C'est la conscience de ce que je dois à une enfance heureuse dans une famille unie qui m'a amené à m'investir tout particulièrement dans la prévention et la lutte contre l'enfance en danger. Tout en effet se joue, tout en effet se noue dans les premières années de la vie. Ce sont elles, et l'environnement privilégié que j'ai eu le bonheur de connaître alors, qui ont nourri mes rêves, mes ambitions, mes désirs et mes envies. Je dois tout à ce cadre stable et équilibré qu'était la famille de mes jeunes années, qui a fourni le moteur et le carburant nécessaires à la découverte et à la construction de ma vie d'adulte.
C'est reconnaissant de cette chance que je me suis investi dans ce domaine au sein du conseil général d'Ille-et-Vilaine dans un premier temps, puis auprès du Groupement d'intérêt public « Enfance maltraitée », que j'ai l'honneur de présider depuis 2002.
Parce que les évolutions qui parcourent notre société et notre époque menacent les équilibres familiaux, parce que bien souvent les enfants font les frais de décisions et de situations sur lesquelles ils n'ont qu'une emprise limitée, l'adaptation de la protection de l'enfance au nouveau contexte sociétal était nécessaire.
L'intérêt supérieur de l'enfant qui tient lieu de fil rouge au projet de loi, la nouvelle culture du travail en commun qu'il établit entre les départements, les services de l'État et l'autorité judiciaire, la famille réhabilitée comme pivot de la prévention sont autant d'éléments qui parlent à ma sensibilité et à mon expérience.
Cette réforme de la protection de l'enfance était - ce n'est pas peu de le dire - pour le moins attendue. Aucune mesure d'envergure de politique publique n'avait été envisagée depuis l'importante loi de juillet 1989.
Et pourtant le besoin d'un toilettage, d'un aggiornamento plus que d'un bouleversement s'était fait sentir à plusieurs reprises pour tendre à davantage d'efficacité. Les acteurs appelaient à un décloisonnement, à une véritable mise en réseau des intervenants et des informations recueillies. Il importait également de mettre à l'unisson l'État, les collectivités locales ainsi que les interventions judiciaires et administratives à la lumière des dernières lois de décentralisation et des besoins qui se faisaient sentir sur le terrain. La protection de l'enfance fait l'objet d'attentions, de dispositions et de budgets importants, mais il y avait, nous le savons, moyen de « resserrer les mailles du filet » pour pallier les « failles en termes de repérage et de signalement », comme le rappelle notre collègue Lardeux dans son excellent rapport. Le défaut de coordination déploré sur le terrain trouve ici une réponse intéressante dans un projet de loi qui mérite un accueil bienveillant.
J'examinerai tout d'abord la forme. Le choix de la méthode retenue honore le Gouvernement et vous particulièrement, monsieur le ministre. Je suis d'autant plus heureux de le reconnaître et de le saluer que j'ai pris la liberté de manifester mon mécontentement à cette même tribune lorsqu'il s'agissait, sur un autre texte, de passer « à la hussarde ». Le temps qui a été pris pour la concertation fait honneur à notre démocratie, à notre Parlement, aux conseils généraux qui ont joué le jeu, et aux acteurs que vous avez rencontrés au cours de l'élaboration de ce projet de loi.
Pour ma part, je regrette que vous n'ayez pas pu être signataire de ce texte, la signature étant réservée au Premier ministre et au ministre de la santé. Mais je suis sûr que cette loi restera votre loi. La concertation que vous avez développée a permis de retrouver certaines des préconisations contenues dans le rapport de mon collègue Louis de Broissia sur l'amélioration de la prise en charge des mineurs protégés et dans celui que j'avais eu le plaisir de vous remettre sur l'amélioration de la procédure de signalement de l'enfance en danger.
J'en viens à présent au fond pour souligner les éléments de clarification qui répondent positivement à certaines des préoccupations qui étaient les miennes.
