Si l’on veut en finir avec l’hypocrisie de la nomination du président, il faut prévoir un nouveau mode de désignation. En Europe, par exemple, c’est le conseil d’administration qui élit son président.
La modification des modalités de nomination des dirigeants des sociétés de la télévision et de la radio publiques et, parallèlement, de leur révocation s’inscrit parfaitement dans la conception de la politique et du pouvoir de l’actuel Président de la République.
Après avoir définitivement « présidentialisé » les institutions de la Ve République en transformant, par sa pratique, le chef de l’État en chef du Gouvernement et de la majorité parlementaire, et en lui octroyant le droit de s’exprimer devant l’Assemblée nationale et le Sénat, le Président de la République veut aujourd’hui « présidentialiser » la gouvernance des entreprises publiques, en commençant par celle du service public audiovisuel.
Ainsi, si les projets de loi que nous examinons entraient en vigueur malgré leur risque d’inconstitutionnalité au regard des dispositions de l’article 34 de notre loi fondamentale, les présidents de France Télévisions, de Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France ne devraient leur légitimité qu’au Président de la République, à la tutelle duquel, qu’ils le veuillent ou non d’ailleurs, ils seraient immédiatement soumis.
En revanche, de la nouvelle source de sa légitimité, le président de France Télévisions tirera une autorité que nul ne pourra lui contester en interne. Cette autorité sera d’autant plus sans partage que le patron de la télévision publique sera devenu le seul capitaine à bord du vaisseau que constituera l’entreprise unique, dont l’organisation, aux termes de l’actuel projet de loi, sera fortement centralisée dans une logique de réduction des coûts de fonctionnement.
Non seulement le président de France Télévisions sera sous la tutelle du Président de la République, mais en raison du fonctionnement même de France Télévisions il ne tirera pas sa légitimité de l’entreprise elle-même, ce qui le mettra au-dessus du conseil d’administration. Dès lors, ce dernier sera réduit au rôle de simple chambre d’enregistrement des décisions prises par le président en exécution des directives de l’État actionnaire. C’est ainsi que le meccano se mettra en place concrètement.
Conformément aux vœux du Président de la République, France Télévisions sera donc devenue une entreprise publique comme les autres, c’est-à-dire un outil au service de l’application des politiques du gouvernement en place.
Mais, comme nous le soulignons depuis le début de ce débat, faut-il vous réaffirmer, madame la ministre, que les sociétés exploitant les services publics de radio et de télévision ne sont pas, et ne seront jamais, quel que soit le désir du chef de l’État, des entreprises publiques comme les autres ? Nous en avons discuté au sein de la commission Copé, qui a conclu, dans son rapport final, que la nouvelle gouvernance de France Télévisions devrait préserver « sa spécificité, que le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de réaffirmer ».
Les exemples étrangers permettent d’ailleurs de faire ressortir un modèle de gouvernance commun à la plupart des grands organismes publics de radiodiffusion dans les démocraties européennes. Très souvent, on nous demande de regarder ce qui se passe en Europe. Je suis d’ailleurs frappé par la méconnaissance des mécanismes étrangers, qui ont pourtant prouvé leur efficacité.
Le régime de gouvernance de ces organismes doit garantir, comme le recommande le Conseil de l’Europe, leur indépendance éditoriale et leur autonomie institutionnelle. C’est bien entendu le cas au Royaume-Uni, où la direction opérationnelle de la BBC est contrôlée par le Trust, fondation totalement indépendante du Gouvernement chargée de représenter les intérêts des contribuables s’acquittant de la redevance. C’est aussi naturellement le cas en Allemagne, où la ZDF est dirigée par un intendant élu pour cinq ans par un conseil de surveillance de soixante-dix-sept membres représentatifs des différents courants de pensée et groupes sociaux composant la société allemande et qui doit rendre compte de son action à un conseil d’administration de quatorze membres. Ne me dites pas que ces deux modèles n’ont pas fait leurs preuves !
Le seul vrai progrès d’une réforme de la gouvernance de notre télévision et de notre radio publique s’inscrirait donc dans un schéma respectant ces principes.
Notre amendement n° 326 va dans ce sens, en démocratisant profondément la composition du conseil d’administration de France Télévisions et en lui donnant compétence pour élire son président parmi les personnalités qualifiées désignées par un CSA réellement indépendant. Nous en avons débattu précédemment : pour que le CSA nomme des personnalités qualifiées de manière indépendante, il fallait que lui-même soit indépendant.
Ainsi, le dirigeant de la télévision publique n’ayant plus de compte à rendre qu’à l’instance délibérative qui l’a élu, la gouvernance de l’entreprise connaîtra elle-même un mouvement de profonde démocratisation.
L’un des moyens essentiels de garantir l’indépendance de notre télévision publique consiste donc à « parlementariser » la gouvernance de France Télévisions.
Conformément aux vœux de la commission Copé, la représentation de l’État y serait réduite à deux membres, sortes de « commissaires du Gouvernement », garants, pour l’un, des intérêts de l’État actionnaire, pour l’autre, du respect de la réglementation de l’audiovisuel public.
En revanche, afin d’assurer le pluralisme des courants politiques, quatre parlementaires siégeraient au conseil d’administration, un député et un sénateur désignés par les groupes de la majorité dans leurs chambres respectives, un député et un sénateur désignés par les groupes de l’opposition et les groupes minoritaires.
Enfin, deux représentants des salariés continueraient à siéger au conseil d’administration de France Télévisions.
Le président issu des rangs des huit personnalités qualifiées désignées par le CSA pourra ainsi diriger la télévision publique en s’appuyant, en toute responsabilité, sur la compétence d’une instance réellement délibérative.
L’amendement n° 327 est un amendement de repli, qui concerne uniquement la représentation parlementaire.
Si le conseil d’administration de France Télévisions ne compte que deux parlementaires, ce seront un député et un sénateur de la majorité ; donc, aucun parlementaire de l’opposition ne sera représenté.
En proposant que soient désignés quatre parlementaires, nous réglons deux questions : ainsi seraient représentées l’opposition et la majorité, ainsi que deux commissions parlementaires, la commission des affaires culturelles et la commission des finances.