Intervention de Muguette Dini

Réunion du 5 décembre 2005 à 10h00
Loi de finances pour 2006 — Justice

Photo de Muguette DiniMuguette Dini :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le groupe Union centriste-UDF se réjouit de la progression des crédits alloués au budget de la mission « Justice », qui s'élève maintenant à 4, 6 % du budget global.

Il s'agit, monsieur le garde des sceaux, d'une lente et régulière progression, qui ne permet certes pas de rattraper, en une seule fois, des décennies de retard, mais l'évolution des crédits de la mission va désormais dans le bon sens.

En dix ans, la part de la justice dans le budget de l'État a progressé de 27 %, signe encourageant d'une véritable volonté politique. Il s'agit, maintenant, d'en mesurer l'efficacité. C'est tout l'intérêt de la LOLF.

Cependant, cette notion d'efficacité doit être maniée avec précaution, surtout dans le domaine de la justice, car il ne faut pas qu'elle entre en contradiction avec l'impérieuse nécessité d'avoir une justice de qualité traitant l'ensemble des justiciables de manière équitable.

Cette progression des crédits de la mission « Justice » est à saluer, et je souhaite en analyser plusieurs points.

J'évoquerai, tout d'abord, l'architecture de la mission. La LOLF comprend cinq programmes, et je regrette, tout comme mes collègues, que la justice administrative fasse l'objet d'un sort particulier.

Pourquoi, monsieur le garde des sceaux, rattacher la justice administrative à la mission « Conseil et contrôle de l'Etat » et donc, directement, au Premier ministre ? Vous en conviendrez, ce point soulève un sérieux problème d'indépendance pour les juges administratifs.

Nous le comprenons d'autant moins que, l'an passé, l'avant-projet d'architecture de la mission « Justice » comprenait la justice administrative.

Il est vrai que cette dernière, par sa double casquette de conseil et de juge, présente certaines spécificités, mais cet argument nous paraît peu convaincant pour expliquer son exclusion de la mission « Justice », car le Parlement se voit privé d'une vision globale de l'activité judiciaire.

« L'esprit de la LOLF » s'en trouve détourné, puisqu' « une mission comprend un ensemble de programmes concourant à une politique publique définie ». Il semble impératif que la mission « Justice », pour 2007, soit amendée, afin de rétablir ce qui paraît être une véritable anomalie.

Ensuite, notre préoccupation est la maîtrise des frais de justice, qui ne cessent de croître de manière inquiétante. Face à cette accélération, vous nous proposez une enveloppe de 370 millions d'euros. Est-elle suffisante, alors que les dépenses pour 2005 sont estimées à 500 millions d'euros et que l'utilisation des techniques les plus avancées est devenue indispensable dans la recherche d'une vérité incontestable ?

Je fais, bien sûr, allusion aux tests ADN, aux écoutes téléphoniques, aux expertises psychiatriques ou médicales, aux enquêtes sociales. S'il est logique que ces techniques se développent, les sommes facturées sont excessives.

Je salue les mesures que vous avez prises pour garantir une meilleure gestion et je note, d'ailleurs, les diminutions importantes des prix concernant la téléphonie et les analyses génétiques. Vos négociations et des mises en concurrence ont permis de faire chuter les dépenses.

Le passage de crédits évaluatifs au concept de crédits limitatifs devrait aussi permettre d'enrayer, de façon efficace, le laisser-aller général qui s'était instauré dans l'ancien dispositif. Mais que se passera-t-il si une juridiction est amenée à dépasser cette enveloppe ?

Vous affirmez que les frais de justice seront financés sur le budget des juridictions, qui devront donc arbitrer entre les moyens nécessaires à la recherche de la vérité et les besoins de fonctionnement de la juridiction.

Or il serait inconcevable qu'une mesure nécessaire à une instruction ne soit pas prescrite, faute de moyens, et que la recherche de la vérité soit freinée pour des raisons budgétaires. Les justiciables ne comprendraient pas que l'on renonce aux progrès que représentent ces technologies.

En complément, j'insiste sur ce qui constitue certainement une des raisons principales de cette envolée des dépenses, l'absence d'évaluation des nouvelles mesures votées par le Parlement. Cette situation est d'autant plus inquiétante qu'en matière de justice l'inflation législative est importante.

Les nouvelles dispositions sont, en règle générale, très coûteuses. C'est le cas, notamment, du dispositif du bracelet électronique mobile.

La transition sera donc difficile à réaliser, et je crains que les 50 millions d'euros de réserve ne soient insuffisants. Qu'en est-il de l'obligation de sincérité de la loi de finances, qui s'impose au Parlement et au Gouvernement, dans l'élaboration des bases d'évaluation des frais de justice ?

Je dirai un mot également sur le programme « Accès au droit et à la justice ». S'il est impossible, de connaître par avance le nombre de bénéficiaires de l'aide juridictionnelle, ces crédits, comme ceux des frais de justice, deviennent pourtant limitatifs.

Sont-ils prévus à un niveau suffisant, compte tenu de l'évolution des demandes ces dernières années, ou risque-t-on de remettre en cause le droit à être défendu s'agissant des justiciables les plus démunis et les plus vulnérables ?

