Intervention de Guy Fischer

Réunion du 1er mars 2005 à 21h30
Réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise — Demande de renvoi à la commission

Photo de Guy FischerGuy Fischer :

Si l'on compare la durée effective moyenne du travail de l'ensemble des salariés, et pas seulement des salariés à temps plein, comme c'est très souvent le cas, on s'aperçoit que la France, avec 38 heures, est dans l'exacte moyenne européenne : en Suède, on travaille 36, 5 heures ; au Royaume-Uni, 37, 4 heures et, en Allemagne, 35, 9 heures.

Avec 25, 1 euros, le coût horaire du travail en France est plus faible qu'en Allemagne, qu'en Suède, ou qu'au Royaume-Uni, où il atteint respectivement 26, 5 euros, 27, 4 euros et 37, 4 euros.

En France, en revanche, la productivité horaire du travail est supérieure à la moyenne européenne. Notre pays est au deuxième rang mondial, devant les Etats-Unis, l'Allemagne, le Japon, l'Italie et le Royaume-Uni. Les investisseurs étrangers ne s'y trompent pas !

Les gains de productivité horaire du travail ont avoisiné les 4 % à 5 % du fait des 35 heures. Pourquoi les employeurs devraient-ils être les seuls à en tirer profit ?

Au contraire, la « mise à mort » des 35 heures - il s'agit bien de cela - et tout le discours idéologique qui l'entoure permettent à certaines entreprises de procéder à de véritables chantages au licenciement à l'égard de leurs employés.

En déréglementant l'organisation du temps de travail, vous ne faites d'ailleurs que suivre, monsieur le ministre, ce qui se pratique déjà dans certaines entreprises, à l'image de la situation des salariés de l'usine Bosch implantée à Vénissieux, ville qui m'est chère. Cette entreprise est responsable d'un véritable chantage au licenciement poussant les salariés à signer un accord qui les conduit à travailler plus longtemps en gagnant moins. Cela démontre d'ailleurs que, sans changer la loi, les entreprises ont d'ores et déjà d'immenses latitudes, qu'elles utilisent non pas à valoriser le travail mais à le détruire.

Cette situation pose également un problème au regard de la politique européenne où le dumping social risque de se développer et de poser d'immenses problèmes de société.

Les salariés d'Arcelor se trouvent dans une situation similaire : ils relèvent non pas des minima fixés par le code du travail, mais de la convention collective de la sidérurgie et des accords de branche contractés dans la métallurgie. Et la direction a décidé de diminuer les salaires en payant les employés sur la base de 35 heures et non plus de 39 heures.

Ainsi, après plusieurs années de modération salariale, et alors que, en 2004, le groupe a réalisé 900 % de bénéfice net dû, notamment, à la hausse du prix de l'acier, et que l'ensemble des sites ont travaillé à 97 %, la direction de cette entreprise voudrait qu'un accord sur le temps de travail se traduise par une augmentation du temps travaillé, une flexibilité à outrance, le tout sans augmentation de salaire. Bref, c'est un accord « perdant » pour tous les salariés, au moment même où la situation de l'entreprise est favorable, sinon florissante.

Ces deux cas ne sont pas isolés : ces derniers temps, les exemples se sont multipliés. Outre-Rhin, les salariés de deux sites du groupe Siemens sont ainsi passés de 35 heures à 40 heures de travail hebdomadaire, sans compensation salariale, sous la menace d'une délocalisation en Hongrie. Le leader européen de la volaille, qui est français - il s'agit du groupe Doux, en Bretagne -, a dénoncé l'accord sur les 35 heures et supprimé 23 jours de RTT. L'entreprise Ronzat de Châlons-en-Champagne a proposé à ses salariés de revenir aux 39 heures, en conservant le même salaire, pour « éviter un dépôt de bilan ».

Plus récemment - c'était l'actualité de ce début de semaine -, le fabriquant d'isolateurs électriques en verre SEDIVER implanté à Saint-Yorre, qui est pratiquement numéro un mondial, a demandé à ses 294 salariés d'accepter une réduction de 25 % à 30 % de leurs salaires, pour « pouvoir maintenir le site en France au lieu de le délocaliser en Chine ou au Brésil ». L'argument fonctionne, même si les syndicats dénoncent ces « chantages à l'emploi », certains, comme la CGT, allant jusqu'à demander qu'ils soient rendus illégaux.

Jacques Chirac, dans son interview du 14 juillet dernier, a dénoncé cette « pente glissante sur laquelle il ne faut pas se laisser entraîner ». Mais le chômage de masse dont souffre la France demeure une arme redoutable contre le niveau des salaires et des garanties sociales.

Et c'est ce type d'accords injustes que vous voulez valider, en vous référant à un argumentaire simpliste selon lequel travailler plus serait la solution à tous nos maux ! Avec cette proposition de loi, le compte épargne-temps devient un outil de flexibilité de plus à la disposition des employeurs, qui pourront y affecter de leur propre initiative les heures effectuées au-delà de l'horaire collectif.

La réduction du temps de travail n'est pourtant pas un luxe. En effet, la santé des travailleurs en dépend.

En 2001, les statistiques de l'Organisation internationale du travail ont montré que, dans le monde, le travail tuait plus que les guerres, les accidents de la route et la malaria cumulés. En France, d'ici à la fin de l'année, plus de 600 personnes seront tuées au travail et au moins 3 000 décéderont d'une maladie liée directement à l'amiante. Et je ne compte pas les 40 000 personnes qui seront obligées d'arrêter de travailler à cause d'une maladie grave ou invalidante due à leur emploi, comme les TMS, les troubles musculo-squelettiques. A force de gestes répétitifs, des salariés de plus en plus jeunes souffrent, par exemple, du syndrome du canal carpien, qui affecte un nerf au niveau du poignet et entraîne des paralysies.