Il faut commencer par le préalable des préalables, à savoir la redéfinition, à l'article 1er, de la protection de l'enfance et la substitution, à l'article 2, de la notion de « mineur en danger » à celle, beaucoup plus restrictive, de « mineur maltraité » retenue par la loi de 1989. Le code civil et les appréciations forgées empiriquement l'ont emporté, et c'est tant mieux !
L'idée du « mineur en danger » permet en effet de couvrir tout le spectre des situations pouvant physiquement ou moralement atteindre un enfant, y compris et surtout de façon préventive. La formulation retenue mettra un terme aux nuances d'appréciation entre l'intervention judiciaire et l'intervention administrative. L'harmonisation de la définition des situations de danger susceptibles de provoquer une intervention donne enfin cette lisibilité attendue par les acteurs et par les familles.
La première cible des modifications introduites par la réforme, le coeur du dispositif, est la famille, son accompagnement et la prévention des difficultés qu'elle peut rencontrer. C'est une excellente chose. L'idée selon laquelle les liens et les responsabilités familiales ne doivent être altérés qu'en dernier recours est respectée.
Cette attention apportée à l'accompagnement familial se retrouve dans l'effort tout particulier exercé en termes de prévention.
La prévention telle qu'elle s'exerçait jusqu'à présent visait des publics ciblés, déterminés, stigmatisés. Sa vocation la faisait davantage ressembler à un traitement curatif plutôt qu'à un repérage et à un « court-circuit » des situations à risque. De ce point de vue, l'introduction d'un mode de prévention, ouvert à toutes les familles et mobilisant les compétences familiales, est une excellente chose. Tout ce qui concourt à multiplier les occasions de contact entre les familles et les professionnels va dans le bon sens, qu'il s'agisse des services de PMI, qui voient s'élargir par votre projet de loi leurs compétences initiales, ou des bilans et examens faits à l'école, qui sont enrichis d'un volet concernant le développement social de l'enfant et son environnement familial.
On retrouve l'effort accompli en direction des familles dans la diversification entre action éducative à domicile et placement. La consolidation législative d'initiatives menées dans les départements obéit à une démarche pragmatique. Ces initiatives renforcent les capacités familiales et inscrivent les parents et l'enfant dans des réseaux de proximité, permettant ainsi de répondre à des problématiques familiales multiples et spécifiques.
À la lumière des articles 12 et 13 qui créent respectivement une nouvelle forme d'éducation à domicile - l'aide à la gestion du budget familial - et de nouvelles modalités de placement - placement exceptionnel ou périodique, ou encore hébergement à temps partiel -, le projet de loi diversifie les prestations dans le champ administratif et le champ judiciaire.
L'objectif à terme est celui de l'individualisation des réponses en fonction des caractéristiques et des besoins de chaque situation familiale et de ses évolutions. C'est la piste ouverte, selon nous, par l'article 11 du projet de réforme, qui formalise le document « d'engagements réciproques » élaboré avec la famille. Là encore, vous avez mis l'enfant et le bien de l'enfant au coeur des interventions qui seront mises en oeuvre, qui seront évaluées régulièrement, et dont la continuité sera assurée.
L'efficacité à attendre de la réforme en matière de signalement va dans le bon sens.
Le dispositif départemental de signalement des enfants en danger est réformé : des cellules opérationnelles départementales de recueil des informations préoccupantes sont créées et la procédure de saisine de l'autorité judiciaire est rationalisée. Ce changement était préconisé dans le rapport de 2005 de l'ONED, récemment créé. Le système actuel de signalement, qui repose sur deux entrées possibles dans le dispositif de protection, induit en effet plusieurs difficultés : l'absence de lisibilité pour les intervenants et les familles, et l'absence de suivi social de certaines situations, ignorées par le président du conseil général ou classées sans suite par le parquet.
