Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 20 juin 2006 à 10h00
Questions orales — Mise en place des unités de visite familiale

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Monsieur le ministre, je regrette que M. le garde de sceaux ne soit pas présent pour répondre à une question sur les prisons.

Après le rapport du commissaire européen aux droits de l'homme, après le rapport 2005 de la Commission nationale de déontologie de la sécurité et après l'appel des « dix » de Clairvaux sur les longues peines, nous ne pouvons demeurer insensibles ou inactifs face aux zones de destruction des êtres, aux espaces de privation de liberté et, trop souvent, aux lieux de négation des droits que sont les prisons françaises.

À l'occasion des débats sur les nombreux projets de loi présentés récemment par le Gouvernement ainsi que lors de la séance consacrée à l'ordre du jour réservé sur le respect effectif des droits humains en France, je n'ai eu de cesse de répéter que la réinsertion commence dès le premier jour de la détention.

La mise en oeuvre de cette réinsertion pour une personne incarcérée passe, notamment, par le maintien effectif des liens avec sa famille, ce qui suppose que soient prises, le plus vite possible, une série de décisions courageuses et indispensables, car la réinsertion est une bonne garantie contre la récidive.

Parmi ces décisions, je citerai rapidement, sans m'attarder davantage, la fin de la politique de l'administration dite de « tourisme carcéral ».

Cette politique, trop largement répandue et qui vise à punir officieusement la personne incarcérée, consiste à déplacer le détenu de prison en prison sur l'ensemble du territoire national.

Les familles de personnes incarcérées se trouvent ainsi mises dans l'incapacité de continuer à visiter régulièrement leur proche.

Une famille qui vit à Marseille ne peut ni matériellement ni financièrement, convenablement rendre visite à un père, à une soeur, à un frère qui est déplacé de Moulins-Yzeure à Liancourt ou de Lons-le Saunier à Lorient-Ploemeur, puis à Lannemezan !

Trop de familles, parfois même à la demande expresse de la personne incarcérée, finissent par abandonner les visites et se résignent à ne plus les effectuer.

Cependant, le coeur de ma question vise essentiellement les unités expérimentales de vie familiale, les UEVF, qui sont le résultat d'un long processus que l'on peut faire remonter à 1985 et à l'ouverture des parloirs intimes au centre de détention de Mauzac-et-Grand-Castang.

Avancée après avancée, le régime des UEVF est aujourd'hui régi par une circulaire en date du 18 mars 2003.

Il n'est accessible qu'aux personnes incarcérées à Rennes, à Poissy et à Saint-Martin-de-Ré, et il sera bientôt accessible aux personnes incarcérées ailleurs également.

Seules les personnes incarcérées, condamnées à titre définitif et ne pouvant bénéficier de permissions de sortir ou d'autres aménagements de peine peuvent accéder aux UEVF.

L'accès aux UEVF n'est accordé par les autorités pénitentiaires qu'à l'issue d'un très long et complexe processus.

Une visite au sein d'une UEVF dure entre six et douze heures, pouvant aller jusqu'à vingt-quatre heures, parfois quarante-huit heures.

Une visite de soixante-douze heures pourra être accordée une fois par an.

Les visites au sein des unités ne peuvent avoir lieu qu'une fois par trimestre, et elles se font en fonction des possibilités de l'établissement.

De plus, elles ne sont possibles que sur décision de la direction de la prison. Dans les faits, elles sont donc non pas un droit, mais une récompense ou une sanction !

Monsieur le ministre, je me suis personnellement rendue à Moulins, puis à Poissy et à Rennes, pour constater sur place les différences et entendre les personnes concernées.

J'ai pris contact avec Saint-Martin-de-Ré. J'ai consulté le personnel pénitentiaire et les différentes organisations qui travaillent dans le domaine du monde carcéral.

J'ai enfin demandé au service juridique du Sénat de fournir une note de législation comparée entre le régime français de maintien des liens familiaux en prison et ceux du Canada ou de pays d'Europe. Connaissez-vous ces expériences ? Il me semble que l'on pourrait s'inspirer de certaines d'entre elles.

À chacune de mes visites, à chacun de mes contacts, il m'a été répondu avec force et conviction que les UEVF étaient un excellent facteur de réinsertion des personnes incarcérées et qu'elles offraient des bénéfices non seulement pour ses dernières et leur famille, mais également pour l'administration et le personnel pénitentiaire, qui se félicite d'entretenir de meilleures relations avec les détenus, car il existe moins de tensions.

Or, les UEVF n'existent toujours qu'à titre expérimental et n'ont pas encore été généralisées à l'ensemble de l'administration pénitentiaire.

Pis, lorsqu'elles existent, elles ne sont pas utilisées, comme c'est le cas pour les établissements de Liancourt, d'Avignon et de Toulon où elles ne seront finalement mises à la disposition des familles que le 1er juillet prochain !

Monsieur le ministre, quand allez-vous faire dans un rapport un bilan sur les UEVF ?

Quand mettrez-vous un terme au caractère expérimental de ces unités et procéderez-vous à leur généralisation complète et uniforme sur l'ensemble du territoire ?

Il serait également important de revoir le règlement intérieur de ces UEVF.

Aujourd'hui, seules les personnes détenues peuvent « cantiner », et souvent elles commandent trop de nourriture, malgré le peu de moyens dont elles disposent, pour honorer du mieux possible des visites qu'elles sont si contentes de recevoir.

En outre, les familles souhaiteraient préparer et amener avec elles des « petits plats » que la personne incarcérée aime, quitte à se présenter une heure avant pour effectuer les contrôles et les vérifications nécessaires.

Par ailleurs, les détenus ne peuvent pas ramener avec eux l'excédent de nourriture non utilisé. Or, souvent, les familles refusent de repartir avec cet excédent, par dignité, sachant ce que le repas a coûté à leur proche. Ces aliments sont ainsi perdus alors que les détenus les payent un prix relativement élevé par le « cantinage ».

Pourrait-on revoir ce règlement intérieur ?

Enfin, quand allez-vous remédier à la cadence des visites, qui devraient être mensuelles plutôt que trimestrielles, comme cela est le cas chez nos voisins espagnols ?

Je terminerai par ce qui m'a été dit par plusieurs personnes, notamment par des membres de l'administration pénitentiaire, par des anciens détenus ou par leurs familles : tout ce qui est donné aux uns, n'est pas arraché aux autres !

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