devront faire face à un coût de nutrition animale supplémentaire, comme vous l'avez très clairement souligné, monsieur Bailly, et, le cas échéant, à des problèmes de trésorerie. J'ai donc demandé à mes services d'expertiser le montant de ces mesures et les modalités de leur mise en oeuvre.

Par ailleurs, M. Michel Moreigne a évoqué le cas d'un éleveur de son département possédant douze bêtes de plus de 500 kilos. De telles situations peuvent être nombreuses. Mes services expertisent donc également l'opportunité de créer une aide à l'engraissement afin d'évacuer les broutards lourds qui ne trouvent pas de marché. Ces animaux serviront à la production de jeunes bovins dits « rajeunis », répondant à une demande des industriels.

J'ajoute que, en plus des mesures économiques déjà en place - le FAC, l'indemnisation pour la mortalité - et des mesures sur lesquelles nous travaillons avec les professionnels - maintien, engraissement -, j'ai indiqué à la Mutualité sociale agricole que la crise dont nous discutons cet après-midi au Sénat faisait partie de nos priorités en termes de prises en charge des cotisations.

Monsieur Bailly, votre dernière question portait sur les moyens à mobiliser et sur les modes d'organisation à mettre en place pour anticiper ce type de crise sanitaire de grande ampleur dont la récurrence et les conséquences pourraient s'accentuer dans les décennies à venir.

Au-delà de la conjoncture que nous traitons dans l'urgence, le dos au mur, avec le soutien des autorités européennes, des leçons doivent à mon avis être tirées.

Nous ne pourrons bien sûr éviter que ce genre de crise ne se reproduise. En effet, mesdames, messieurs les sénateurs, ces pathogènes émergents, qui explosent un peu partout et n'importe comment, se multiplieront sous le double effet du réchauffement climatique et de la mondialisation des échanges.

Le sérotype 8 est apparu au nord de l'Europe alors qu'il aurait dû remonter du Sud, en provenance de l'Afrique. Dans un autre ordre d'idée, on a vu apparaître le chikungunya, maladie qui n'est pas animale et que vous connaissez bien, madame Payet, directement au nord de l'Italie, sous l'effet du réchauffement climatique comme de la mondialisation ou de la facilitation des échanges.

Nous devons donc nous préparer à affronter, dans les années à venir, des pathogènes émergents et des crises sanitaires touchant soit des végétaux, soit des animaux, soit même des humains - la frontière entre les maladies humaines et les maladies animales est assez étroite - un peu n'importe où et n'importe comment en Europe.

Voilà pourquoi des leçons doivent à mon avis être tirées de cette crise. C'est ce que je fais pour ma part depuis que je suis ministre de l'agriculture et de la pêche, et j'ai d'ailleurs avancé un certain nombre de propositions au cours des négociations européennes.

Je partage par conséquent votre analyse, monsieur Bailly : au-delà de la gestion dans l'urgence de cette crise, nous devons mettre en place des dispositifs durables adaptés à la gestion des crises sanitaires potentielles.

Face à la montée de ces risques, que M. Bernard Barraux a très bien décrits, nous devons inscrire dans le bilan de santé de la politique agricole commune, actuellement en cours de discussion - nous nous sommes prononcés lundi dernier à l'unanimité, moins deux abstentions, en conseil des ministres de l'agriculture sur les orientations politiques de ce bilan de santé -, des outils permettant de couvrir notamment les conséquences des aléas climatiques et des crises sanitaires. Nous avons d'ailleurs obtenu que cela se fasse dès cette année.

Le 30 janvier dernier, j'ai présenté en conseil des ministres de l'agriculture une série de propositions. C'est sur cette base que le conseil des ministres a délibéré lundi dernier et que la Commission a accepté pour la première fois l'idée d'un prélèvement d'une partie de l'argent du premier pilier de la PAC - le pilier économique, celui des aides directes - dès 2008, pour une mise en oeuvre de dispositifs d'indemnisation des risques en 2009. Il s'agit donc non pas d'une échéance très lointaine, mais de décisions que nous allons voir confirmer sur le plan européen sous la présidence française.

Je proposerai d'une manière générale que l'on puisse écrêter - je ne peux pas vous dire pour l'instant à quelle hauteur - l'ensemble du premier pilier de la PAC afin de doter ces outils de financements qui viendront accompagner, consolider, encourager des financements professionnels, notamment via des systèmes assurantiels.

Je répète donc qu'une partie de l'argent du premier pilier de la PAC pourra être utilisée dès 2009 pour cofinancer et accompagner des systèmes assurantiels afin de faire face - la Commission en est d'accord - à ces risques climatiques et sanitaires.

