Intervention de Janine Rozier

Réunion du 20 juin 2006 à 16h15
Protection de l'enfance — Discussion d'un projet de loi

Photo de Janine RozierJanine Rozier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la maltraitance de l'enfant est un sujet douloureux, qu'il peut être difficile d'évoquer tant il est vrai que les médias révèlent quotidiennement des situations et des faits souvent insupportables de violences faites à des mineurs sans défense aucune.

Dans de nombreux cas, ces violences surviennent non pas à l'extérieur, mais au sein même de la famille, là où l'on ne pénètre pas, là où l'enfant est censé trouver sécurité, compréhension et amour, là où il est aussi censé se structurer pour l'avenir.

De nombreux enfants qui ont été maltraités en conserveront des séquelles indélébiles sur le plan physique comme sur le plan psychologique. Il s'agit de plaies profondes qui, même lorsque ceux qui les ont subies auront atteint l'âge adulte, seront souvent toujours présentes et pourront compromettre l'épanouissement psychologique et affectif à long terme, avec toutes les conséquences que cela peut entraîner sur le développement et la socialisation.

Je ne parlerai pas ici des enlèvements et des meurtres, qui relèvent de la délinquance et qui seront traités par ailleurs.

Dans son rapport de 2005, l'ODAS, l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée, a indiqué que le nombre de signalements d'enfants maltraités ou en danger pour leur sécurité, leur moralité, leur santé ou leur éducation était globalement en hausse, ce qui est très inquiétant. Ainsi, une fille sur huit et un garçon sur dix sont victimes d'abus sexuels avant d'avoir atteint leur majorité, et 22 % d'entre eux ont moins de six ans.

On connaît aussi de mieux en mieux des formes moins visibles de maltraitance, à savoir la violence psychologique ou la négligence lourde.

En 2006, vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, 270 000 enfants ont ainsi bénéficié d'une mesure de protection de l'enfance.

Il faut que notre société progresse et aide l'enfant à conforter ses droits. Comment accepter que les cas de maltraitance signalés soient en hausse ? Comment accepter que tous les enfants qui souffrent en silence pendant des années ne soient jamais signalés ?

Notre société serait-elle de plus en plus violente envers ses enfants ou bien dévoile-t-elle plus largement ce qui a toujours existé ?

Même si le dispositif français de protection de l'enfance est particulièrement riche et qu'il faut reconnaître l'action, la grande compétence et la formidable motivation de ses acteurs, notre rôle, au-delà de l'indignation que nous ressentons et de la peine que nous éprouvons, est d'agir pour assurer de manière plus large et plus efficace la protection des enfants.

La loi du 6 mars 2000 a renforcé le rôle de l'école dans la prévention et la détection des faits de mauvais traitements à enfants grâce aux visites médicales scolaires.

La loi du 2 janvier 2004 relative à l'accueil et à la protection de l'enfance a contribué à l'assouplissement des conditions d'accueil des jeunes enfants par les assistantes maternelles. En outre, l'expérimentation d'un nouveau mode de financement des tutelles pour les majeurs protégés a représenté une évolution majeure.

Aujourd'hui, grâce à l'Observatoire national de l'enfance en danger, les différents acteurs, mieux informés de la situation à l'échelon national, pourront agir plus efficacement sur le terrain. Dans son dernier rapport, cette instance a insisté sur la nécessité de mettre en cohérence les données chiffrées disponibles qu'une centaine de départements peut déjà fournir sous la forme de statistiques fiables.

Il nous fallait poursuivre une action législative déjà entamée et entreprendre une réforme plus ambitieuse pour améliorer la lutte contre le fléau de la maltraitance. Cela est fait, je pense.

Je tiens d'ailleurs à vous féliciter, monsieur le ministre, de l'esprit dans lequel a été préparé ce projet de loi. Pour élaborer cette réforme, tous les partenaires du secteur ont été consultés. Ils l'ont d'ailleurs unanimement fait remarquer lors des auditions organisées par notre commission des affaires sociales. Votre travail et votre écoute ont été très appréciés.

Cette réforme permet de réaffirmer les quatre principes qui guident ce projet de loi : le renforcement de la prévention, pour agir plus vite et mieux ; l'organisation du signalement, pour détecter avec précision le danger auquel est exposé l'enfant ; la diversification des modes de prise en charge des enfants, notamment en matière d'accueil, qu'il soit de jour, temporaire ou d'urgence, ou qu'il concerne des enfants séparés de leurs parents ; le rôle de chef de file du conseil général dans chaque département.

Ce texte apporte donc des solutions nouvelles pour surmonter les obstacles à une protection efficace des enfants en danger.

