Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 1er mars 2005 à 21h30
Réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise — Exception d'irrecevabilité

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois n'est pas coutume, je citerai ici M. Accoyer, président du groupe de l'UMP à l'Assemblée nationale, qui, au sujet de cette proposition de loi, s'exprimait ainsi : « Nous entendons les deux soucis prioritaires de nos compatriotes que sont l'emploi et le pouvoir d'achat, et c'est pour cette raison que ce texte offrira la possibilité, dans la liberté, dans la concertation [...], d'aboutir à ce que ceux qui ont besoin de travailler puissent travailler plus afin de gagner plus. »

Mais de quelle liberté parle M. Accoyer ? Les salariés vont-ils avoir le droit de refuser que leurs horaires de travail soient encore plus flexibilisés ? Je ne le crois pas. Et de quelle concertation s'agirait-il ? Les auditions menées par la commission et l'importante mobilisation de ces dernières semaines ont montré que la totalité des syndicats de salariés sont opposés à ce texte !

La proposition de loi vise-t-elle réellement ceux qui ont besoin de travailler plus ? Les salariés au temps partiel imposé vont-ils accéder à de meilleurs contrats ? Les chômeurs vont-ils trouver un emploi grâce à cette réforme ? Bien sûr que non !

Enfin, les salariés vont-ils gagner plus alors que les heures supplémentaires versées sur les comptes épargne-temps ne seront plus payées, alors que le taux de majoration des heures supplémentaires est officiellement passé de 25 % à 10 % ?

Il est décidemment impossible d'accorder la moindre crédibilité au discours dogmatique et idéologique de ce gouvernement. Le slogan « travailler plus pour gagner plus » est un véritable mensonge fait à nos concitoyens. Au demeurant, les salariés ne s'y sont pas trompés : 67 % se déclarent pour les 35 heures, tandis que seulement 16 % y sont opposés. Et le succès des derniers mouvements sociaux, comme, sans doute, de la journée de grève et des manifestations du 10 mars prochain, vont dans ce sens.

Pourtant, lorsque M. Accoyer parle des « deux soucis prioritaires de nos compatriotes » que sont l'emploi et le pouvoir d'achat, il n'a pas complètement tort : 3 millions de personnes sont au chômage ; le phénomène des « working poors », ces salariés à qui leur salaire ne suffit pas pour survivre ou se loger, ne cesse de croître ; 3 millions de personnes vivent avec moins de 579 euros par mois ; 10 millions de Français sont confrontés à la précarité ; les CDD et l'intérim se développent toujours davantage, à tel point que de plus en plus de gens font « carrière » dans la précarité, enchaînant petit contrat sur petit contrat...

Pourtant, cette proposition de loi ne vient en rien apporter une solution à ces problèmes. Au contraire, elle ne fait qu'ouvrir les vannes du libéralisme.

La vérité, c'est que les auteurs de cette proposition de loi réclamée par le MEDEF vont à l'encontre de toute forme de justice sociale. Ce à quoi ils procèdent est bien plus qu'une augmentation de la durée du temps de travail : ils déréglementent totalement l'organisation même du temps de travail. En mettant au coeur de leur projet le « volontariat », ils ne font qu'accentuer l'individualisme dans les relations de travail, au détriment de toute forme de solidarité. Et cela, dans un total irrespect des principes démocratiques de notre République.

Les défenseurs de ce texte ne cessent de ressasser l'idée que cette proposition de loi permettrait aux salariés de « choisir » leur volume horaire, leur donnerait la « liberté » de travailler plus. Or nulle part dans la proposition de loi n'est affirmé qu'un salarié aura le choix de refuser des heures supplémentaires ou d'en faire s'il en a envie. En appeler au « choix » et au « droit » des salariés et, en même temps, leur demander de se soumettre à toutes les injonctions patronales quant au recours aux heures supplémentaires est totalement schizophrénique.

Cette nouvelle notion de « temps choisi » me rappelle que mes collègues et moi-même sommes intervenus à plusieurs reprises dans cet hémicycle pour dénoncer la pratique du temps partiel imposé. Mais on nous rétorquait que c'était du temps choisi ! Or, aujourd'hui, tout le monde reconnaît que, à 80 %, le temps partiel est du temps imposé.

En fait, la liberté qu'évoque la majorité gouvernementale n'est rien d'autre que la liberté pour le patronat de flexibiliser encore plus les volumes horaires et d'imposer ce qu'elle veut à ses salariés : comme le soulignait encore M. Accoyer, la réforme des 35 heures est « une marge de manoeuvre offerte » aux entreprises.

Ainsi, les cas où la direction d'une entreprise a tenté d'exercer, sur ses employés, un chantage au licenciement pour obtenir qu'ils renoncent aux 35 heures se sont multipliés ces derniers temps. C'est, par exemple, ce qui s'est passé chez Chausson Outillage ; mais, le 21 janvier dernier, le tribunal de grande instance de Reims, saisi par les syndicats, a refusé la solution de la direction de l'entreprise, qui souhaitait pouvoir proposer au personnel non cadre de renoncer aux 13 jours de RTT - faisant ainsi passer la durée hebdomadaire du travail à 37 h 30 -, en échange de quoi 80 salariés ne seraient pas licenciés.

La proposition de loi n'a donc d'autre objet que de dépouiller la loi sur les 35 heures de ses aspects positifs tout en renforçant ses effet pervers, à savoir l'annualisation du temps de travail dans les entreprises, l'une des « avancées de la loi sur les 35 heures », selon M. Borloo...

Les sénateurs communistes républicains et citoyens refusent la politique de « gré à gré » entre l'employeur et le salarié parce que, dans ce cas, c'est toujours le salarié qui est en position de faiblesse. Dans les entreprises d'où les syndicats sont absents et dans les PME employant moins de vingt personnes, les salariés courent ce risque en permanence.

Tout doit passer par la négociation. Quand il n'y a pas de représentation syndicale, nous demandons la possibilité de désigner un mandaté syndical pour représenter les salariés, comme cela fut fait pour négocier les RTT. Il faut que ce mandatement soit spécifiquement inscrit dans la loi pour que des négociations aient lieu dans les entreprises quelle que soit leur taille.

Conformément à la promesse faite par le Président de la République, on maintient, tout du moins dans les mots, « la durée hebdomadaire légale du travail à 35 heures ». Mais cela signifie seulement que toute heure à partir de la trente-sixième doit être payée en heure supplémentaire. Or, ces heures supplémentaires, le Gouvernement a tout fait pour les rendre moins chères : depuis la loi Fillon du 17 janvier 2003, c'est non plus le législateur, mais la convention ou l'accord de branche qui fixe le taux de majoration, lequel ne doit pas être inférieur à 10 %.

Dans le sillage de la loi Fillon, l'article 3 de la proposition de loi vise à repousser à la fin de 2008 le passage aux 35 heures dans les entreprises de moins de vingt salariés. Or les heures supplémentaires n'y sont comptées qu'à partir de la trente-septième heure - au lieu de la trente-sixième heure ailleurs -, et les quatre premières heures supplémentaires, soit de la trente-sixième à la trente-neuvième, sont majorées de 10 % au lieu de l'être de 25 %. De plus, cet article ouvre aux chefs d'entreprise, en l'absence d'accord collectif, la possibilité de faire abandonner dix jours de RTT par an à leurs salariés contre une majoration de salaire de 10 %.

La situation ainsi créée instaure une inégalité criante entre les salariés selon la taille de leur entreprise et déroge totalement à la règle : « à travail égal, salaire égal », règle qui est l'un des fondements de notre code du travail.

Il faut ajouter à cela que, si la distorsion de situation entre salariés d'entreprises différentes est appelée à s'accentuer entre petites et grandes entreprises, ce sera aussi le cas, dans une même catégorie d'entreprises, entre celles qui ont joué le jeu des 35 heures et qui ont réellement réduit le temps de travail, et celles qui ont traîné les pieds et refusé à 3, 5 millions de salariés le bénéfice de ce droit.

Prétendrez-vous, après cela, être plus soucieux que nous du monde de l'entreprise ? En réalité, vous créez les conditions d'un libéralisme sauvage !

Pourtant, la majorité du Sénat - majorité de droite, s'il est utile de le préciser - avait naguère introduit devant le Conseil constitutionnel un recours fondé sur l'article 1er de la Constitution, lequel dispose que la France « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens ». Les signataires considéraient en effet que la distinction entre les entreprises de plus et de moins de vingt salariés créait une inégalité. Le Conseil a considéré que la différence de traitement ainsi relevée, qui repose sur la différence de taille des entreprises, revêtait un caractère temporaire, et c'est pour cette raison qu'il n'a pas censuré la disposition incriminée.

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