J'en viens aux dépenses d'investissement. J'ai apprécié l'effort réalisé en faveur de la construction ou de la rénovation de certains palais de justice. Vous répondez là à une attente, légitime et ancienne, des magistrats et du personnel administratif des tribunaux.

Mais un effort financier doit également être réalisé pour protéger les professionnels, très exposés, et la sécurité dans les tribunaux doit être mieux assurée. Nous avons malheureusement de nombreux exemples de personnels agressés verbalement et physiquement.

Ce problème, évidemment, dépasse largement les questions budgétaires. L'époque où l'image de la justice suffisait pour assurer le respect de ceux qui la rendent est bien révolue.

Cela m'amène à évoquer la pénurie des personnels dans les tribunaux. Le problème des effectifs rejoint celui des délais de traitement des affaires et celui de l'exécution des peines.

La justice n'est plus en mesure de faire exécuter toutes ses décisions. Or, plus le retard s'accroît entre la condamnation et son exécution, moins la peine est comprise par la victime, par le condamné et par les enquêteurs.

Où est l'autorité de la justice lorsque la moitié des peines de prison restent inexécutées ? Cette situation décrédibilise l'institution judiciaire et favorise le sentiment d'impunité, sans oublier que, en cas de récidive, les tribunaux ignorent la première infraction, ce qui fausse la nouvelle condamnation.

La loi Perben II a, entre autres bonnes mesures, développé le rôle des bureaux d'exécution des peines. C'est pourquoi nous croyons à la nécessité de continuer dans cette voie.

À l'absence d'exécution des peines s'ajoute l'augmentation croissante des jugements en attente ou non exécutés.

Je voudrais d'ailleurs en profiter pour évoquer l'aspect choquant de la grâce présidentielle quand elle s'applique systématiquement, comme lors des mesures prises chaque année à l'occasion de la fête nationale.

Au cours du stage de trois jours que j'ai fait en juridiction, le procureur m'a montré le dossier d'un délinquant qui, condamné à deux ans de réclusion, avait disparu dans la nature avant son incarcération. De grâce présidentielle en remise de peine systématique, au bout de quatre ans, la peine était purgée sans que ce délinquant ait jamais mis les pieds en prison ! Pour les citoyens informés, et plus encore pour les victimes, c'est un véritable scandale.

Je sais que le principe de la grâce présidentielle est constitutionnel et que la loi n'a pas à en traiter. Je suggère cependant que, lors d'une prochaine révision de la Constitution, nous la modifiions pour que cette grâce ne soit plus un moyen pratique de régler les problèmes de surpopulation carcérale.

J'en reviens maintenant à l'objet de notre débat en évoquant le manque d'emplois au service de la justice.

Certaines juridictions sont en effet surchargées, saturées. Le poids qui repose sur les magistrats y est devenu insupportable, et le ratio entre magistrats et greffiers y est insuffisant.

Afin d'anticiper l'accroissement des départs à la retraite dès 2008, et compte tenu des délais de formation, il est indispensable d'accélérer les recrutements et de renforcer les moyens des écoles de formation initiale.

Les délais de traitement ou le nombre d'affaires jugées ne peuvent être les seuls gages de la qualité d'une décision : les contrats d'objectifs ne permettront jamais d'évaluer l'indépendance, l'impartialité des décisions, la qualité d'écoute, ou encore le respect du contradictoire, valeurs pourtant au coeur des missions de notre justice.

Cela ne signifie pas que nous rejetions le principe de ces indicateurs de performance. Il faudra simplement être moins centré sur les chiffres afin de ne pas fourvoyer notre justice dans une recherche excessive de rentabilité.

J'aborderai maintenant la question délicate de la capacité et de l'état de nos prisons. Il s'agit ici de rendre les conditions de détention plus décentes et celles du travail de nos personnels pénitentiaires plus aisées. Je ne vous apprends rien : la prison est aujourd'hui criminogène.

Pourtant, en dépit du retard pris par rapport aux objectifs de la loi d'orientation et de programmation pour la justice, nous ne pouvons que nous féliciter du développement significatif de la capacité carcérale. Il est toutefois essentiel de prévoir aussi une rénovation des établissements existants, qui, du fait de leur vétusté indigne de notre pays, ont parfois un coût de maintenance très élevé.

Les crédits de l'administration pénitentiaire, en progression de 3, 5 %, permettront, nous l'espérons, de lancer les programmes de construction et de rénovation nécessaires.

Le budget consacre ainsi des moyens supplémentaires à la sécurité des établissements : tunnels à rayons X, rénovation des miradors, appareils de brouillage des communications.

Ce renforcement de la sécurité est essentiel pour soutenir les personnels pénitentiaires, victimes d'agressions toujours plus nombreuses. Je souhaite qu'une réflexion s'engage sur ces métiers, dont les nouvelles fonctions, ces dernières années, contribuent à rendre les prisons plus humaines.

Dans cette même logique d'humanisation, pourquoi ne pas multiplier le nombre d'unités expérimentales de vie familiale, qui s'inscrivent dans le cadre de notre politique de maintien des liens familiaux ? Il s'agit d'ailleurs d'un objectif de performance essentiel puisqu'il permet de lutter contre l'isolement et la désocialisation des détenus, et contribue à retisser des liens familiaux distendus...

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