Qu'en est-il aujourd'hui de ce « caractère temporaire » ? Votre gouvernement avait déjà repoussé l'échéance à 2005 ; aujourd'hui, votre majorité la recule encore de trois ans : ce qui était conçu comme provisoire semble en réalité s'installer et devenir une situation durable et irréversible. C'est là un motif certain d'irrecevabilité.
Enfin, le texte de la proposition de loi contrevient au principe même d'égalité entre les citoyens et remet en cause le droit au travail énoncé au cinquième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, aux termes duquel « chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi ».
En effet, l'article 2 de cette proposition de loi vise à relever le seuil maximal d'heures supplémentaires réalisables par les salariés. Celui-ci était déjà passé de 130 heures à 180 heures avec la loi Fillon de 2003 ; aujourd'hui vous augmentez le plafond pour le porter à 220 heures. De plus, ces heures pourront être affectées à un compte épargne-temps, où elles seront payées au tarif normal et non pas au tarif des heures supplémentaires. Inutile de dire à quel point une telle décision représente une régression sociale, puisque l'on revient soixante ans en arrière, avant que le Front populaire ne fasse voter la semaine de 40 heures...
Pourtant, les effets néfastes de telles dispositions ne seront pas immédiatement visibles : vous savez très bien qu'aujourd'hui, alors que le contingent d'heures supplémentaires autorisé est de 180 heures, le contingent moyen serait d'environ 60 heures selon le MEDEF, de 80 selon la CGT. Il n'y a donc aucune justification à cette modification.
En réalité, vous préparez l'avenir : si la croissance reprend, ces dispositions en matière de réglementation du temps de travail donneront aux entreprises une telle marge de manoeuvre horaire qu'elles n'auront pas besoin d'embaucher.
En somme, la finalité de tout ce remue-ménage, c'est de préparer l'opinion publique à voir sauter la durée légale des 35 heures pour ne garder qu'une seule référence : les 48 heures par semaine. C'est bel et bien la fin des 35 heures. Certes, on les laisse inscrites dans la loi, mais elle deviennent virtuelles, comme est devenu virtuel le droit à la retraite à soixante ans.
Ainsi, en augmentant le nombre d'heures possibles, vous limitez encore plus pour ceux qui sont sans emploi la possibilité d'en trouver un.
Il y a quelque temps, lorsque M. Borloo est venu défendre ici le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, il avait évoqué la « nouvelle donne », la « démarche inédite en rupture avec le passé » qu'allait constituer ce texte. Il rappelait avec raison l'aggravation des inégalités sociales et l'accroissement de la pauvreté dans notre pays. Il venait donc, soi-disant, nous soumettre un ensemble de dispositions destinées à renverser la tendance...
Ce texte a démontré à bien des égards combien il ne ferait que renforcer ces inégalités ; devant la proposition de loi qui est aujourd'hui soumise au débat, nous ne pouvons que confirmer à quel point le Gouvernement entraîne le pays dans une phase de régression sociale incommensurable.
Votre « politique de l'emploi », monsieur le ministre, n'entraîne que flexibilité pour les entreprises et précarité pour les salariés. Pour que les salariés puissent gagner plus, il faudrait mettre en place des politiques actives de relance des salaires au lieu d'accumuler les allégements de cotisations patronales sur les bas salaires et de multiplier les contrats à durée déterminée, qui n'auront pas d'autre effet que la forte augmentation du nombre des salariés pauvres. On pourrait aussi permettre aux salariés en contrat temporaire ou à temps partiel et aux sans-emploi d'accéder à des emplois à temps plein normalement rémunérés. De plus, la réduction du temps de travail est aussi un moyen efficace de faire reculer le chômage de masse. C'est bien pourquoi, d'ailleurs, elle sera toujours combattue par le patronat !
Pour toutes ces raisons, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les auteurs de cette motion demandent au Sénat de déclarer irrecevable la proposition de loi qui nous est soumise.