Mesdames, messieurs les sénateurs, depuis que je suis ministre et que je dois traiter chaque semaine de telles crises, avec vous et avec les professionnels, j'ai déjà eu l'occasion de vous dire à cette tribune que l'on n'a pas le droit de laisser durablement les entreprises agricoles - je préfère cette dénomination à celle d' « exploitations agricoles » -, qui sont les plus vulnérables aux accidents et aux aléas climatiques, sanitaires et économiques, voire aux trois en même temps, sans protection, sans accompagnement mutualisé, sans prévention, sans système d'épargne.

Je veux, avec votre soutien, être le ministre qui aura créé, dans le cadre européen, ce dispositif d'aide et de gestion des crises de manière durable pour l'ensemble des entreprises agricoles françaises.

Mesdames Nicole Bricq, Nathalie Goulet, Anne-Marie Payet, vous avez évoqué le fonds sanitaire qui permettra de mobiliser conjointement, en les mutualisant, des fonds nationaux, des fonds communautaires et des fonds professionnels, pour faire face à ce type de crises. Ce sera un très grand progrès dans le sens d'une agriculture durable.

Le projet des professionnels de la filière bovine dans le cadre du fonds national de l'élevage s'inscrit lui aussi tout à fait dans cette perspective. J'ai d'ailleurs rendu hommage à ces professionnels. C'est la troisième partie du financement, puisque ce dernier est national, européen et professionnel.

Madame Bricq, les maladies émergentes sont prises très au sérieux sur le plan européen, et pas seulement au travers de ces nouveaux systèmes de cofinancement. À titre d'exemple, je peux citer le projet Emerging Diseases European Network, EDEN, qui permet aux centres de recherche européens de travailler ensemble.

Ces orientations s'inscrivent pleinement dans le cadre des évolutions de la politique de la santé animale communautaire. Un rapport de la Commission à cet égard a été présenté par le précédent commissaire, et nous allons participer très activement, avec la Commission, à la mise en place de ce projet. L'une de mes priorités pendant la présidence française sera de faire avancer ce projet de la Commission, madame Bricq.

Parallèlement à ce travail sur des mécanismes financiers, nous devons développer la recherche et améliorer nos systèmes d'épidémio-surveillance et de veille des risques émergents.

C'est dans cette optique que j'ai, d'une part, débloqué un montant d'1 million d'euros pour des projets de recherche sur la fièvre catarrhale ovine et, d'autre part, signé conjointement avec les ministres chargés de l'environnement, de la recherche et de la santé une lettre de mission à l'attention de l'Institut de recherche pour le développement, l'IRD.

Compte tenu de l'émergence des maladies vectorielles que vous avez parfaitement identifiées, dans le domaine tant de la santé humaine que de la santé animale, il est nécessaire de mieux nous organiser pour surveiller les populations vectorielles, pour former des experts en entomologie et pour orienter nos programmes de recherche. Les résultats de cette saisine sont attendus dans le courant du premier semestre 2008.

Mais, là encore, mesdames, messieurs les sénateurs, plus la réponse sera mutualisée au niveau européen - je parle non pas d'argent, mais de recherche, de coordination, de prévention -, meilleure sera cette réponse.

Madame Goulet, j'ai été très sensible à votre témoignage concernant ma présence pendant le salon de l'agriculture, ainsi que les nombreux échanges que nous avons eus les uns avec les autres.

Monsieur Beaumont, vous avez tout à l'heure évoqué la tâche difficile - et j'ajouterai « passionnante » - du ministre « des agricultures », la diversité des interventions, qui reflète celle des territoires, m'autorisant ce pluriel.

Je veux absolument vous dire à l'un et à l'autre mon accord avec le suivi permanent de cette crise que vous avez appelé de vos voeux. Une cellule nationale de crise, qui regroupe une quarantaine de responsables, y compris les vétérinaires et les organisations professionnelles, se réunit tous les mois, sous la présidence de mon directeur de cabinet, et je présiderai moi-même la toute prochaine, le 17 avril.

En conclusion, en vous remerciant de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer sur ce sujet, ce qui était nécessaire vis-à-vis du Sénat et, au-delà, de l'ensemble des éleveurs, des responsables agricoles, des citoyens qui sont inquiets de cette très grave crise animale, je tiens à vous dire que je continuerai, avec l'ensemble de mes collaborateurs, à gérer cette dernière avec, comme vous m'y avez appelé, la transparence, la rigueur, l'équité qui s'imposent. Je veillerai d'ailleurs au même respect de ces principes dans les territoires et départements d'outre-mer, auxquels je suis très attaché, comme le sait Mme Payet. Transparence, équité, rigueur, volontarisme et souci de la concertation entre nous et avec l'ensemble des acteurs de cet enjeu et de ce défi en France et, naturellement, avec l'ensemble de nos partenaires européens sont les principes qui doivent nous guider.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion