Intervention de Roland Courteau

Réunion du 29 mars 2005 à 16h00
Prévention et répression des violences au sein du couple — Discussion des conclusions modifiées du rapport d'une commission, amendement 14

Photo de Roland CourteauRoland Courteau :

Comment douter que, portées au paroxysme, de telles situations de crise n'entraînent la personne qui les subit sur des pentes extrêmement périlleuses pour sa santé et pour sa vie ?

« Je suis détruite, m'écrivait une jeune femme, et je ne peux fuir le domicile parce j'ai des enfants, et je ne sais ce qu'ils deviendront si je m'enfuis... Et puis, où me réfugier ? Je n'ai personne chez qui aller, pas d'emploi, pas de ressources. En fait, ajoutait-elle, je suis son otage et je vis l'enfer... »

Or ce type de violence ne laisse pas de trace. On détruit un être à petit feu, mais sans marque visible, c'est-à-dire sans preuve. De tels agissements sont donc très difficilement punissables. C'est l'arme par excellence de l'agresseur adroit : ça ne se voit pas et ça peut tuer. Nous sommes vraiment loin du conflit conjugal et il faut être coupé des réalités de la vie pour l'ignorer. L'Espagne a su, elle, traiter ce problème dans sa nouvelle législation.

Revenons au cas plus général des violences au sein du couple, qu'elles soient physiques, sexuelles ou psychologiques. C'est bien parce que j'ai le sentiment que le mal gagne du terrain que nous avons déposé une proposition de loi spécifique tendant à lutter contre ces violences, grâce à un dispositif global de prévention, de répression et d'aide aux victimes.

C'est d'ailleurs l'UNICEF qui recommande aux différents gouvernements de « prohiber spécifiquement la violence à l'égard des femmes », tandis que, selon les Nations unies, « des lois spéciales comportant des procédures et des moyens spéciaux devraient être établies ».

Les interdits les plus efficaces sont parfois, mes chers collègues, ceux qui sont les mieux affichés, à condition cependant qu'ils soient complémentaires de mesures d'éducation, de prévention et de solidarité en faveur des victimes.

Il nous a donc semblé que notre législation ne pouvait être en retrait par rapport aux évolutions d'un mal qui n'épargne, par ailleurs, aucun continent ni aucun pays.

Mais s'il est vrai que la violence à l'encontre des femmes est un mal universel, force est de constater que certains pays, comme l'Espagne ou le Canada, ont su légiférer pour traiter globalement ce problème.

Ainsi, en Espagne, au Portugal et en Suède, les violences conjugales sont explicitement prises en compte par le code pénal. Les violences psychologiques répétées et les violences physiques font l'objet de sanctions qui s'ajoutent aux peines déjà prévues pour les infractions telles que les coups et blessures.

En Autriche, une loi permet à toutes les victimes de demeurer dans leur logement. En Suède, chaque commissariat tient à la disposition de la personne menacée des équipements d'alerte.

Quant aux membres du groupe socialiste et des Verts de notre assemblée, ils ont souhaité, dans leur quasi-totalité, grâce à une proposition de loi, faire progresser les domaines de la prévention, de l'aide aux victimes et de la répression.

Monsieur le rapporteur, je comprends fort bien que la commission des lois n'ait voulu retenir que les points qui relèvent de sa compétence.

S'agissant du volet pénal, la plupart des dispositions que nous proposions ont été retenues, et nous vous en remercions.

Concernant les volets de la prévention et de l'aide aux victimes, nous persisterons dans notre position et défendrons plusieurs amendements.

Selon nous, la prévention doit commencer par des journées d'information à l'école, au collège et au lycée sur « le respect des autres, les violences et leurs conséquences ».

Oui, le rôle de l'école est déterminant dans une société au sein de laquelle, avec l'abaissement important du civisme, les repères se brouillent de plus en plus.

Mais il s'agit aussi de sensibiliser le grand public à ce problème, afin qu'il prenne réellement conscience de son ampleur et de sa gravité. Car ce mal est encore aujourd'hui trop souvent méconnu, sous-estimé, minimisé.

Madame la ministre, la récente campagne de sensibilisation à ce problème répond pour partie à notre souci et va dans le sens que nous souhaitons. Il reste à renouveler régulièrement ces périodes de sensibilisation. Tel était d'ailleurs l'objet de notre proposition de loi, qui visait non seulement à faire en sorte que certaines informations soient diffusées, mais aussi à prévenir les agresseurs que la violence au sein du couple tombe sous le coup de la loi.

