Il n'est évidemment pas dans mes intentions de stigmatiser les magistrats et les officiers de police judiciaire, qui prescrivent des actes essentiels au déroulement d'une enquête et qui utilisent le plus souvent avec rigueur les moyens qui leur sont alloués.
Le législateur - nous devons avoir l'honnêteté de le souligner - a une responsabilité en la matière : depuis vingt ans, nous avons adopté dix-huit réformes de la procédure pénale, chacune apportant son lot de nouveaux dispositifs aussi utiles que coûteux. Il est donc grand temps que le législateur se responsabilise, en amont, lorsqu'il adopte des dispositifs, et qu'il ne reproche pas aux magistrats d'utiliser, en aval, ces mêmes dispositifs.
Il s'agit, en deuxième lieu, du délai de traitement des affaires. Un signal fort doit être donné à ce sujet. Cela doit être la priorité de votre action, monsieur le garde des sceaux, car c'est l'attente première de nos concitoyens à l'égard de la justice.
La loi d'orientation et de programmation pour la justice fixait en matière civile l'objectif à trois mois pour les tribunaux d'instance, à six mois pour les tribunaux de grande instance et à douze mois pour les cours d'appel. Malgré une amélioration significative - moins de cinq mois pour les tribunaux d'instance, neuf mois pour les tribunaux de grande instance et quinze mois pour les cours d'appel -, le chemin est encore long.
Pourtant, en matière pénale, la situation se dégrade. Si elle se maintient pour les procédures délictueuses à onze mois, elle passe de trente-trois à trente-cinq mois en matière criminelle. Ce n'est pas satisfaisant. Si nous comprenons que ces chiffres doivent aussi s'analyser à l'aune d'une plus grande qualité du traitement, puisque l'amélioration de la réponse pénale est indéniable à en juger par le taux de classement notamment, qui baisse de manière constante, il demeure essentiel de fournir un effort significatif dans le sens de la réduction du traitement des affaires.
Il s'agit, en troisième lieu, de se poser également la question de l'aide juridictionnelle. Tout d'abord, la LOLF nous oblige à passer des crédits évaluatifs à des crédits limitatifs. Ce système, s'il est sain pour la bonne gestion des deniers publics, pose le problème de son adaptation à ce type de dépense, par nature évolutive.
Nous ne pouvons que nous féliciter de l'extension, par de multiples retouches législatives, de ce droit tant à de nouveaux domaines qu'à l'élargissement des populations concernées. Si nous partageons votre objectif du contrôle des bénéficiaires, monsieur le garde des sceaux, nous devons néanmoins nous interroger sur l'augmentation substantielle du programme « Accès au droit et à la justice » au cours des prochaines années.
En effet, sans me livrer à des comparaisons délicates, j'observe que nos partenaires européens consacrent souvent beaucoup plus d'argent que nous à l'accès à la justice. Il ne semble donc pas inacceptable que, dans les années à venir, un effort particulier soit engagé en ce sens.
En quatrième lieu, j'évoquerai les crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse ». Si la protection judiciaire de la jeunesse progresse de 3 % pour 2006, l'essentiel des moyens nouveaux est concentré sur la création de centres éducatifs fermés. Ainsi, l'action n° 1 relative aux mineurs délinquants progresse de 38, 2 %, alors que l'action n° 2 relative aux mineurs en danger et aux jeunes majeurs diminue quant à elle de 16 %.
Nous souscrivons pleinement au développement des centres éducatifs fermés qui, malgré leur jeunesse, démontrent d'ores et déjà la qualité de leur travail de réinsertion des jeunes qui y séjournent. Pour autant, toute politique pénale ambitieuse doit manier avec équilibre prévention et répression.
L'accent mis sur la création coûteuse des centres éducatifs fermés ne doit pas nous faire oublier le nécessaire effort en amont auprès de la jeunesse en danger. Les récents événements des violences dans nos banlieues ont démontré la pertinence de cette action. En effet, une majorité des personnes interpellées étaient des mineurs ou des majeurs de moins de vingt et un ans sans passé pénal.
Il ne faut pas négliger l'action de prévention et d'aiguillage des associations en la matière, car les futurs mineurs délinquants sont souvent des jeunes dont les difficultés n'ont pas été repérées.
À ce titre, monsieur le garde des sceaux, tout en approuvant l'effort entrepris sur les centres éducatifs fermés, je souhaiterais que vous nous éclairiez sur les raisons qui ont présidé à la baisse substantielle de ces crédits.
Enfin, vous me permettrez d'utiliser cette tribune pour vous poser plus précisément quelques questions concernant le département du Haut-Rhin.
Notre collègue Hubert Haenel, ancien rapporteur spécial du budget de la justice, avait rendu le 24 octobre 2001 un rapport, au nom de la commission des finances, au titre évocateur : Splendeurs et misères de la justice dans le Haut-Rhin. Cette mission avait pour objectif, en étudiant le cas particulier de ce ressort de cour d'appel, de réaliser un audit précis des dysfonctionnements et des besoins du monde judiciaire à l'aune d'un cas particulier.
Cet audit très détaillé, qui a conduit notre collègue à se rendre dans toutes les juridictions, tous les établissements pénitentiaires et à consulter des représentants de tous les métiers de la justice, lui a permis de recenser les besoins de ce département.
Sans énumérer chacune de ses propositions, je souhaiterais savoir quelles suites ont été données à ce rapport, notamment sur sa question la plus cruciale, à savoir la nécessité de pourvoir tous les emplois budgétaires prévus mais demeurés vacants.
J'aborderai le cas plus particulier de notre parc pénitentiaire composé de trois établissements. La maison centrale d'Ensisheim et les deux maisons d'arrêt de Colmar et de Mulhouse sont dans un état de vétusté inqualifiable. Il est envisagé de regrouper ces trois établissements sur un même pôle. Quelle solution comptez-vous privilégier, monsieur le garde des sceaux ?