Ces obstacles, quels sont-ils ? Même s'ils ont déjà été décrits, il n'est pas inutile de les rappeler.

Le premier obstacle est la mauvaise définition du cadre d'intervention des organisations départementales, ce qui gêne évidemment leur action.

Si la loi du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l'égard des mineurs et à la protection de l'enfance a eu le mérite de définir pour la première fois la maltraitance, les critères n'ont pu être tous respectés. Ils ne correspondent plus aujourd'hui à la réalité et le projet de cellule de signalement n'a jamais pu aboutir totalement.

Ce projet de loi propose donc une définition plus précise, plus large et plus concrète, qui permet de clarifier le rôle de chacun. Elle retient désormais la notion d'« enfant en danger », ce qui comprend toute forme de maltraitance ou de négligence ; elle insiste également sur la prévention des dangers encourus par l'enfant.

Le deuxième obstacle est le repérage de la maltraitance, qui ne paraissait pas suffisamment efficace.

Le rôle des acteurs de la protection sociale est double : ils doivent à la fois accompagner les familles en difficulté sans pour autant qu'il y ait risque identifié pour l'enfant, et prévenir le danger. C'est le professionnalisme de ces personnes qui doit donc permettre d'éviter qu'on ne bascule dans un « contrôle social » qui n'est guère souhaitable.

Les deux moments forts de ce repérage sont la maternité et la scolarité. Ainsi est réaffirmé et complété le rôle des services de la PMI dans la protection de l'enfance. Lors de la discussion des articles, je présenterai d'ailleurs un amendement tendant à préciser les conditions de leur intervention à l'école.

L'entretien au quatrième mois de grossesse devient systématique et des visites de prévention ou de suivi de la PMI dans les premiers temps seront proposées à la jeune mère, voire imposées si des difficultés particulières ont été identifiées, notamment lors du séjour en maternité. La grossesse et l'accouchement sont en effet des temps privilégiés d'échange entre les professionnels et les futurs parents qui en ressentent le besoin.

Par ailleurs, la PMI réalisera un bilan à l'école maternelle des enfants âgés de trois ou quatre ans, ainsi qu'un examen de dépistage des enfants dans leur sixième année. Une nouvelle intervention en classe de sixième a même été évoquée.

Le troisième obstacle que nous devions savoir mieux surmonter est sans aucun doute l'articulation entre les différents partenaires - département, justice, association, aide sociale à l'enfance... - afin que soit prise la décision la mieux adaptée.

Les responsables locaux, les maires surtout, ont tous en tête des cas tragiques où le cloisonnement entre les différentes institutions a ralenti l'action en faveur de l'enfant, voire a empêché toute intervention. Ce silence et ce cloisonnement ne sont pas toujours volontaires de la part de personnes confrontées à des situations dramatiques et dont le premier souci est de protéger l'enfant.

Les réflexes corporatistes perdurent encore trop souvent et l'échange d'informations est informel, dépendant de la bonne volonté de chacun. Les débats que nous avons eus sur ce problème, pour lequel la solution n'était pas facile à trouver, ont été enrichissants. Juges, assistantes sociales, instituteurs, pédopsychiatres, etc. : trente-cinq professions sont concernées, mais toutes ne sont pas confrontées à la même problématique. Il nous faut donc trouver le moyen de les faire communiquer efficacement. Ce sera le travail de la cellule départementale de signalement.

Il me paraît utile d'insister à nouveau sur le rôle important de cette cellule départementale.

Tout professionnel de l'enfance devra transmettre au président du conseil général, dont le rôle est réaffirmé, toute information sur un mineur en danger ou risquant de l'être, aux fins d'évaluation. Les parents seront informés, sauf si cela est contraire aux intérêts de l'enfant.

Ce signalement est essentiel, car c'est lui qui sera à l'origine des décisions qui pourront être prises. Le professionnel ne sera plus seul, et le regard collégial d'autres professionnels permettra d'agir dans les meilleures conditions.

Le texte délimite les informations susceptibles d'être partagées. Ce n'est pas du bavardage : seule l'information préoccupante devra être communiquée.

La cellule départementale de signalement sera composée de professionnels de la protection de l'enfance et aura pour objectif de centraliser toutes les informations. Dès que des informations lui auront été transmises, la cellule départementale devra procéder rapidement à une première évaluation et veiller à ce que la situation soit traitée ou que, après une évaluation collégiale, soit effectué un signalement au procureur de la République.

Le partage des missions entre l'aide sociale à l'enfance et la justice est ainsi clarifié.