Il est également nécessaire, selon nous, que les personnels médicaux et paramédicaux, qui sont le maillon initial de la chaîne de dépistage et de prise en charge, les travailleurs sociaux, mais aussi les magistrats, les personnels de la police et de la gendarmerie ainsi que les avocats reçoivent une formation initiale et continue leur permettant de détecter les violences, de les prévenir et de guider les victimes.

En effet, grâce à un meilleur dépistage, bien des drames pourraient être évités !

D'ailleurs, madame la ministre, des formations pluridisciplinaires se mettent en place, ce qui justifie notre proposition d'inscrire dans la loi que les modalités de cette formation obligatoire seront désormais déterminées par décret.

Toujours au titre de la prévention, et pour mieux protéger la victime, nous souhaitions permettre explicitement au juge d'ordonner l'éloignement de l'agresseur du domicile du couple.

Certes, les dispositions actuellement en vigueur peuvent permettre cet éloignement. Il n'empêche, comme cela a été souligné, que certains juges éprouvent des réticences à prononcer, dans le cadre du contrôle judiciaire ou du sursis avec mise à l'épreuve, une interdiction de demeurer au domicile du couple.

Il convenait donc de lever ces doutes et je note que, sur ce point également, la commission des lois a pris en compte notre préoccupation.

Cela dit, nous aurions souhaité qu'elle suive aussi notre position en ce qui concerne la possibilité, pour le juge, de prononcer une obligation de soins spécialisés dans le cadre de l'aide aux auteurs de violences au sein du couple.

A cet égard, nous proposons de donner une base légale à certaines expériences conduites à Paris ou à Nîmes et de les généraliser.

Je rappelle que, en mai 2004, le parquet de Paris, en collaboration avec la Ligue française de santé mentale, a mis en place une « antenne de psychiatrie et de psychologie légales ».

Nous proposons que, au sein de chaque tribunal de grande instance, soient créées de telles antennes. Le procureur de la République pourrait ainsi, avant la mise en mouvement de l'action publique, exiger de l'auteur des violences qu'il se présente dans l'une de ces antennes, afin que soit établi un diagnostic permettant, si nécessaire, d'obliger l'agresseur à se soumettre à un suivi psychologique spécifique.

J'en viens enfin au volet relatif aux sanctions.

Depuis le nouveau code pénal de 1994, la peine encourue pour certaines infractions - tortures, actes de barbarie et violences - est d'ores et déjà aggravée dès lors qu'elles ont été commises soit par le conjoint, soit par le concubin de la victime.

Il nous a paru nécessaire d'étendre la circonstance aggravante aux personnes liées par un pacte civil de solidarité ; dans cette optique, nous avons proposé que cette précision soit mentionnée expressément dans les cinq articles du code pénal visant les infractions citées précédemment. La commission des lois nous a donné satisfaction sur ce point. C'est donc bien volontiers que nous la suivrons dans sa volonté d'étendre, comme nous l'avions proposé à l'article 1er de notre proposition de loi, la circonstance aggravante aux faits commis par l'ancien conjoint, l'ancien concubin et donc l'ancien pacsé, puisqu'un grand nombre de violences a lieu après la séparation.

Nous avions également prévu, dans notre proposition de loi, que le viol entre époux, concubins et partenaires pacsés soit incriminé spécifiquement dans le code pénal. En effet, le viol tient malheureusement une place non négligeable parmi les violences conjugales.

Il est vrai que la Cour de cassation, dans un arrêt de 1990 confirmé en 1992, a précisé que « la présomption de consentement des époux aux actes sexuels accomplis dans l'intimité de la vie conjugale » ne vaut que jusqu'à preuve du contraire, jugement qui a également été confirmé par la Cour européenne des droits de l'homme.

Mais, en définitive, qui le sait ?

Bien trop de gens sont persuadés que tout est permis au sein du couple, y compris l'indicible.

En inscrivant explicitement dans notre droit l'incrimination du viol entre époux, concubins et pacsés, nous pensons obtenir un effet dissuasif, grâce à une plus grande visibilité de la gravité de l'acte. Sur ce point également, nous nous rejoignons, monsieur le rapporteur, et vous m'en voyez particulièrement satisfait.

Je vous rejoins également lorsque vous proposez de compléter l'article 221-4 du code pénal relatif au meurtre, afin de faire figurer parmi les circonstances aggravantes liées à la qualité de la victime le fait que la victime soit le conjoint, le concubin ou le partenaire pacsé de l'auteur de l'infraction.

