Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui vient en débat devant nous aujourd'hui restera à mes yeux probablement comme la pire de la législature et, pour tout dire, comme l'archétype du texte nocif sur le plan social comme sur le plan démocratique.
J'ai lu attentivement le compte rendu intégral des séances de l'Assemblée nationale et j'ai été frappée par le ton agressif, la volonté manifeste de régler des comptes, la violence mal contenue des parlementaires qui ont élaboré cette épouvantable loi. Ce ton agressif, cette volonté de régler des comptes, cette violence, je les ai retrouvés dans l'intervention martiale du ministre il y a quelques heures.
Comme si l'on avait longtemps rongé son frein à droite et que l'on pouvait enfin dire ce que l'on avait sur le coeur. Comme s'il s'agissait de fermer symboliquement ce que l'on estime, à droite, avoir été une parenthèse. Comme s'il s'agissait, au-delà du sujet lui-même, d'exprimer une sorte d'aversion profonde pour cette belle et noble tradition du mouvement populaire, du mouvement syndical, de la gauche et des écologistes, qu'est la bataille pour la réduction du temps de travail et la reconquête du temps libre.
Cette proposition de loi illustre le haut-le-coeur quasi philosophique qu'inspire à certains dans ce pays le fait que l'on puisse aspirer à travailler moins et à avoir du temps libre. Cette hantise de la fainéantise vient de loin, cette apologie du « gagner toujours plus » aussi.
Il est significatif que vous n'ayez exploré qu'une des dimensions de la souplesse dans la gestion des flux d'activité à laquelle vous prétendez vous intéresser.
Raymonde Le Texier a bien montré tout à l'heure qu'il s'agissait de travailler plus, pas forcément de gagner plus.
De nombreuses pistes auraient pu être explorées - « travailler plus maintenant pour travailler moins ensuite », « travailler moins pour travailler autrement », « travailler autrement pour travailler tous » - afin de penser la place, le rythme du travail sur la durée de la vie.
Il semble bien loin le temps où le Président de la République présentait comme des modèles les entreprises passant aux 32 heures en quatre fois huit heures.
Vous avez renoncé au débat et à la négociation sur la difficile articulation entre sécurité et flexibilité, entre gains salariaux et création d'emplois, entre pouvoir d'achat et qualité du travail.
Vous avez préféré le passage en force, le recours à la loi pour faire la chasse aux acquis.
Vous avez donné la main à un seul des partenaires : l'employeur.
Votre rejet de tout ce qui s'apparente à un minimum de protection collective des plus faibles s'inscrit ainsi dans la vision conservatrice, qui nie en permanence le lien entre tradition républicaine et avancée du droit social.
Je m'interroge cependant sur ce qui a pu conduire le Gouvernement à organiser un tel règlement de comptes, alors que le Président de la République, qui avait su, là encore, trouver le mot juste, l'avait engagé à n'en rien faire.
Nous sommes en plein débat européen et c'est le moment que vous choisissez pour allumer les incendies et pour alimenter les conflits les plus divers. Nous sommes dans une phase critique du point de vue de la négociation entre les partenaires sociaux.
Comment le plan « santé au travail » de M. Larcher, qui a été présenté ces jours-ci, peut-il être crédible, alors que le Gouvernement soutient une proposition de loi prévoyant la monétarisation des congés payés et des repos compensateurs ?
En vérité, le texte qui nous est soumis met en porte-à-faux tous ceux qui croient dans ce pays à la prévention des conflits. Il donne du grain à moudre à ceux pour lesquels, au fond, une bonne partie du patronat ne peut entendre qu'un seul langage, celui du rapport de force, de la rue, de l'affrontement. Il relance la fausse querelle entre le « tout marché » et le « tout Etat ». Il fait reculer de plusieurs cases le débat intellectuel sur les questions d'emploi.
Pas un jour ne se passe sans que la presse annonce des profits record pour telle ou telle grande entreprise française. C'est à ce point que l'affichage indécent de la distribution des dividendes et le rachat par certaines entreprises de leurs propres actions suscitent des commentaires gênés de la part de ceux qui pensent que l'investissement productif et donc l'avenir sont sacrifiés à des pratiques à si courte vue.
Pas un jour ne se passe sans qu'on annonce les effets déséquilibrants sur l'économie de l'accumulation des stocks d'épargne que provoque chez les plus aisés votre politique socialement ciblée de baisse d'impôts.
Pas un jour ne se passe sans que les commentateurs les plus modérés pointent la persistance du chômage de masse et l' « enkystement » de catégories entières de la population dans la pauvreté.
Vous prétendez vouloir donner les moyens aux plus fragiles de « travailler plus pour gagner plus ». Vous auriez pu vous pencher en priorité sur le sort de celles et ceux qui subissent des temps partiels, de celles et ceux qui vont de petits boulots en CDD, de celles et ceux qui ne bouclent pas leurs fins de mois, de ces travailleurs pauvres qui dorment dans la rue ces jours-ci, de celles et ceux qui ne gagneront bientôt plus rien parce que leurs entreprises risquent de se délocaliser.
Vous auriez pu examiner sur le fond les difficultés rencontrées par tel ou tel secteur pour embaucher. Vous auriez constaté que l'aide à leur apporter consiste non pas à casser le droit du travail et à épuiser les salariés trop rares qui choisissent ces métiers, mais, au contraire, à améliorer la qualité du travail et à en réduire la pénibilité.
Vous auriez pu relancer la négociation en panne sur les bas salaires.
Au lieu de cela, alors même que la plupart des entrepreneurs ne vous demandaient rien et qu'ils n'utilisent même pas le contingent d'heures supplémentaires que M. Fillon puis M. Borloo leur ont octroyé généreusement, ...