Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ne peuvent que se féliciter de l'examen par le Sénat de propositions de loi relatives à la lutte contre les violences conjugales.
Il était temps que le Parlement débatte enfin de ce problème, entende l'alerte lancée par de nombreuses associations et différents rapports et que des mesures politiques soient prises pour éradiquer ce véritable fléau social.
Si des avancées ont été incontestablement réalisées grâce à la lutte des femmes pour leur émancipation et si l'égalité entre les hommes et les femmes a été affirmée dans de nombreux domaines, force est de constater la persistance de violences masculines exercées à leur encontre. Pendant des siècles, une tolérance sociale a existé comme une forme admise de la domination des hommes sur les femmes. Le rapport de domination caractérise encore et toujours les rapports sociaux.
Mais s'il est un domaine où les violences ont été longtemps occultées car intervenant dans la sphère privée, c'est celui des violences conjugales.
Les élus communistes ne sont pas restés inactifs face aux violences faites aux femmes au sein de leur couple. C'est en octobre 2003 que notre collègue communiste Muguette Jacquaint, députée de Seine-Saint-Denis, a déposé une proposition de loi relative à la lutte contre les violences au sein du couple ; c'est une même proposition de loi qui fait l'objet de notre discussion aujourd'hui.
Le problème des violences au sein du couple est urgent à traiter, et pourtant nous connaissons les chiffres officiels depuis déjà cinq ans. Dans ce cadre, nous pouvons d'ailleurs parler sans grande hésitation de violences à l'égard des femmes : les violences au sein du couple sont, dans près de 99 % des cas, le fait d'agresseurs masculins.
Grâce à l'Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, l'ENVEFF, qui date déjà de 2000, il a été possible de mesurer l'ampleur des violences à l'encontre des femmes au sein de leur couple. L'ENVEFF confirme avec force les principales analyses déjà produites par les organismes et les associations luttant contre les violences faites aux femmes.
De cette enquête, il ressort que les violences à l'égard des femmes sont très fréquentes. Parmi les femmes de vingt à cinquante-neuf ans vivant en couple, une sur dix a été victime de violences de la part de son conjoint ou de son concubin dans l'année précédant l'enquête, mais seul un petit nombre d'entre elles ont fait appel aux services de police et encore moins déposé une plainte.
Le rapport présenté par le professeur Henrion au ministre de la santé en février 2001 est encore plus inquiétant. Il révèle que « les violences conjugales sont une des causes principales de mortalité des femmes, qu'il s'agisse de suicides, d'homicides ou de décès dus à des pathologies en lien avec la violence ».
Si une femme sur cinq est victime de violences conjugales au cours de sa vie, six femmes meurent chaque mois des suites d'actes violents de leur conjoint ou de leur concubin, les violences surgissant d'ailleurs dès la première année de vie commune.
Par ailleurs, malgré les idées reçues, il n'existe pas de profil particulier des couples où se déroule une telle violence, et rien ne prédestine une femme à devenir la victime de son conjoint. Les pourcentages et les chiffres rapportés sont équivalents quelle que soit la catégorie sociale, avec néanmoins une légère surreprésentation des catégories sociales élevées et des femmes sans emploi.
Comment se fait-il alors que la lutte contre les violences conjugales n'ait pas fait l'objet de travaux législatifs plus tôt ?
Certes le couple, voire la famille, est une institution sociale. C'est une affaire privée, c'est une histoire intime où interviennent les sentiments, la relation amoureuse. Cependant, la violence qui s'y déroule ne peut être appréhendée comme une affaire privée et elle est d'autant plus inacceptable qu'elle est cachée, presque reconnue comme ordinaire, s'alimente d'un sentiment d'impunité mais aussi de domination et de non-respect de l'autre. Elle est véritablement un problème de sécurité et de santé publique et doit être traitée comme telle.
Encore faut-il qu'une situation de violence au sein du couple soit connue et dénoncée par la victime. Car ce qui caractérise souvent une situation de violence conjugale, c'est l'isolement et le silence dans lequel s'enferme la victime. Dans la majorité des cas, les femmes ne parlent pas des violences qu'elles subissent et s'isolent progressivement de leur famille et de leurs amis.
Le rôle des associations, des professionnels de santé, de la justice, de la police ou encore du législateur n'est pas de s'immiscer dans la vie privée de chacun de nos concitoyens. Mais il est important que le tabou des violences conjugales tombe et que le débat sur les moyens de lutter contre ces violences soit enfin public. C'est par la connaissance de leurs droits que les femmes victimes trouveront les moyens de sortir du cercle de cette violence et de l'isolement dans lequel elles peuvent se trouver.
Dans le cas des violences au sein du couple, c'est précisément la prise de conscience et le refus des violences subies qui constituent le déclenchement de toute procédure, civile ou pénale. Refuser la violence signifie donc tout d'abord que la femme qui en est victime ait conscience de sa situation.
À ce stade, c'est non pas la loi qui joue un rôle primordial, mais bien les acteurs de la prévention des violences conjugales. Et cela fait déjà longtemps que les associations, véritables acteurs de terrain, interviennent dans ce domaine. Néanmoins, l'Etat doit mobiliser des moyens financiers et ne pas laisser aux seules associations cette responsabilité.
