C'est avec beaucoup de tristesse et d'émotion que nous avons appris la mort de notre collègue André Labarrère, sénateur des Pyrénées-Atlantiques, survenue le 16 mai dernier.
L'annonce de la disparition d'André Labarrère a cruellement frappé toutes celles et tous ceux qui le connaissaient et qui l'aimaient. André Labarrère avait fait état publiquement du mal qui le frappait en annonçant, le 22 mars 2006, qu'il était atteint d'un cancer et qu'il se promettait d'y faire face avec la même détermination qu'il avait montrée tout au cours de sa vie. « Je me battrai à mort », avait-il déclaré.
Il a été face à la mort comme il avait été face à la vie : d'un courage peu commun. Il s'est conduit face à la mort comme il s'est toujours comporté, en faisant preuve d'un attachement viscéral à ce qu'un homme a de plus précieux : l'énergie, l'intelligence, la force de conviction et l'honneur de servir.
La vie d'André Labarrère avait commencé le 12 janvier 1928 à Navailles-Angos, dans les dépendances du château de la famille Gontaut-Biron, où ses parents étaient employés : son père, cocher de fiacre, et sa mère, crémière aux halles de Pau.
Malgré la modestie de ses origines sociales, notre collègue reçut une éducation solide : d'abord, à l'école communale Henri IV, puis au collège catholique Beau-Frêne, enfin à Paris.
C'est dans la capitale qu'il parachèvera sa formation par une brillante collection de titres universitaires : licence ès lettres, agrégation d'histoire, doctorat ès lettres.
Nommé professeur, il passa ses premières années à Digne, dans les Alpes de Haute-Provence, puis il obtint la première bourse qui fut accordée à un Français par les autorités universitaires du Québec.
Étudiant, puis enseignant à l'université de Laval, il participa activement à des émissions de radio et de télévision ; celle-ci était alors naissante. L'une de ces émissions, en particulier, intitulée « pattes de mouches », ouvrait au grand public les secrets de la graphologie. Passionné par cette science, il en était devenu, au fil des ans, un connaisseur notoire et respecté.
Poursuivant sa carrière d'enseignant, il fut successivement professeur à Paris, au Lycée Carnot, puis à Auch, avant de revenir dans sa ville natale pour solliciter une première fois le suffrage des électeurs lors des législatives de 1967.
Élu député sous l'étiquette de la fédération de la gauche démocratique et socialiste, la FGDS, animée par François Mitterrand, il fut battu l'année suivante par Pierre Sallenave. Aux élections de 1973, il retrouvera le siège de la première circonscription des Pyrénées-Atlantiques, qu'il occupa constamment jusqu'en octobre 2001, date à laquelle il rejoignit le Palais du Luxembourg.
Mais c'est en 1971 que la carrière - la destinée devrais-je dire -d'André Labarrère prit un tour décisif. À la faveur des élections municipales, il conquit la mairie de Pau. Ce mandat municipal, il allait le détenir sans interruption pendant trente-cinq ans. C'est le mandat auquel il tenait le plus.
La mairie de Pau ne l'empêche cependant pas d'être conseiller général de Jurançon, membre du conseil régional d'Aquitaine, dont il assuma la présidence de 1979 à 1981 et, enfin, président de la communauté d'agglomération de Pau. Avec l'humour qui le caractérisait, il disait qu'il ne lui manquait que d'avoir été évêque de Bayonne !
L'engagement au service de ses compatriotes palois et béarnais allait de pair avec celui de la mise en place du nouveau parti socialiste, dans les années soixante-dix, après le congrès d'Épinay.
En 1981, François Mitterrand lui demande tout naturellement d'entrer dans le gouvernement conduit par notre collègue Pierre Mauroy.
Il n'accepta pas sans hésitation.
Sollicité pour le ministère de l'éducation nationale, puis pour celui du temps libre, c'est finalement au ministère des relations avec le Parlement qu'il fut nommé par le Président de la République. Cette nomination s'avéra des plus heureuses. Il fallait - et il faut toujours - faire preuve de remarquables qualités pour occuper ce portefeuille, ô combien délicat !
