L’article 5 inaugure une série de dispositions qui modifient de manière particulièrement anti-démocratique les modes de désignation des présidents des sociétés nationales de programmes, qu’elles concernent la télévision, la radio ou l’audiovisuel extérieur.
Cet article aménage l’article 47-4 de la loi du 30 septembre 1986 pour permettre que le président du groupe soit nommé par décret présidentiel en supprimant le dispositif précédent, à savoir une nomination dévolue au CSA.
Cette mesure, qui constitue l’un des piliers de la réforme voulue par le Président de la République, est non seulement arbitraire du point de vue démocratique et social, mais laisse particulièrement songeur quant aux véritables visées d’une réforme que personne d’ailleurs n’avait jamais réclamée.
En effet, chacun est en droit de se demander comment l’on est passé de l’objectif de « soustraire la télévision publique à la logique du “pain et des jeux” », pour reprendre les mots du Président de la République, à ces manœuvres de mise sous tutelle politique des composantes nationales de l’espace public démocratique.
Quel est le rapport exact entre la volonté affichée de sauver le service public de « la pression de l’audimat » et ce coup porté au CSA – dont la majorité s’obstine à refuser la réforme – et à la démocratie ?
Cette disposition et toutes celles qui s’en inspirent constituent une régression démocratique extrêmement grave. On parle d’un retour à l’ORTF, mais c’est bien pire ! Nulle part en territoire démocratique, même pas dans cette Italie berlusconienne qui semble être le véritable modèle du Président de la République, on ne procède ainsi pour désigner les dirigeants des services publics de l’audiovisuel.
En Allemagne, c’est le conseil d’administration de l’ARD, composé de façon scrupuleusement pluraliste, avec une représentation très rigoureuse des différents courants de pensée, qui nomme son président. Le mode de désignation du président du BBC Trust garantit parfaitement son indépendance. En Italie, c’est la représentation nationale, par le biais d’une commission spéciale, qui est décisionnaire.
La diversité des systèmes en la matière interprète un seul et unique principe fondateur du fonctionnement des espaces publics démocratiques contemporains.
L’indépendance des médias, notamment des médias publics, est seule garante du pluralisme politique et social.
Les arguments avancés par le Gouvernement pour justifier cette abracadabrante mesure sont, de ce point de vue, fallacieux. Ce sont des sophismes !
Que France Télévisions soit une entreprise publique dont l’État est actionnaire ne justifie pas que son PDG soit nommé par le pouvoir, comme c’est le cas pour la SNCF ou la RATP. C’est pécher par réductionnisme managérial. La télévision publique ne fabrique pas des machines, elle ne vend pas un service, elle produit de l’imaginaire et transmet du patrimoine, elle crée du dialogue social et ouvre des espaces de débat public.
Elle est partie prenante, avec la presse, du fonctionnement même de la démocratie et il n’est pas besoin pour comprendre cela d’avoir lu Habermas.
Que le CSA ne soit pas véritablement indépendant, ce que personne ne conteste plus, dicte de le réformer, non d’ossifier le dysfonctionnement de son rapport au pouvoir en en faisant un principe inscrit dans la loi. On en profite au passage pour délégitimer définitivement le principe même d’une instance indépendante !
Rappelons qu’il n’est pas de démocratie véritable sans tiers neutre pour arbitrer les conflits entre représentants et représentés, gouvernants et gouvernés, citoyens et entreprises, pour surveiller que les règles d’équité et de pluralisme sont respectées. Le principe du CSA est un bon principe, à charge pour la représentation nationale de lui donner les moyens véritables de son indépendance.
Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons que demander la suppression de cet article et de tous ceux qui, dans ce projet de loi, en ont la facture.
Si cela n’est pas fait, le futur président de France Télévisions sera demain entièrement redevable au Président de la République. Au lieu de s’affranchir du pouvoir politique, il lui sera inféodé. Déjà, les pouvoirs économiques jouent, du fait des concentrations, un rôle déplacé. Dorénavant, le pouvoir politique jouera un rôle trop important pour ne pas blesser profondément la démocratie au point de la transformer en ce que j’appelle la « démocrature ».
Mes chers collègues, laisser passer de telles mesures ne serait pas digne du rôle de garant des libertés publiques dont nous sommes indirectement les dépositaires.