Monsieur le ministre, jeudi 17 février, vous avez présenté au Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels le plan « Santé au travail 2005-2009 ». Il est évidemment plus que nécessaire et urgent d'intervenir pour améliorer les conditions de travail des salariés en France. Mais, pour cela, il faudrait revenir sur la « flexibilisation » accrue des horaires, sur les cadences de travail infernales et sur les compressions de personnel, qui sont des causes majeures de la dégradation de la santé liée au travail.

La flexibilisation des horaires de travail est responsable de perturbations dans la vie personnelle, notamment en ce qui concerne la santé. Je pense, bien entendu, aux troubles du sommeil, mais aussi à la dérégulation de l'alimentation.

L'intensification des rythmes du travail, l'augmentation concomitante des niveaux d'exigence pesant sur les salariés d'exécution en ce qui concerne la polyvalence, les flux tendus et la qualité, sont responsables de l'explosion des troubles de santé, mais aussi de ce que l'on appelle, en langage courant, le « stress au travail », lui-même à l'origine de conduites addictives diverses - tabac, alcool, drogues, médicaments - pour « tenir le coup ».

L'acharnement dans la compression drastique des personnels, qui relève d'une logique gestionnaire excessive, est responsable du surmenage physique, mais aussi de souffrances psychiques engendrées par l'impossibilité de bien accomplir son métier.

Je prendrai un seul exemple, celui des maisons de retraite, où le ratio entre le personnel et les pensionnaires est de 4 pour 10 en France, contre 8 pour 10 en Allemagne. Nous avons pu en mesurer les conséquences, largement médiatisées, en 2003.

Au lieu de prendre des mesures drastiques pour améliorer la condition des salariés de ce pays, ce gouvernement a relevé le contingent d'heures supplémentaires à 180 heures, ce qui revient à faire travailler 39 heures en moyenne par semaine. Relever ce contingent à 220 heures, c'est autoriser le travail à 40 heures hebdomadaires. Si l'on ajoute à cette augmentation du contingent la suppression d'un jour férié, les 80 heures de formation hors du temps de travail de la loi sur la formation professionnelle, on arrive à une durée hebdomadaire effective nettement supérieure à 35 heures.

De plus, le fait que le salarié puisse désormais affecter au compte épargne-temps des congés annuels est réellement inquiétant : ces jours sont faits, en principe, pour se reposer. Les supprimer laisse donc craindre des problèmes quant à l'hygiène et à la sécurité des salariés.

En somme, cette proposition de loi instaure un marchandage honteux, en exerçant une pression plus importante sur les salariés, les incitant à faire plus d'heures supplémentaires. Il s'agit d'un moyen pour faire travailler les personnes sans passer par l'inspection du travail, donc sans contrôle. En outre, cette mesure laisse à la porte les chômeurs ainsi que les personnes en situation précaire et les salariés travaillant à temps partiel, c'est-à-dire tous ceux qui bénéficient à l'heure actuelle d'un emploi atypique.

Pour l'instant, le contingent d'heures supplémentaires effectives est très inférieur à celui qui est autorisé. On estime ce contingent effectif entre 60 et 80 heures en moyenne. La loi Fillon du 17 janvier 2003 ouvrait la voie à un allongement négocié du temps de travail. Or seulement 22 des 274 branches employant plus de 5 000 salariés ont revu leur accord sur les 35 heures et seules 14 d'entres elles ont négocié un volume d'heures supplémentaires supérieur au contingent légal. Pourtant, alors que la marge d'heures supplémentaires non utilisées est énorme, le Gouvernement, depuis plusieurs mois, ne cesse de ressasser son nouveau slogan : « plus de libertés pour les travailleurs, notamment pour ceux qui veulent travailler plus pour gagner plus ; plus de libertés pour les entreprises. »

Pour nous, permettre que les salariés puissent gagner plus impliquerait des politiques actives de relance des salaires au lieu d'accumuler les allégements de cotisations patronales - 19 milliards d'euros par an - qui compriment les salaires dans les zones à bas salaires en ouvrant droit aux abattements.

On pourrait aussi permettre aux salariés en contrats temporaires ou partiels et aux sans-emploi d'accéder à des emplois à temps plein normalement rémunérés. Mais ce n'est pas ce chemin que le Gouvernement prend, loin s'en faut ! Il suffit, pour s'en convaincre, de se référer au plan Borloo.

En somme, ce gouvernement, qui se présente comme le grand promoteur du dialogue social, fer de lance de sa politique, a tout fait pour éviter le débat avec les représentants de salariés. Ceux-ci ont pourtant été nombreux à manifester voilà quelques semaines - 500 000 à 600 000 personnes étaient présentes - et gageons qu'ils se mobiliseront encore plus nombreux le 10 mars prochain.

C'est parce que tous les syndicats de salariés se sont montrés unanimement réticents à l'égard de ce texte que son renvoi en commission nous semble pertinent. Il est indispensable de les consulter, non seulement plus au fond, mais aussi sur la pertinence d'un allongement de la durée du temps de travail, sur la santé au travail, sur la situation des salaires et du pouvoir d'achat, sur une vraie politique publique de l'emploi.

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