Nous proposons également de compléter le dispositif concernant les violences habituelles, qui sont en effet les plus nombreuses et sont particulièrement destructrices.

Avec mon groupe, je défendrai donc un amendement visant à compléter l'article 222-14 du code pénal qui rend passible de peines aggravées les auteurs de violences habituelles sur un mineur de quinze ans ou sur une personne d'une particulière vulnérabilité. Nous proposons que le conjoint, le concubin ou la personne pacsée auteur de violences habituelles graves sur son partenaire fasse aussi l'objet de peines aggravées.

Dans ces cas précis, la victime de violences au sein du couple bénéficierait de fait de l'aide juridictionnelle, sans condition de ressources.

Mais nous souhaitons aller plus loin en matière d'aide aux victimes. Ce sera l'objet d'un amendement visant à étendre, pour toutes les violences, l'accès à l'aide juridictionnelle, sans condition de ressources.

Il convient en effet de garder à l'esprit que les victimes sont souvent en état de choc et qu'il est nécessaire de leur faciliter la tâche, notamment dans les moments, ô combien difficiles, où elles décident de réagir.

D'abord, leur dépendance financière risque de constituer un frein dans la recherche d'un avocat. Inutile pour la victime, évidemment, de compter sur le concours du conjoint pour faire face à ces dépenses !

Ensuite, si elles sollicitent l'aide juridictionnelle, il leur faudra produire des pièces justificatives auxquelles, souvent, elles n'ont pas accès, ce qui constitue une autre difficulté.

Autant de difficultés, et il y en a d'autres, qui nous ont incités à vous proposer cet amendement.

Toujours concernant l'aide aux victimes, nous reprenons, par voie d'amendement, notre proposition visant à donner la possibilité aux victimes de violences conjugales d'obtenir la réparation intégrale des dommages, prévue par l'article L. 706-3 du code de procédure pénale, et ce pour toutes les violences.

Par ailleurs, force est de constater que les questions concernant l'hébergement des victimes et leur réinsertion sociale posent un vrai et important problème, notamment par rapport à la capacité d'accueil des structures. C'est pourquoi nous suggérons, par l'amendement n° 14 rectifié, que le Gouvernement dépose, sur le bureau des assemblées parlementaires, un rapport portant sur les conditions d'accueil et d'hébergement des victimes et leur réinsertion sociale, mais également sur les structures de soins des auteurs de violences conjugales.

Nous avons déposé, enfin, un amendement tendant à relever de quinze à dix-huit ans l'âge légal du mariage des femmes en France. La question ne concerne pas la seule égalité des sexes. Plus fondamentalement, une discordance profonde apparaît, aujourd'hui, entre la règle légale et la pratique sociale : l'âge du mariage est de plus en plus tardif et il n'y a pas grand sens à écrire dans la loi que les filles sont « nubiles » à quinze ans. Pour apprécier la capacité des futurs époux à contracter mariage, la maturité psychologique paraît plus significative que l'aptitude aux rapports conjugaux. La règle proposée présente également l'avantage de libérer définitivement le mariage de la pression familiale, puisque les époux seront par hypothèse majeurs ; je pense évidemment au mariage forcé.

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la violence est considérée comme une violation générale des droits de tout être humain, droit à la vie, à la sécurité, à la dignité et à l'intégrité physique et mentale.

Concernant les violences au sein du couple, faudra-t-il en passer par une vraie révolution des mentalités pour parvenir à les éradiquer ? Si, par notre initiative et celle des uns et des autres, nous pouvions y contribuer, même modestement, nous en serions particulièrement heureux. Car il s'agit là d'une simple question de respect de la dignité humaine, mais aussi, je l'ai déjà souligné, de l'un des préalables à tout approfondissement de l'égalité des sexes : il s'agit, ni plus ni moins, de construire une place égale entre les hommes et les femmes.

Certes, cela passe, évidemment, par la lutte contre les discriminations et le sexisme, par le combat pour l'égalité professionnelle, mais cela passe aussi par la lutte contre les violences à l'égard des femmes.

En inscrivant à l'ordre du jour de cette séance ces deux propositions de loi, le Sénat montre, avant bien d'autres, qu'il entend oeuvrer dans cette direction et qu'il peut jouer un rôle de précurseur en ce domaine. Et cela, déjà, mérite d'être amplement salué.

« Se taire, c'est être complice, ... dénoncer, c'est la voie du changement », ai-je pu lire, par ailleurs. C'est pourquoi, si le Sénat acceptait d'aller plus loin encore, comme nous le lui proposons, alors, sans nul doute, un grand pas de plus serait accompli.

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