Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si une Constitution a pour objet de protéger les libertés civiles et politiques et de définir les principes et les règles de l’organisation et du fonctionnement des pouvoirs publics, elle doit aussi, en tant que norme de référence de la vie démocratique d’une communauté nationale, évoluer pour garantir l’effectivité des principes et des règles qu’elle énonce.
De ce point de vue, il est évident que le rôle joué par les médias, dans la société en général et dans l’espace public en particulier, n’est plus comparable à ce qu’il était il y a quarante ou cinquante ans.
Ainsi, la « société de l’information » n’est pas qu’un concept de prospective ou un slogan publicitaire ; elle est une réalité à l’heure où la vie de nos concitoyens, tant dans ses différentes dimensions sociales que dans sa sphère privée, est de plus en plus marquée par les médias.
Selon une étude récente, chaque Français de treize ans et plus a eu en moyenne plus de quarante et un contacts par jour en 2007 avec un « support média ou multimédia », les 15-24 ans ayant eu pour leur part plus de quarante-cinq contacts quotidiens de ce type. De plus, ce sont neuf Français sur dix qui regardent la télévision tous les jours, huit sur dix qui écoutent la radio ou lisent la presse écrite et plus du tiers qui « surfent » sur Internet.
La notion de « média de masse » n’a donc jamais été plus d’actualité et elle doit amener le législateur constitutionnel à considérer le rôle des médias dans la société et l’espace public comme un véritable pouvoir, dont il faut encadrer l’exercice pour éviter que ses utilisateurs n’en abusent.
C’est d’ailleurs bien le sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel quand elle reconnaît comme objectif de valeur constitutionnelle le pluralisme, en affirmant par exemple, dans une décision du 18 septembre 1986 sur la future loi « Léotard » du 30 septembre 1986, que le respect du pluralisme de l’expression des différents courants politiques et socioculturels sur les supports de communication audiovisuelle est « une des conditions de la démocratie ».
Or, l’évolution actuelle de l’économie du secteur de la communication et les liaisons qu’entretient le Président de la République avec la plupart des patrons de presse, de radio et de télévision, nous font penser que cette garantie apportée par le Conseil constitutionnel au pluralisme est devenue notoirement insuffisante.
En effet, à l’heure de la dématérialisation de l’information, des groupes de communication intégrant une multiplicité de supports – presse, radio, télévision, Internet – voire contenants – matériels et réseaux de télécommunication – et contenus – services audiovisuels et presse –, dominent le marché. Mais, en France, cette concentration va au-delà du secteur de la communication : que ce soient Bolloré, Dassault, Lagardère, LVMH, aucun de ces groupes n’a pour métier principal et originel l’information. Qui plus est, à l’exception de LVMH, tous tirent une part substantielle de leurs revenus de commandes publiques.
Ce phénomène de concentration, unique au monde, est d’autant plus inquiétant que l’actuel chef de l’État entretient des relations de proximité avec tous les patrons des groupes cités, et ne se prive pas d’en user et d’en abuser pour influencer la ligne éditoriale des principaux médias du pays.