Effectivement, lorsque l'on comptabilise les rapports, les missions, le travail des départements, la mobilisation des professionnels, l'appel des cent, force est de constater qu'il ne s'agit pas de la loi refondatrice de la protection de l'enfance tant attendue.
Nous regrettons l'absence d'innovation et d'orientation de ce texte, dont la portée reste trop limitée.
Donnant une sécurité juridique à des pratiques qui existent déjà, il demeure insuffisant si l'on veut modifier les comportements et envisager de nouveaux moyens d'action.
Par exemple, mettre la prévention au coeur du dispositif nécessite un changement d'orientation, qui implique que la protection de l'enfance soit associée à une véritable promotion de la famille par la garantie de droits fondamentaux dans des domaines très concrets, tels l'emploi, le logement, l'éducation ou la santé.
Elle exige également une mobilisation de l'ensemble des partenaires et non de la PMI seule... sauf à dire que la prévention spécialisée n'existe pas, ou qu'il n'y a pas d'autre prévention que la prévention précoce.
Or, la prévention, c'est aussi mettre en place une politique de logement adéquate, une justice suffisamment pourvue en personnel, un système scolaire capable de répondre aux besoins.
Nous en sommes malheureusement loin. Les effectifs ne cessent de baisser. Ainsi, chaque collège devrait avoir une infirmière et une conseillère d'orientation. Qu'en est-il dans les faits ? Pour obtenir un rendez-vous avec une psychologue affectée à un collège, il faut attendre plusieurs mois. Rien dans ce projet de loi ne permet d'espérer une amélioration de la situation ; or, nous le savons tous, c'est à l'école que la souffrance d'un enfant est la mieux détectée.
Encore une fois, si nous ne saurions contester les nécessaires adaptations depuis la mise en oeuvre des lois de décentralisation, il nous faut bien relever que ce texte se contente trop de modifications à la marge, quand il y a nécessité d'instaurer une véritable politique de l'enfance.
Élus, professionnels, parents, nous espérions un texte d'orientation à la mesure du débat qui s'était engagé depuis plusieurs mois.
Hier, le CPE, l'apprentissage à quatorze ans, la convention de reclassement personnalisé : toutes ces mesures ont été vécues comme une défiance à l'égard de notre jeunesse, qui apparaît comme un risque à contenir et non comme une chance et une richesse pour notre société. La lenteur pour nommer le nouveau Défenseur des enfants, le report de la conférence de la famille en juillet sont autant d'éléments qui marquent le malaise du Gouvernement dans sa relation avec les jeunes et son manque d'ambitions pour une véritable politique familiale.
Cela m'amène à ma deuxième observation concernant les manques de ce texte. Je n'en relèverai que deux, les autres feront l'objet d'échanges lors de l'examen des amendements.
Le premier manque a trait à la protection des mineurs étrangers isolés. Aucune amélioration de leur situation n'est apportée par ce projet de loi, alors que les modifications de la loi de novembre 2003 ont porté atteinte à ces jeunes en exigeant dorénavant une prise en charge de trois ans par les services de l'ASE afin de pouvoir prétendre à une régularisation.
Le risque de voir ces mineurs entrer dans la clandestinité est réel et a plusieurs fois été dénoncé, notamment par la Défenseure des enfants.
Contrairement à ce que l'on a pu entendre en commission, ces enfants ne sont pas intégrés automatiquement dans ce texte. Ils n'ont pas le même statut. Pour ceux arrivés en France, l'État est chargé de l'accueil jusqu'à l'autorisation de séjour, condition sine qua non pour accéder à l'intégration scolaire ou à la formation professionnelle.
Le deuxième manque concerne la pérennisation des espaces rencontre parents-enfants.
Le texte intègre des dispositions relatives à l'organisation et à la prise en charge de structures dédiées à des rencontres médiatisées entre parents et enfants. Néanmoins, elles n'existent que corrélativement à la mise en oeuvre d'une mesure d'hébergement exercée par le conseil général.
Or la majorité des mesures de rencontres médiatisées est ordonnée en dehors de ce cadre, par le juge aux affaires familiales. Ces mesures, parfois indispensables afin de maintenir l'effectivité du lien parental, et garanties par la convention internationale relative aux droits de l'enfant, ne font l'objet d'aucune reconnaissance législative. Elles sont, de ce fait, soumises aux aléas des pratiques locales et à la fragilité des mesures de financement.
J'en viens à ma troisième observation. Ce projet de loi n'apporte ni soutien financier ni nouveaux moyens humains suffisants, alors que, lors de votre audition devant notre commission, vous vous étiez engagé à ce que l'État compense les dépenses supplémentaires pour les départements. Vous l'avez d'ailleurs confirmé dans votre propos liminaire. Nous vous proposerons donc, par un amendement, de revenir sur ce manque.
