Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la période s’y prêtant, permettez-moi tout d’abord de souhaiter à l’ensemble des personnels du Sénat de bonnes fêtes de fin d’année et mes meilleurs vœux pour l’année nouvelle.
Ce collectif budgétaire se caractérise tout d’abord par l’accroissement du déficit public en 2008. Le projet de loi de finances initiale dont nous avions débattu prévoyait expressément un déficit budgétaire de 41, 7 milliards d’euros. À l’époque, le Gouvernement croyait aux vertus de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA, et des multiples réformes entreprises depuis le printemps 2007 pour porter, selon lui, la croissance au-delà des prévisions prudentes du début de l’automne dernier. Depuis, on le sait, la situation économique s’est fortement dégradée, et on connaît les résultats de ces mesures.
Sur le plan budgétaire, avec le collectif du mois d’octobre et le présent texte, le déficit s’est creusé, passant de 41, 7 milliards d’euros à 51, 5 milliards d’euros, en attendant une loi de règlement peut-être encore plus maussade.
S’agissant, par exemple, de la « production » de titres de dette, ceux-ci sont passés d’un plafond de 146, 9 milliards d’euros à 159, 5 milliards d’euros, tandis que la variation nette de la dette de moyen et long terme passait de 16, 7 milliards d’euros à 31, 3 milliards d’euros. L’État va tranquillement dépasser les 1 000 milliards de dette et, dans cet ensemble, notons l’accroissement des bons du Trésor sur formules passés, en un an, de 78 milliards d’euros à 132 milliards d’euros !
Pour la croissance, chacun sait ce qu’il en est : en lieu et place de la prudente estimation à 2 %, nous nous retrouvons avec une croissance qui risque d’être inférieure à 1 % et une perspective guère plus réjouissante pour 2009. Ce texte, comme la loi de finances initiale, parie encore sur une croissance comprise entre 0, 6 % et 1, 2 % l’an prochain.
Que se passera-t-il si les prévisions de l’INSEE, à savoir une récession marquée entre le dernier trimestre 2008 et le premier trimestre 2009, viennent à se vérifier, c'est-à-dire si nous sommes clairement dans une phase de récession ? Dans sa note de conjoncture de décembre, l’INSEE retient en effet une hypothèse de récession de 0, 4 % au premier trimestre 2009 et de 0, 1 % au deuxième trimestre, tandis que le niveau de l’emploi se traduirait, sur l’ensemble du semestre, par la suppression de 210 000 postes de travail.
Résumons mieux : les orientations du plan de relance prévu dans ce collectif, comme dans celui que nous examinerons certainement à la fin du mois de janvier, ne permettront, au mieux, que de ralentir l’importance de la récession. Alors, évidemment, se pose la question récurrente : d’où vient le mal ?
Le discours gouvernemental s’est empreint d’une gravité croissante depuis plusieurs semaines, plus exactement depuis le mois d’octobre. Il est loin le temps des imprudentes déclarations comme « le gros de la crise est derrière nous » ; voici venu celui du « s’il faut faire plus, nous ferons plus ».
Je vous rassure, monsieur le ministre, le gros de la crise était bien derrière nous en septembre, et ce depuis plusieurs mois d’ailleurs ! Il n’a fait que pousser dans le gouffre la situation budgétaire de l’État, situation qui s’est dégradée bien avant que d’aucuns s’en rendent compte. Ce n’est pas depuis le mois de septembre ou d’octobre que l’emploi privé diminue dans notre pays, ni que l’activité connaît un ralentissement ! C’est bien avant que la situation avait commencé à se détériorer, malgré les réformes menées par le Gouvernement, ou à cause d’elles. Pour notre part, nous pensons que c’est justement en grande partie à cause de ces réformes.
Par exemple, la loi TEPA a provoqué bien des dommages à la situation économique et sociale du pays : les heures supplémentaires expliquent aujourd’hui la stagnation des salaires, la suppression des emplois intérimaires – 50 000, me semble-t-il – et le développement, en cette fin d’année, du chômage technique.
Est-il venu à l’esprit du Président de la République que les stocks de voitures invendues avaient souvent été produits au travers des fameuses heures supplémentaires ? La loi TEPA a encouragé le maintien à un haut niveau des prix de l’immobilier, parce qu’on a restreint le marché en raison de l’exonération des donations et encouragé les banques et les promoteurs à maintenir des prix élevés du fait du crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt !
Quant aux sommes généreusement distribuées dans la loi aux détenteurs des patrimoines et des revenus les plus importants, elles semblent encore aujourd’hui faire défaut à la croissance économique, d’autant que les titres de la dette publique sont appelés à rester une valeur de placement sûr.
Si vous aviez réellement voulu lutter contre les déficits, vous auriez dû, à notre avis, procéder à l’indispensable remise en question de la loi TEPA. Tel n’est pas le cas aujourd’hui !
Aujourd'hui, vous préférez nous jouer le grand air de la compassion et de la gravité mêlées : les temps étant durs et les perspectives sombres, vous appelez les Françaises et les Français à la responsabilité et à la mesure, escomptant leur faire partager le poids de la crise. Mais, à bien y regarder, ce collectif budgétaire, qui se présente comme le premier volet du plan de relance, n’est pas seulement un sombre catalogue de mesures d’austérité. Il est aussi dans l’air du temps en ce sens qu’il regorge de divers cadeaux fiscaux, mais toujours destinés aux mêmes.
Des milliards d’euros de déficit public supplémentaire pour rembourser plus vite les entreprises qui feront jouer le crédit d’impôt recherche, des milliards pour les exonérer de taxe professionnelle, des milliards pour leur rembourser tantôt des crédits de TVA, tantôt des crédits d’impôt sur les sociétés, tantôt des factures en souffrance !
Des millions encore pour que les pauvres investisseurs immobiliers puissent, après leurs mésaventures boursières, se refaire avec un dispositif incitatif définissable comme un « super Robien ».
Nous ne cesserons jamais de nous étonner que vous préconisiez systématiquement, face à la crise du logement, des solutions portant sur l’offre et jamais sur la demande. J’incline pourtant à penser que le plus urgent, en matière de logement, c’est d’abord de répondre à l’attente des mal-logés et des sans-abri, avant de satisfaire le désir de rentabilité des investisseurs. Mais telle n’est pas votre analyse !
Et, pour faire bonne mesure, le collectif encourage encore, bien entendu, l’évasion fiscale, littéralement codifiée sous les chapitres « Sécurité juridique » et « Simplifications », au lieu de s’engager sur la voie d’une lutte résolue contre la fraude fiscale et sociale, plaie symptomatique d’une économie de marché de plus en plus désordonnée.
Que contient le collectif pour les ménages les plus modestes, pour les salaires ? Rien ou presque. À peine a-t-on entendu que les allocataires du RSA toucheraient en avril 2009 une prime de 200 euros !
Sur le front des traitements de la fonction publique, on en reste à l’usage du glissement vieillesse technicité, le GVT, et, pour les salariés du secteur privé, il n’est question que d’allégement des cotisations patronales...
J’allais oublier ! Mme Morano, secrétaire d'État chargée de la famille, annonce que la carte famille nombreuse va être étendue aux familles modestes et monoparentales disposant de moins de 1 000 euros de revenu médian. Annonce de caractère strictement publicitaire, faut-il le préciser ? D’abord, cela ne change rien à certaines des conditions tarifaires pratiquées par la SNCF puisque les taux de réduction seront les mêmes que ceux qui existent déjà. Ensuite, cela ne coûte pas un centime à l’État, puisque c’est la SNCF, au travers de sa propre politique tarifaire, qui va prendre en charge le coût de cette mesure !
Mais il est toujours utile pour son image de se faire de la publicité ! Et tant mieux si c’est avec l’argent des autres !
Au demeurant, quand la même secrétaire d'État visite un magasin de prêt-à-porter en vantant les mérites de la baisse des prix pratiquée sur quelques références, cela pose problème... À peu près autant qu’un ministre des affaires sociales venant visiter une librairie ouverte le dimanche pour illustrer la nécessité d’ouvrir les commerces ce jour-là !
De fait, sur le pouvoir d’achat et la revalorisation du travail, ce projet de collectif, pas plus que la loi de finances, ne répond aux attentes populaires. Monsieur le ministre, si l’on veut que les constructeurs automobiles vendent leurs voitures, encore faut-il que la plus large fraction de la population ait un pouvoir d’achat suffisant pour les acquérir ! Or, ce pouvoir d’achat, c’est bien ce dont de plus en plus de Français manquent !
Cette absence de réponse pertinente à la situation de notre pays se doublant, de surcroît, de la poursuite de votre politique sur l’emploi et les services publics, vous comprendrez aisément que nous ne puissions voter ce texte qui fait payer le prix de la crise au plus grand nombre !