Dorénavant, on trouvera dans chaque département, sous l'égide du président du conseil général, un lieu facilement identifiable par tous pouvant devenir un lieu « ressource » pour les professionnels du département. Le recueil des informations permettra le suivi des décisions pour chaque situation d'enfant protégé et sera en quelque sorte le contrôle de qualité du bon fonctionnement du service. On attend également de l'existence d'un interlocuteur unique la possibilité pour le département d'établir des partenariats avec les institutions qui dépendent de l'administration centrale, justice, éducation nationale, services de police ou de gendarmerie. La formulation retenue d'« informations préoccupantes » et la transmission de l'information aux familles répondent à une double logique de prévention, qui couvre un large champ et, parallèlement, respecte les droits et les intérêts des familles.
Les observatoires départementaux de la protection de l'enfance adossés à ces cellules opérationnelles me semblent aller dans le bon sens, d'autant que la mesure correspond à une demande exprimée elle aussi à de nombreuses reprises par l'ONED. Cette mesure permettra notamment d'avoir une vue d'ensemble statistique en traitant et en « digérant » l'ensemble des données qui proviendront des cellules opérationnelles. Ce sera un outil précieux d'expertise, mis à la disposition du département pour piloter l'offre, comme le suggère la mission qui lui est confiée d'élaborer des propositions d'amélioration des dispositifs.
Le secret professionnel partagé est une condition du succès de l'introduction de ce nouveau contexte. Le contournement de sa lettre permet d'en préserver l'esprit. Les cellules opérationnelles n'ont d'intérêt que par le partage des informations qui les alimentent. Pour qu'elles fonctionnent de façon satisfaisante, il est indispensable que les professionnels puissent y participer sans risquer de voir leur responsabilité pénale engagée. Partager un secret met en oeuvre la responsabilité professionnelle : l'encadrement dont il fait ici l'objet et l'information des titulaires de l'autorité parentale paraissent offrir des garanties satisfaisantes. Encore qu'il soit permis de se demander si la formule « personnes participant aux missions de protection de l'enfance » désigne assez clairement, en l'état, les professionnels habilités à partager cette information et s'il ne serait pas nécessaire d'apporter quelques précisions sur leurs qualités.
Ces mesures, dans leur ensemble, affirment et confirment le rôle pivot donné au président du conseil général au sein du dispositif départemental de signalement, et c'est bien ainsi. Elles ont également le mérite de s'inscrire dans une clarification globale des rôles impartis respectivement aux services sociaux et à l'action judiciaire. La réaffirmation du caractère subsidiaire de cette dernière et la clarification des conditions de son intervention permettront de réduire la tendance à la judiciarisation de la protection de l'enfance et d'articuler au mieux ces deux volets complémentaires qui ressortissent de logiques différentes.
Je terminerai en exprimant quelques nuances et en portant une attention particulière au perfectionnement de la réforme que vous avez élaborée, monsieur le ministre. Le texte qui nous est soumis, au-delà de sa nature et de sa vocation consensuelle, appelle sinon des réserves, au moins des remarques qui peuvent inquiéter.
Tout d'abord, la question de la formation est essentielle. En effet, le succès de la réforme dépend de la capacité des professionnels à détecter, à analyser et à rendre compte des situations à risque. L'élargissement de la cible de la formation opérée par le projet de loi va évidemment dans le bon sens.
Au-delà, la mise en oeuvre de la réforme pourrait cependant se heurter à certaines réalités statistiques. On le sait, cela a été rappelé au cours des auditions de la commission, les services de la PMI connaissent des difficultés de recrutement, notamment de médecins. Il importe d'imaginer des solutions adaptées.
De même, il faut entamer immédiatement une concertation avec les régions, en charge de la formation professionnelle, pour que les places offertes, notamment en école d'infirmières, répondent aux besoins, qui restent énormes en la matière.
La question se pose également pour les conseillers en économie sociale et familiale, dont le nombre semble avoir été sous-évalué par le Gouvernement, et qui sont pourtant l'une des clés de la réussite des nouvelles interventions proposées dans le projet de loi.
J'attire votre attention, monsieur le ministre, sur l'importance du guide des bonnes pratiques qui sera élaboré sous la responsabilité de votre ministère - et je demande au président About de veiller à ce que sa rédaction soit rapide, conforme à la concertation engagée et au contenu des débats de notre assemblée.