À ce mot, j'en ajouterai un autre, qui me paraît tout aussi important et qui lui est consubstantiel, c'est le mot « articulation ». Pour assurer la cohérence du dispositif de protection de l'enfance, il faut que les différentes actions menées en direction des enfants en danger ou susceptibles de l'être s'articulent les unes avec les autres.
Or, quand on regarde le panorama actuel, c'est là que le bât blesse. Sans aucunement être opposée aux nouvelles dispositions introduites dans le projet de loi, qui sont remarquables sur le plan tant de la méthode que du contenu, je m'interroge sur ce nouvel apport législatif : il va venir s'ajouter à plusieurs textes récents dont nous ne mesurons pas encore l'impact avec précision.
Je pense tout d'abord aux dispositifs de réussite éducative, instaurés par la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, qui visent au développement et au soutien éducatif, culturel, social et sanitaire des enfants des quartiers sensibles. Depuis lors, l'article 48 de la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances a instauré un contrat de responsabilité parentale rappelant aux parents leurs obligations. Ce contrat, piloté par le président du conseil général, s'il n'est pas respecté, peut entraîner la suspension du versement des prestations familiales.
Pour être exhaustive, je devrais également mentionner les outils de la politique d'accompagnement à la fonction parentale des caisses d'allocations familiales, notamment les réseaux d'écoute et d'accompagnement des parents et la médiation familiale, sans compter avec les efforts entrepris par l'éducation nationale pour devenir un partenaire à part entière.
En outre, nous avons en perspective l'avant-projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, qui contient lui aussi une série de mesures pour « traquer la délinquance » dès le plus jeune âge.
Convenons-en, cela fait beaucoup de textes à appliquer !
Ensuite, je regarde et j'écoute. Par exemple, dans mon département, les acteurs de terrain m'ont expliqué qu'ils seraient bien en peine de donner leur opinion sur les contrats de responsabilité parentale. Pour l'instant, ils concentrent leurs efforts sur la mise en route des dispositifs de réussite éducative, et ils s'interrogent sur la façon de les appliquer. En s'attelant d'emblée aux situations les plus difficiles, ce qui se comprend, et aux priorités ciblées par l'éducation nationale, peut-être est-on passé à côté d'un travail en parallèle qui aurait pu être davantage axé sur la prévention.
Le point positif, c'est que chacun semble avoir désormais compris qu'il ne pourra pas tout faire seul. Le partage des pratiques est en marche, et c'est une avancée considérable que votre texte facilitera grâce à ses dispositions sur le partage d'informations.
Le point négatif, c'est le risque d'empilement et de dysfonctionnement si l'articulation entre tous ces nouveaux outils et les acteurs impliqués par chacun, à un titre ou à un autre, ne se met pas en place harmonieusement.
Notre législation sur la protection de l'enfance est à l'image de toute notre législation sociale : on accumule strates sur strates avec plein de bonnes intentions. Tout cela gagnerait à être revisité afin d'élaguer les textes et de concentrer les moyens sur l'essentiel. En clair, monsieur le ministre, je serais satisfaite si, ayant confié définitivement aux départements le soin d'être les chefs de file de l'aide sociale à l'enfance, nous leur offrions la certitude qu'ils pourront travailler dans la durée avec les moyens correspondants.
Si, en utilisant la méthode partenariale que vous avez adoptée pour élaborer le projet de loi, vous vous attachiez à avancer ensuite sur la nécessaire articulation des politiques publiques qui ont été ou qui vont être mises en place en matière de prévention de la délinquance et d'action éducative, l'ensemble y gagnerait en efficacité et donnerait tout son sens à la réflexion et à l'action globale que nous devons tous mener en direction des enfants en situation de grande fragilité. Je sais que c'est ce qui vous anime, monsieur le ministre. Je vous en remercie, et j'espère que vos collègues du Gouvernement partageront cette volonté et l'orientation humaine que vous avez voulu insuffler.