Intervention de Bernard Seillier

Réunion du 20 juin 2006 à 16h15
Protection de l'enfance — Discussion d'un projet de loi

Photo de Bernard SeillierBernard Seillier :

Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui a donné lieu à une très large concertation. Je tiens tout d'abord à rendre hommage au Gouvernement qui, sous votre impulsion, monsieur le ministre, a lancé en novembre dernier une large consultation auprès des présidents de conseils généraux et a organisé un débat sur la protection de l'enfance avec les acteurs locaux intéressés, parmi lesquels figurent les associations familiales. Des journées thématiques nationales ont ainsi permis d'aborder des points techniques avec nombre d'experts et de professionnels.

Je veux également saluer la grande qualité de la réflexion de notre rapporteur, André Lardeux, qui est tout à fait l'homme de la situation lorsque nous abordons ce type de sujet.

Monsieur le ministre, j'apprécie votre volonté et votre esprit d'initiative. En effet, l'actualité nous fournit trop d'exemples d'enfants qui souffrent au sein même de leur environnement familial.

Dans une société en mutation permanente, et malgré l'amélioration globale des conditions de vie depuis l'après-guerre, la précarité affecte certaines familles.

Cette précarité n'est pas uniquement matérielle, elle est aussi morale. Depuis plusieurs décennies, la famille est en effet brutalisée par l'égoïsme ambiant, et force est de constater que la « désinstitutionnalisation » progressive de la famille, souvent accompagnée par le législateur, a multiplié les situations de précarité familiale. Le nombre de divorces et de séparations ne cesse d'augmenter, laissant de plus en plus d'enfants et d'adolescents désorientés, alors même que notre société, à travers l'école, les médias ou les loisirs, ne seconde plus suffisamment les familles et échoue à pallier les insuffisances du milieu familial. Ainsi, souvent, des mères se retrouvent seules avec plusieurs enfants et ont des difficultés pour les éduquer.

Les conséquences de cette situation, nous les connaissons tous : des jeunes qui n'ont plus goût à la vie, qui sont en proie à la violence, à la drogue et qui risquent de plonger dans la délinquance, mais aussi, inversement, des enfants victimes de la violence adulte et parfois, hélas ! de leur propre entourage, pourtant censé les protéger.

Ces traumatismes de la petite enfance préparent la dérive de l'adolescence. Les bonnes pratiques éducatives et affectives suivies pendant la petite enfance conditionnent largement l'avenir de la société. C'est pourquoi nous devons nous soucier de mieux aider et soutenir les parents, par le biais des autorités publiques ou des associations, car c'est d'abord aux parents qu'il revient de protéger leur enfant. C'est en s'appuyant sur leurs compétences et sur les ressources de l'environnement familial que l'on peut le mieux aider l'enfant et sa famille. Toute intervention proposée ou imposée pour les aider dans l'exercice de leur responsabilité parentale doit respecter la place qui est la leur et aider toute cellule familiale à se consolider ou à se reconstruire.

Tout doit être en effet mis en oeuvre pour que le maintien de l'enfant dans sa famille soit privilégié, pour que sa santé, sa sécurité, sa moralité et les conditions de son éducation soient préservées. Mais, si ces conditions ne sont pas réunies, il faut lui assurer mieux-être, stabilité, sécurité et faire en sorte que sa dignité soit restaurée.

Les passages d'établissement en établissement, la succession de familles d'accueil, ainsi que les allers et retours dans la famille ajoutent à sa souffrance. Il faut certes chercher à conforter les liens entre l'enfant et ses parents, mais sans subordonner son intérêt au maintien à tout prix de ces liens.

La réforme de la protection de l'enfance améliore la cohérence des textes fondateurs sans les bouleverser, à partir de trois grands axes : une meilleure articulation entre les différents acteurs qui interviennent auprès des enfants et des parents ; l'amélioration du dispositif d'évaluation des risques pour l'enfant, avec une meilleure articulation entre protection sociale et protection judiciaire de l'enfant ; enfin et surtout, un meilleur accompagnement des familles et de l'enfant.

Le très grand nombre d'acteurs publics ou privés intervenant auprès des familles et des enfants remet en cause la lisibilité de leur mission. Actuellement, les différents acteurs de la protection de l'enfance vivent parfois dans la défiance les uns vis-à-vis des autres, au lieu de rechercher une meilleure coopération au profit de l'intérêt supérieur de l'enfant.

Le projet de loi confirme le rôle des départements en matière de développement de la prévention, clarifie les missions de la protection de l'enfance, renforce le dispositif d'alerte et d'évaluation des risques de danger pour l'enfant, articule plus efficacement la protection sociale et la protection judiciaire de l'enfance et, en dernier lieu, améliore et diversifie les modes d'intervention auprès des enfants pour mieux répondre à leurs besoins.

L'État, garant de la cohérence du dispositif, doit contribuer lui-même à la protection de l'enfance, notamment grâce à son action dans les domaines de la justice, de la santé et de l'éducation nationale. Sur ce dernier point, je répéterai inlassablement qu'il faut dépasser le souci exclusif de l'éducation, dans le cadre scolaire, au contrôle des naissances, car cet enseignement postule de manière plus ou moins ambiguë que l'enfant est un gêneur, pour développer dès l'école une véritable éducation affective préparant à l'accueil de l'enfant et à la responsabilité parentale.