À l'Assemblée nationale comme au Sénat, en conférence des présidents comme dans l'hémicycle, ne dédaignant point les assauts de ses adversaires, il affrontait les séances les plus remuantes dans d'interminables joutes oratoires où pointaient la vivacité de son intelligence et une rhétorique à toute épreuve. On se souvient, ici même, de son ardeur à débattre lors de l'examen des lois de décentralisation, des lois sur les nationalisations ou encore sur l'enseignement privé. Ces qualités, que chacun d'entre nous s'accordait à lui reconnaître, valurent à André Labarrère d'être reconduit dans ce ministère clef par Laurent Fabius jusqu'au terme de la législature, en 1986.
Ayant épuisé les charmes d'une carrière nationale qu'il n'ambitionnait d'ailleurs pas, André Labarrère se consacrera désormais et quasi exclusivement à « sa ville », comme il aimait à le dire.
« Élu de gauche dans une ville de droite », il fit franchir à la capitale du Béarn le cap du XXIe siècle. Les hommages qui lui furent rendus à l'annonce de sa mort et à l'occasion de ses obsèques ont été à la mesure de l'oeuvre qu'il a accomplie pendant trente-cinq ans.
Parmi les sujets qui lui inspiraient la plus grande satisfaction, figurait ce classement des villes dans lequel Pau se situait immédiatement après Washington pour le rapport entre la superficie des espaces verts et le nombre d'habitants.
Homme politique subtil, fin connaisseur des arcanes de son département et de sa région, André Labarrère était aussi très proche de ses administrés. Travailleur infatigable, il impressionnait ses collaborateurs et ses concitoyens. Il ne détestait pas, non sans une certaine malignité, leur fixer des rendez-vous à l'hôtel de ville aux aurores, alors même que, la veille, le conseil municipal s'était achevé fort tard.
Même s'il fut le premier maire de Pau à être député, puis sénateur, c'est pour l'écharpe de maire qu'il avait le plus d'affection : « le plus beau des mandats », aimait-il à répéter. De fait, la mémoire d'André Labarrère sera attachée de façon indissociable à l'histoire de Pau.
André Labarrère fait partie de ces grands édiles qui ont porté la réputation de leur ville dans l'Hexagone, et même au- delà, comme, à d'autres époques, Jacques Chaban-Delmas à Bordeaux, Gaston Defferre à Marseille, Édouard Herriot à Lyon, et tant d'autres.
Avec la force de l'engagement au service de ses concitoyens et la fermeté de ses convictions, André Labarrère n'a cessé de prendre une part active aux débats et aux évolutions récentes de notre société.
À son parcours politique André Labarrère a ajouté toutes les idées d'un homme pour qui la culture revêtait une importance capitale. Sa politique municipale en fut marquée et, quelques semaines avant sa mort, son esprit fourmillait encore de projets pour « replacer la culture au centre-ville ».
Nous garderons en mémoire sa silhouette élégante, une noblesse de port rappelant ces gentilshommes gascons qui offrirent tant et tant d'illustres serviteurs à notre pays. Nous n'oublierons pas son visage souriant, souvent surmonté d'un chapeau de feutre noir à large bord, qui faisait irrésistiblement penser à Jean Moulin ou à François Mitterrand, deux hommes qu'il admirait profondément.
La foule des habitants de sa ville présente à ses funérailles, son recueillement et son émotion ont témoigné de façon éclatante du lien profond qui unissait sa ville à son maire.
Ce lien ne résultait pas seulement de la légitimité du suffrage. Il était enrichi de cette alchimie subtile qui peut attacher l'élu municipal à ses administrés. Pour l'avoir vécu aussi intensément avec ses compatriotes, André Labarrère méritait bien de siéger dans cet hémicycle.
À sa famille et à ses proches, à ses collaborateurs et à ses administrés, aux collègues de son groupe et à ceux de la commission des affaires culturelles, je tiens à dire la part que nous prenons tous à leur peine. Qu'ils soient assurés que nous garderons longtemps en mémoire celui qu'ils ont légitimement estimé, admiré et aimé.