Leur rôle est précieux, tant en termes d'accueil et d'écoute que de conseils juridiques. Mais surtout, par l'information qu'elles diffusent et leurs diverses campagnes de prévention, elles contribuent à la prise de conscience que les violences conjugales sont inacceptables. Cette information est indispensable afin que les femmes qui subissent des violences et qui n'arrivent pas à sortir de l'emprise de leur conjoint sachent que la situation qu'elles vivent n'est pas tolérable, qu'il est porté atteinte à leur intégrité physique et morale et que leur conjoint n'a pas le droit d'exercer des violences sur leur personne.
Par ailleurs, ces associations permettent d'aider la femme à trouver un logement provisoire, à prendre contact avec un avocat, à faire les démarches auprès de la police.
En fait, les violences conjugales ne relèvent pas du même processus psychologique que les autres catégories de violences. Elles se caractérisent par un fort sentiment de culpabilité ressenti par les femmes qui en sont victimes vis-à-vis de leur conjoint. Cette culpabilité vient s'ajouter à l'emprise exercée par ce conjoint. Les femmes s'imaginent être responsables de leur situation et se sentent coupables. Ce sentiment est d'autant plus accentué que leur conjoint les confortera dans cette culpabilité et exercera une emprise psychologique telle que les femmes se considèrent parfois comme incapables de se sortir de cette situation.
Cela explique notamment pourquoi les plaintes sont si peu nombreuses. En effet, les violences contre les femmes donnent rarement lieu à une démarche auprès de la police. Dans ce domaine, il existe un fort décalage selon la sphère de vie concernée : ainsi, pour les violences subies dans l'espace public, 43 % des femmes font une démarche auprès de la police ; cette proportion chute à 13 % pour les violences subies au sein du couple.
Ce décalage est encore plus marqué pour ce qui est du dépôt de plainte, lequel a lieu dans 35 % des cas pour les violences subies dans l'espace public et dans 8 % des cas pour les violences subies dans la relation de couple.
Il est donc nécessaire de renforcer la formation des professionnels susceptibles d'être confrontés à des femmes victimes de violences conjugales, qu'il s'agisse des acteurs sociaux, médicaux ou judiciaires. Il convient d'inciter ces acteurs, en fonction de leurs missions respectives, mais toujours dans un souci de coopération, à s'impliquer dans la prévention, le dépistage et la protection des femmes victimes de violences conjugales.
L'information est l'un des facteurs qui permet à la victime de franchir l'étape souvent douloureuse de la dénonciation de la situation de violence. En ce sens, les actions telles que l'actuelle campagne de publicité télévisée doivent être soutenues.
Si la victime réussit à porter plainte, tout n'est cependant pas encore terminé pour elle, car se pose en effet le problème de l'éloignement du conjoint du domicile conjugal.
On déplore aujourd'hui l'insuffisance des lieux d'accueil destinés aux femmes victimes de violences. Au demeurant, l'existence de telles structures ne devrait pas constituer le seul moyen d'action : il nous semble en effet insuffisant et injuste d'orienter une politique de prévention des violences conjugales uniquement sous cet angle. La fuite du foyer, même sans compter l'appréhension causée par le manque de moyens financiers, peut être ressentie comme un acte particulièrement traumatisant, surtout si la femme part avec ses enfants.
On peut supposer que les femmes seraient plus enclines à porter plainte plus tôt, à ne pas vivre si longtemps dans la peur et la culpabilité si elles savaient que leur conjoint violent peut être obligé de quitter le domicile. Une telle possibilité est désormais inscrite dans la loi pour les couples mariés, à la suite de l'adoption de la loi relative au divorce.
Néanmoins, nous le savons bien, les violences ne concernent pas que les couples mariés. L'éloignement du concubin ou du partenaire doit donc être également possible.
En matière d'éloignement du conjoint violent, deux impératifs sont à respecter : le principe de la présomption d'innocence et la nécessaire protection de la victime. Selon nous, une telle mesure doit être prescrite et encadrée par un juge et soumise à son contrôle.
C'est pourquoi nous avons souhaité inscrire la possibilité d'un éloignement du conjoint du domicile du couple dans le cadre du contrôle judiciaire. Certes, l'article 138 du code de procédure pénale prévoit déjà que le juge peut prescrire à la personne mise en examen de « ne pas se rendre en certains lieux » et de « s'abstenir de [...] rencontrer certaines personnes ». Notre objectif, qui est apparemment partagé par l'ensemble de la commission, est d'inciter les magistrats à utiliser cet article 138 afin d'éloigner le conjoint violent du domicile conjugale.
Dans notre proposition de loi, nous prévoyions de compléter l'article 138 du code de procédure pénale de telle sorte que l'injonction de soins puisse être prononcée à l'encontre d'un conjoint violent.
En effet, la violence conjugale s'exprime soit directement, c'est-à-dire physiquement, soit par ce type de violences que l'on nomme « emprise psychologique ». L'une et l'autre sont des entreprises de démolition de l'estime de soi. L'emprise est destinée à obtenir l'adhésion de la victime au système agresseur, tout en permettant à l'agresseur de se déresponsabiliser et de transférer la responsabilité de son comportement sur la victime. C'est pourquoi il ne semble pas disproportionné que, sans préjuger l'état psychologique de l'agresseur, il puisse lui être enjoint rapidement d'être suivi par des professionnels de santé.
Cette injonction de soins thérapeutiques existe déjà dans le cadre du contrôle judiciaire, notamment aux fins de désintoxication, et nous ne comprenons pas pourquoi son extension aux cas de violences conjugales n'a pas été retenue.
Dans notre proposition de loi, nous n'avons pas voulu renforcer des sanctions qui existent déjà dans le code pénal. A titre d'exemple, le viol conjugal est reconnu depuis la loi du 23 décembre 1980.