Aujourd'hui, monsieur le ministre, vous convoquez notre assemblée sur une question primordiale : notre avenir, puisque nous débattons de nos enfants.
Développer la prévention, renforcer le dispositif d'alerte, diversifier les modes d'intervention, tels sont les trois axes du projet de loi que vous nous présentez.
C'est un beau projet, une belle réforme, que je soutiens dans sa globalité. Pour cette raison, et vous le comprendrez aisément j'en suis sûre, monsieur le ministre, je n'ai déposé aucun amendement, considérant que la plupart des mesures contenues dans ce projet de loi venaient concrétiser des propositions émises dans de nombreux rapports et que les amendements qui ont été déposés par le rapporteur au nom de la commission des affaires sociales permettaient d'améliorer le texte en renforçant son efficacité.
Au-delà des modalités techniques de ce projet de loi, je veux en invoquer l'esprit.
De quoi parlons-nous, en fait, lorsque nous cherchons nos mots, comme le souligne l'article 2 du projet de loi, qui passe de la situation de mauvais traitement issue de la loi de 1989 à la situation d'enfance en danger ?
En fait, ce dénominateur commun institutionnel ne fait qu'exprimer ce qui est blessure d'amour, blessure d'enfance.
Blessure d'amour, blessure d'enfance, parce qu'un père est trop autoritaire ou trop absent, parce qu'une mère est trop fusionnelle ou dépressive, parce qu'un décès brutal, un handicap ou une maladie bouleverse, parce que le foyer déserté devient tombeau, parce que la pauvreté, et avant tout la pauvreté de vie, progresse.
Nous voulons classifier en catégories tous ces « parce que », mais nous n'y arrivons pas tant ils traduisent à l'infini cette incapacité fondamentale d'aimer. Comme si je ne pouvais aimer comme je le veux, et à plus forte raison aimer mon enfant !
Qui d'entre nous ici, parcourant son histoire d'enfance ou sa mission de parent n'en a pas fait l'expérience et ne s'est pas posé la question : puisque je l'aime tant, comment se fait-il que je ne sache pas toujours ce qui lui fait mal ?
Cependant, lorsque l'expérience d'insuffisance d'amour atteint son paroxysme, retentissent rupture, désespoir, carence de soins, sévices et maltraitance.
Ils prennent l'enfant pour cible, l'atteignant dans son coeur d'homme, imprégnant en lui des blessures béantes, comme le dit Caroline : je viens de toucher le fond. Je ne suis pas au bout de mes souffrances qui rejaillissent aujourd'hui. J'avais oublié l'humiliation et le corps et le coeur blessé. Dix ans après je revois tout. Je me sens aspiré par la mort sans vouloir mourir.
Parce que vous avez pour mission, monsieur le ministre, d'alerter l'opinion publique comme la représentation nationale, c'est pour toutes les petites Caroline que vous nous présentez ce projet de loi. Car n'y aurait-il qu'une seule Caroline battue, violée, humiliée, que cette situation insupportable pour qui entend se réclamer de la race humaine nécessite une mesure de protection de l'enfance adaptée au moment adéquat.
De cela, la Haute Assemblée vous sait gré, monsieur le ministre, comme en témoigne l'excellent rapport de notre collègue Lardeux.
Il faut une mesure adaptée pour nos enfants, mais aussi pour les parents. En ce sens, les nouveaux dispositifs d'intervention prévus notamment aux articles 11, 12 et 13 du projet de loi, qui donne une dimension familiale à l'aide sociale à l'enfance, me paraissent fondamentaux. Ils rejoignent la proposition 39 d'un rapport remis au Président de la République et au Premier ministre de l'époque dans le cadre de la préparation du sommet mondial de l'ONU.
Monsieur le ministre, vous avez pour mission d'entourer et de mieux prendre en charge nos familles et nos enfants, mais également de « soigner » la grande famille des professionnels de l'enfance, sur laquelle rejaillit la souffrance des parents comme celle des enfants carencés. À ne pas être parent de ces petits enfants, peut-on se mettre dans un état de disponibilité émotionnelle totale ? À trop s'attacher l'enfant, ne s'épuise-t-on pas ? À se protéger de l'attachement, ne devenons-nous pas mécanique ?
Cette souffrance individuelle se traduit sur l'ensemble de la famille qu'est la protection de l'enfance. Comme toutes les familles, elle a des difficultés, notamment d'entente du couple entre un père - le juge - soit trop protecteur, soit trop sévère, et son épouse - l'aide sociale à l'enfance -, à laquelle il ne parle pas toujours et qui se sent reléguée au rôle d'intendance.
Ils ont des petits amis à protéger - les enfants qui leur sont confiés -, alors ils font semblant de s'aimer et élaborent des schémas départementaux.
Unis, ils le sont, mais ils sont tout autant libres, vivant chacun dans des maisons séparées, sous la tutelle lointaine de leur grand-père - le ministère de la justice - et de leur grand-mère - le ministère des affaires sociales.