Le fait de favoriser le renouveau des mouvements de type scoutisme peut y contribuer, dans la mesure où leur principe fondateur est la responsabilisation des aînés dans la formation des plus jeunes, fondant ainsi la pédagogie de la fraternité et de la maîtrise de soi pour respecter les autres.

Je me félicite aussi que ce texte clarifie les missions de la PMI. Ainsi, dans l'article du code de la santé publique qui énumère les missions du service de PMI, plusieurs modifications sont prévues, telles que le suivi des femmes enceintes, grâce à l'entretien lors du quatrième mois de grossesse, les actions de prévention périnatale et un bilan systématique pour tous les enfants de trois à quatre ans qui fréquentent l'école maternelle.

En effet, la protection de l'enfant ne commence pas à sa naissance, mais dès sa conception. Je rappelle à ce sujet que, contrairement à une évolution récente qui a dénaturé l'esprit premier de la loi Veil, tout devrait être mis en oeuvre pour qu'une femme puisse être davantage soutenue matériellement, psychologiquement et affectivement, pour l'aider à éviter le drame de l'avortement et à connaître, sans en être empêchée, les joies de la maternité, en s'appuyant sur le soutien effectif d'un homme qui ne fuit pas lâchement la responsabilité de sa paternité. L'éducation au respect de la femme, dès l'âge scolaire, doit comporter cette dimension.

Autre point essentiel à mes yeux : ce projet de loi permet d'améliorer le dispositif d'alerte et d'évaluation des risques de danger pour l'enfant, ainsi que l'articulation entre la protection sociale et la protection judiciaire de l'enfance.

Je me réjouis également qu'un accompagnement en économie sociale et familiale puisse être proposé aux familles qui rencontrent des difficultés dans la gestion de leur budget, difficultés dont les effets peuvent être préjudiciables à l'enfant. Il existe déjà des professionnelles dont le métier est précisément d'assister les familles dans la gestion du budget familial : les conseillères en économie sociale et familiale. Toutefois, aujourd'hui, celles-ci interviennent surtout dans le cadre du service social polyvalent, auprès des ménages titulaires d'un minimum social et dans le cadre des dispositifs de prévention du surendettement. Elles sont donc peu associées au dispositif de protection de l'enfance.

C'est pourquoi j'insiste sur le rôle essentiel des réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents, qui valorisent les compétences de ces derniers, à savoir la responsabilité, l'autorité, la confiance en soi et l'élaboration des repères. En fait, ces réseaux d'écoute et d'accompagnement sont les véritables outils de prévention. Or je tiens à souligner que les professionnels capables d'assurer ce type de prestations sont encore trop peu représentés auprès des conseils généraux.

Le projet de loi propose aussi d'améliorer les modes d'intervention auprès des enfants et de leur famille, pour mieux répondre à leurs besoins en matière de suivi éducatif, de conditions d'accueil et de prise en charge. Le dispositif actuel de l'aide sociale à l'enfance comporte certaines lacunes : par manque de personnel, la protection des enfants est peu ou pas assurée le soir, le week-end et pendant les vacances. Pourquoi ne pas réfléchir à la création de maisons familiales, qui permettrait une entraide éducative comblant ces lacunes ?

Un meilleur accompagnement doit permettre de réduire le fossé existant entre les interventions à domicile et l'accueil du mineur hors de son lieu de vie. Des expériences ont été menées dans de nombreux départements en recourant à des formules plus souples et plus évolutives. Il s'agit de mieux répondre aux besoins de l'enfant en y associant ses parents. Sont ainsi proposées des modifications qui permettront de sécuriser ces pratiques sur le plan juridique et de faciliter le développement d'un nouveau mode d'intervention auprès des familles.

Je conclurai en insistant une nouvelle fois sur l'importance de ce projet de loi. Notre société est instable, et ce n'est pas uniquement une question de chômage et d'insécurité. Les repères les plus élémentaires pour asseoir le respect de la dignité des personnes ne sont pas cultivés comme ils devraient l'être. Ce texte peut contribuer à réveiller notre sensibilité sur la hiérarchie fondatrice de tout véritable humanisme, qui place l'homme au niveau des fins et non pas des moyens.

La détresse des enfants maltraités est un indicateur d'alerte de régression sociale vers un état de barbarie. Ne nous étonnons pas outre mesure de ce constat quand, insidieusement, le droit à l'enfant tend trop souvent à prendre le pas sur les droits de l'enfant.

Aujourd'hui, nous agissons sur les situations les plus dramatiques et critiques. Mais la prévention des menaces et des drames restera toujours préférable. Elle est au fondement de la politique qui, depuis les origines de notre civilisation, doit protéger les faibles des abus des plus forts. Il est douloureux de devoir suspecter ceux qui devraient, par nature, être les plus puissants protecteurs des enfants. La réalité des faits nous y oblige. Veillons à ne pas accroître à l'avenir les menaces qui pèsent sur les enfants, en refusant que la satisfaction des désirs adultes prétende structurer la réalité familiale et sociale.

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