Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, que de critiques de la part des rapporteurs ! J'en partage un certain nombre, mais je ne suis pas d'accord avec les conclusions qu'ils en tirent.
Nous avons déjà eu l'occasion de le dire lors du débat sur la mise en oeuvre de la LOLF dans la justice, la LOLF rend l'action des parlementaires impossible : nous nous heurtons en effet à l'impossibilité de modifier la répartition budgétaire arrêtée par le Gouvernement. La seule possibilité dont nous disposons est, au sein d'une seule mission, de diminuer les crédits d'un programme pour augmenter les crédits d'un autre, ce qui, en l'occurrence, serait très malvenu, compte tenu des moyens de la justice.
Nous avons déjà critiqué la sortie en catimini des juridictions administratives de la mission « Justice ». Une telle exclusion est surprenante au moment même où le budget se discute par missions. La justice administrative ne serait-elle pas une justice à part entière, indépendante et devant faire l'objet d'une discussion propre dans l'ensemble des moyens de la justice ? Monsieur le garde des sceaux, il vous a été demandé de revenir sur cette façon de faire. Peut-être nous donnerez-vous des explications plus précises à ce sujet.
Le budget est en hausse de 4, 6 %. Mais, nous le savons tous ici, les moyens de la justice sont faibles par rapport à ceux d'autres pays européens, et les besoins sont immenses. Il n'y a donc pas de quoi pavoiser ! Chacun aura remarqué l'étonnante sous-évaluation des frais de justice : ils sont évalués à 370 millions d'euros, alors qu'ils ont atteint 419 millions d'euros en 2004 et qu'on les estime à 504 millions d'euros en 2005 et à 604 millions d'euros en 2006.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez déjà eu l'occasion de nous dire que vous prévoyiez une économie de 62 millions d'euros cette année. Le compte n'y est pas, ce qui pose problème dans ce projet de budget.
De manière plus générale, le rapport de M. du Luart l'a montré, ce budget est absolument ingérable tant que le Gouvernement continuera d'alimenter l'inflation législative et la surenchère pénale : le législateur - et dans ce cas précis la majorité parlementaire - est lui-même responsable de cette considérable augmentation des frais de justice, en multipliant les nouvelles mesures et procédures pénales coûteuses. C'est un cercle vicieux !
Cette augmentation, accompagnée d'une sous-évaluation budgétaire, nuit aussi bien au programme « Justice judiciaire » qu'aux autres programmes de la mission « Justice ». Je pense tout d'abord aux effectifs, qui restent malheureusement insuffisants eu égard aux objectifs de qualité et d'efficacité de notre justice.
Alors que la loi d'orientation et de programmation pour la justice de 2002 prévoyait la création, en 2007, de 4450 nouveaux postes en équivalents temps plein travaillé, nous ne parviendrons, en 2006, qu'à la moitié à peine de cet objectif. L'atteindrons-nous en 2007 ? Cela me paraît douteux !
En 2006, le nombre d'emplois créés, en équivalents temps plein travaillé, atteint péniblement 263 pour l'ensemble de la mission justice. Ainsi, pour le programme « Justice judiciaire », nous constatons une augmentation de 83 emplois par rapport à 2005, soit moins que celle qui était prévue l'année dernière. Par ailleurs, et surtout, si le nombre de magistrats est en hausse, celui des autres catégories de personnel, notamment des greffes et des personnels d'insertion et éducatifs, est en baisse. En outre, il faut tenir compte de la nécessaire anticipation des départs à la retraite qui atteindront - dans toutes les administrations d'ailleurs - un nombre colossal d'ici à 2010-2015.
Cette insuffisance d'effectifs a également des conséquences sur les programmes « Administration pénitentiaire » et « Protection judiciaire de la jeunesse ».
En ce qui concerne l'administration pénitentiaire, le budget augmente de 14, 3 % et prévoit un accroissement des effectifs de 115 emplois.
La loi d'orientation pour la justice programmait 8 millions d'euros et 3740 emplois pour l'administration pénitentiaire entre 2003 et 2007. Force est de constater que nous serons loin d'atteindre cet objectif, alors que les besoins sont considérables en la matière.
Le programme de construction de nouveaux établissements pénitentiaires est loin d'être réalisé. En outre -sans doute est-ce là un point de divergence avec certains - il ne devrait pas concentrer la plupart des efforts budgétaires.
Il est évident que les conditions carcérales continuent de se dégrader, malgré les enquêtes et rapports parlementaires et en dépit des bonnes paroles que nous avons entendues. Les visites répétées et les multiples alertes émanant des professionnels le démontrent tous les jours.
Construire de nouvelles prisons ne constitue que la réponse à la surenchère pénale et à l'inflation législative. Aujourd'hui, le taux d'occupation des prisons atteint en moyenne 118, 5 %. Si les détenus sont un peu moins nombreux que l'année dernière, on ne peut pas considérer qu'un changement de situation soit intervenu. C'est le contraire.
L'accent doit être mis prioritairement sur les peines alternatives à la détention, sur les moyens nécessaires à la formation et à l'accompagnement des détenus en prison, ainsi que sur leur suivi à l'issue de leur incarcération. Or, il n'en est rien dans ce projet de budget.
De même, il serait souhaitable d'encourager le travail en prison - cela a été dit et répété -, mais dans des conditions mieux encadrées qu'aujourd'hui afin de favoriser la réinsertion professionnelle des détenus. Or, là encore, je suis désolée de dire que nous ne voyons rien de positif poindre en la matière.
Par ailleurs, la construction, puis la gestion de ces prisons seront confiées à des entreprises privées. Nous ne disposons que de très peu d'informations à ce sujet. Quel sera le coût d'une telle gestion par le secteur privé ? Nous attendons des précisions sur ce point, monsieur le garde des sceaux.
Rénover le parc de prisons existant est évidemment indispensable, mais doter les services pénitentiaires de personnels supplémentaires, s'agissant tant des surveillants pénitentiaires que des services d'insertion et de probation, l'est tout autant. Or, sur les 115 emplois créés dans l'administration pénitentiaire, seuls 39 sont des postes relevant des métiers de l'insertion et de l'éducatif. Il sera donc difficile de nous démontrer que beaucoup est fait dans ce domaine !
La priorité donnée au répressif et à l'enfermement sur la réinsertion et l'éducatif se traduit aussi lorsqu'il s'agit de la protection judiciaire de la jeunesse.
Nous sommes particulièrement inquiets de la construction de sept nouveaux établissements pénitentiaires pour mineurs, de soixante places chacun, alors que, dans le même temps, le Gouvernement s'est engagé dans la loi d'orientation et de programmation pour la justice à augmenter de 500 places la capacité des quartiers pour mineurs.
Cette augmentation exponentielle des places de prison prévues pour les mineurs, quelle qu'en soit la forme, traduit bien la volonté du Gouvernement de remettre en cause, à plus ou moins long terme, le volet éducatif de la protection judiciaire de la jeunesse et donc l'ordonnance de 1945.