Le président du conseil général avise sans délai le procureur de la République en cas de danger manifeste pour la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé, ou en cas de compromission des conditions de son éducation. Il l'informe également lorsque l'évaluation de la situation est impossible, ou lorsque les parents ne peuvent ou ne veulent pas accepter l'accompagnement proposé par l'aide sociale à l'enfance.

Monsieur le ministre, il faut absolument trouver une solution pratique pour améliorer le retour d'informations concernant les démarches entreprises par le conseil général ou par l'autorité judiciaire vers l'auteur du signalement, notamment du maire. L'obligation d'une telle information existe, mais elle n'est pas toujours respectée, car elle est difficile à mettre en oeuvre ; cela n'en est pas moins hautement regrettable.

S'il est vrai que les procédures sont longues, un effort est cependant attendu de la part de tous. En effet, lorsque aucune suite n'est donnée, parfois pour de simples questions de procédure, il est néanmoins important que les professionnels de l'aide sociale à l'enfance puissent poursuivre leur action de prévention auprès des enfants concernés.

S'agissant de cette question, l'espoir est permis puisqu'un guide national des bonnes pratiques du signalement sera élaboré. Cet instrument existait déjà dans plusieurs départements et il est effectivement judicieux d'en étendre le principe à l'ensemble du territoire.

Le quatrième obstacle, particulièrement délicat, concerne le secret professionnel, sujet quasiment tabou. Le respect du secret professionnel place les intéressés dans des situations particulièrement complexes ; c'est notamment le cas des travailleurs sociaux vis-à-vis de leur hiérarchie. Il est donc important que ce projet de loi élaboré pour les enfants apporte également un encadrement protecteur pour les professionnels qui ont vocation à les protéger.

Ce partage sera sécurisé puisqu'il ne sera autorisé que dans un cadre précis, celui de l'intérêt de l'enfant, dont la situation nécessite un échange et une expertise collégiale. Il s'effectuera uniquement entre professionnels de la PMI tenus au secret professionnel. En effet, il est important que la règle du secret professionnel, essentielle pour maintenir la confiance des familles envers celles et ceux qui les écoutent et les aident, soit réaffirmée.

L'autre évolution nécessaire est l'implication de la famille concernée par le signalement : il est indispensable de chercher à établir avec elle un dialogue et de lui accorder une écoute attentive.

Lorsque le contact peut être établi, il faut expliquer à la famille dans quel cadre la protection de l'enfance intervient et quels sont ses droits. À l'issue de l'analyse de la situation, la famille doit être tenue au courant des décisions prises et de l'évolution du dossier, même si celui-ci est classé sans suite. La place de la famille, et surtout des parents, dans la résolution des problèmes doit être bien cernée.

Plusieurs départements ont d'ores et déjà mis en place un système de contrat avec la famille. C'est très important pour rendre efficaces les mesures entreprises. En généralisant la signature d'une convention élaborée avec la famille, le projet de loi conforte une solution qui a déjà donné de très bons résultats dans plusieurs départements.

Lors des différentes rencontres que nous avons eues, les associations concernées ont été unanimes à dénoncer le manque de souplesse des différentes solutions susceptibles d'être retenues : placement de l'enfant loin de la cellule familiale - avec tous les déchirements que cela entraîne - ou maintien au sein de sa famille - avec tous les risques que cela comporte.

Les départements ont développé de nouvelles pratiques pour faire face à la multiplicité des cas auxquels ils sont confrontés. Le projet de loi vient conforter ce mouvement de diversification des interventions avec de nouvelles formules d'accueil alternatives entre les interventions à domicile et l'accueil du mineur à temps complet hors de son lieu habituel de vie : l'accueil de jour, qui permet d'accueillir l'enfant durant la journée et de lui apporter un soutien psycho-éducatif, auquel les parents peuvent être associés ; l'accueil exceptionnel ou périodique, qui peut être très ponctuel, lors d'une crise familiale, ou se répéter selon une fréquence déterminée, ce qui permet à l'enfant de maintenir le lien avec ses parents et de revenir rapidement chez lui dans un climat apaisé et en toute sécurité ; l'accueil d'urgence pour le mineur en danger ou risquant de l'être, qui ne peut dépasser soixante-douze heures et doit faire l'objet d'une information des parents et du procureur de la République sans délai, ainsi que vous l'avez expliqué, monsieur le ministre.

L'incidence financière de la réforme a été évaluée à 150 millions d'euros, dont 35 millions d'euros à la charge de l'État. Monsieur le ministre, vous l'avez compris, les charges qui pèseront sur les départements devront être compensées, et notre groupe déposera un amendement dans ce sens.

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