Les taux élevés d'occupation que nous connaissons - 120 %, 130 % et parfois beaucoup plus -concernent les maisons d'arrêt : ce sont donc la construction et la réhabilitation des maisons d'arrêt qui devraient être prioritaires.
Je voudrais déplorer, avec vous certainement, que les prisons françaises soient de moins en moins sûres. Depuis trois ans, l'aggravation de la violence dans les prisons est une réalité : incidents, accidents, taux de suicide élevé. Nous considérons qu'il s'agit d'une des conséquences de l'inflation carcérale. C'est un grave souci non seulement pour les surveillants qui travaillent dans ce milieu dangereux, mais aussi pour les détenus.
Je rappelle que le taux d'occupation moyen des établissements pénitentiaires est de 122 % et qu'il est en augmentation de 2 % par rapport à l'année dernière. Au moment où la loi d'orientation et de programmation pour la justice a été adoptée, en septembre 2002, ce taux d'occupation était de 114 %. On constate donc une dérive inquiétante puisque le taux d'occupation augmente d'année en année. Sincèrement, le décret de grâce présidentielle du 14 juillet ne peut tenir lieu de politique de régulation de la population carcérale !
Nous considérons donc que la politique pénale menée par le Gouvernement est directement en cause : cette situation est en effet liée à l'extension considérable du champ pénal, à l'accroissement des courtes incarcérations résultant de l'explosion des comparutions immédiates, alors que les longues peines ne diminuent pas. La surpopulation carcérale empêche aussi la réinsertion et la resocialisation des détenus, les moyens des services pénitentiaires d'insertion et de probation étant notoirement insuffisants, comme d'ailleurs ceux qui sont alloués aux associations, lesquelles faisaient un travail considérable sur le terrain et ont vu souvent - dans la plupart des cas même - leurs crédits supprimés. J'espère que nous n'allons pas en arriver à cette suggestion que vous aviez formulée vous-même en 2002 : l'utilisation des casernes pour soulager les maisons d'arrêt !
À nos yeux, pour lutter efficacement contre la surpopulation carcérale, l'État doit se donner les moyens d'appliquer les peines alternatives : le travail d'intérêt général, le système du jour-amende, le sursis avec mise à l'épreuve, la confiscation, etc. Il faudrait aussi réduire le nombre de détentions provisoires ; c'est une des maladies du système pénal français que de garder tout prévenu en détention provisoire.
Avec de tels moyens, monsieur le ministre, nous craignons qu'il ne vous soit impossible d'assurer le traitement individualisé des détenus. Je tiens d'autant plus à saluer le dévouement dont font preuve les personnels pénitentiaires qui accomplissent ce travail difficile ainsi que le personnel médical qui intervient dans les prisons et veille sur la santé des détenus, dans des conditions souvent éprouvantes.
Aujourd'hui, le décalage entre les objectifs fixés par la loi d'orientation et de programmation pour la justice et les mesures prévues par le projet de loi de finances pour 2006 est tel que l'on peut craindre, à terme, que la France ne s'achemine vers « un système pénitentiaire à deux vitesses », avec, d'un côté, des établissements neufs confiés au secteur privé, dans le cadre des partenariats public-privé, les PPP - nous ne sommes d'ailleurs pas nécessairement contre les PPP, mais ces établissements vont aspirer la plus grande partie des moyens disponibles -, et, d'un autre côté, les établissements en gestion publique qui verront leur situation s'aggraver. À ce sujet, je me joins à la demande formulée par le rapporteur et par d'autres de nos collègues, afin que nous disposions d'éléments pour établir un bilan comparatif de l'action des PPP lancés depuis plusieurs années.
Je voudrais enfin ajouter qu'un travail important reste à accomplir pour l'équipement des prisons françaises, car nous sommes en retard à cet égard. Cela a été dit par tout le monde, mais je le répète. Il nous faut créer les conditions du maintien du lien entre le détenu et sa famille. Je regrette, de ce point de vue, que les unités familiales soient si peu développées et que, même lorsqu'elles existent, elles ne soient pas mises en service. Les conditions des visites sont également très mauvaises.
Je pense qu'il faudrait maintenir le détenu dans son statut de citoyen. Nous devons avoir une réflexion sur le rétablissement du droit d'association dans les prisons françaises. Ce système fonctionne de manière satisfaisante au Canada et permet une médiation entre l'administration pénitentiaire et les détenus. Je pense aussi, comme bon nombre de mes collègues, qu'il faut augmenter le nombre des juges d'application des peines.
Monsieur le garde des sceaux, telles sont nos observations sur votre budget. Nous considérons que nous n'avons pas les mêmes priorités que vous en matière de politique pénale et de justice. Vous comprendrez donc que le groupe socialiste ne vote pas ces crédits.