Jusqu'à présent, les conseils généraux ont fait face à leurs responsabilités. Ils ont su anticiper, souvent bien au-delà de ce qu'exigeait la législation, animés par le souci de remplir au mieux les missions qui leur étaient confiées.
Cependant, le projet de loi contient, pour ces collectivités territoriales, de nombreuses dispositions et obligations dont le coût tant financier qu'humain a été largement sous-estimé.
Le Gouvernement a évalué la réforme à 150 millions d'euros, au terme de sa montée en charge prévue sur trois ans, dont 115 millions d'euros seront supportés par les conseils généraux.
Vous avez, monsieur le ministre, par ailleurs annoncé la création de 150 postes de médecins scolaires.
Tous les partenaires sont unanimes pour reconnaître l'insuffisance de ces prévisions.
J'aurais aimé, monsieur le ministre, que vous nous expliquiez de façon plus précise comment vous envisagez de financer concrètement cette maigre participation de l'État.
La branche famille affiche un déficit qui ne cesse d'augmenter, en raison, sans aucun doute, de la prestation d'accueil du jeune enfant, la PAJE, non financée.
Enfin, certaines mesures du projet de loi semblent pour le moins difficiles à mettre en place, en ce qui concerne tant le plan financier que la possibilité de trouver le personnel qualifié - M. Philippe Nogrix vient d'évoquer ce point.
L'instauration d'un référent pour chaque enfant, par exemple, apparaît comme une solution idéale.
Mais comment les conseils généraux trouveront-ils le personnel nécessaire pour mettre en oeuvre une telle mesure ? Une étude d'impact aurait été pour le moins nécessaire. Les manques dans le domaine de la pédopsychiatrie sont criants et, là encore, vos annonces ne nous laissent espérer aucune amélioration.
J'aborderai maintenant le dernier point, portant sur l'ambiguïté de la politique gouvernementale concernant la protection de l'enfance.
Le débat sur la jeunesse et la protection de l'enfance fait l'objet actuellement de deux projets de loi, issus de deux ministères différents et sous-tendus par deux philosophies diamétralement opposées.
Si le texte qui nous est présenté aujourd'hui était, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, attendu des milieux associatifs et professionnels, le projet de loi sur la prévention de la délinquance ne relève absolument pas de la même approche et suscite à juste titre de réels remous dans la classe politique et chez les spécialistes de l'enfant et de l'adolescent.
Deux conceptions s'affrontent donc au sein du Gouvernement : une conception qui fait de l'enfant un être en devenir et qui cherche à mettre en oeuvre les moyens de son épanouissement et une conception dont la préoccupation principale est la protection de la société, fondée sur le déterminisme et la traque du délinquant en devenir.
Ce ne sont pas des thèses qui se complètent, comme on voulait nous le faire croire.
Il ne s'agit pas, à mes yeux, de ne pas sanctionner un délinquant mineur. Mais un mineur en difficulté sociale, éducative ou matérielle n'est pas un délinquant potentiel. Le meilleur rempart contre la délinquance n'est-il pas d'aider chacun à entrer dans une dynamique d'insertion ?
Le projet de loi réformant la protection de l'enfance est examiné avant le projet de loi sur la prévention de la délinquance, et je m'en félicite. Cependant, il ne faudrait pas que ce dernier texte ne vienne vider petit à petit la réforme qui nous est soumise aujourd'hui.
C'est la raison pour laquelle je m'attarderai sur le secret professionnel, le bilan pour les enfants âgés de trois à quatre ans et la mesure d'accompagnement en matière économique et sociale.
Le projet de loi apporte une clarification indispensable en ce qui concerne le secret, délimite les informations susceptibles d'être partagées en fonction de leur objectif et prévoit les modalités d'information des parents.
Cependant, il aurait été plus prudent de définir les catégories socioprofessionnelles concernées.
Au cours de nos auditions, la question a été posée d'associer les maires à ce secret partagé - les maires auxquels le projet de loi sur la prévention de la délinquance accorderait, semble-t-il, une place prépondérante.
Une telle déviance provoque une réelle inquiétude. Introduire les élus au sein de ce partage du secret professionnel n'est pas raisonnablement envisageable.
Il y a à cela plusieurs raisons, la première d'entre elles étant que le maire n'a pas à être informé par principe, mais doit rester un recours conservant une certaine distance pour traiter, selon ses pouvoirs propres, de situations délicates où se mêlent vie privée et ordre public.
De plus, cette intrusion constituerait une source de complexité supplémentaire. Dans quelle mesure les professionnels pourraient-ils obtenir la confiance des familles ainsi que des enfants et instaurer un climat serein si la confidentialité n'est pas respectée ? Et même si le maire était soumis au secret professionnel, il n'en demeure pas moins que ce n'est pas sa fonction.
Nous attendons de votre part, monsieur le ministre, un engagement fort afin que cette idée soit totalement écartée.