Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, quelques chiffres tout à fait récents suffisent, s'il en était besoin, à montrer que le projet de loi de finances est manifestement entaché d'approximations douloureuses.
Après avoir constaté la croissance nulle du troisième trimestre, voici en effet que l'INSEE annonce que la production industrielle est en baisse au mois d'octobre d'un dixième de point, ce qui ne laisse pas augurer d'un résultat florissant pour l'exercice 2006 et place 2007 sous de sombres auspices.
Dans le même temps, comme si cela ne suffisait pas, voici que M. Trichet, gouverneur de la Banque centrale européenne, met en oeuvre une nouvelle hausse des taux directeurs de son organisme, au motif qu'il conviendrait de mettre un frein à l'endettement des ménages comme des entreprises de la zone euro, et singulièrement de la France.
Bien des tendances lourdes de la situation économique sont donc inscrites qui ne contribueront pas à l'amélioration de la situation économique ; de fait, elles mettent directement en cause le « cadrage » économique dans lequel ce projet de loi de finances, de pur affichage électoral, a été défini et au nom duquel il a été défendu.
D'autres éléments de mesure de la situation réelle du pays nous ont été révélés au fil de la discussion.
Ainsi, plus de 9 millions de salariés perçoivent aujourd'hui une part de la prime pour l'emploi. Cela atteste la faiblesse de la rémunération du travail salarié, faiblesse encouragée par la modération salariale que les entreprises ont imposée et qui est d'ailleurs à la base de l'essoufflement de la consommation des ménages, lesquels sont de plus en plus endettés.
La discussion de ce projet de loi de finances est donc l'occasion pour nous de mettre en évidence les résultats de l'ensemble de la législature, une grande part des mouvements affectant les recettes comme les dépenses de l'État pour 2007 étant contenue dans les dispositions antérieurement votées. Ainsi, la réforme de l'impôt sur le revenu ne va réellement profiter qu'à ceux qui perçoivent les revenus les plus élevés : ils vont pouvoir, grâce notamment à la disparition de l'abattement de 20 %, tirer pleinement parti du nouveau barème allégé.
Bien entendu, pour faire bonne mesure, nous l'avons constaté, il se trouve encore des parlementaires dans cette assemblée pour en rajouter !
Comparez donc, mes chers collègues, le coût de l'ensemble des dispositifs en faveur des placements financiers, de la gestion de patrimoine, des successions, et celui des mesures qui portent sur les traitements, salaires et pensions : en presque dix ans, le SMIC a été doublé ; les dividendes, quant à eux, ont été multipliés par neuf ! Comparez les montants en jeu, le nombre de bénéficiaires et l'efficacité sociale et économique de toutes ces dispositions
Depuis cinq ans, le budget sert à déplacer l'argent public en direction de la sphère privée.
Ainsi, outre le report des déficits, les revenus fonciers - 24 milliards d'euros de revenus déclarés en 2004 - bénéficient d'allégements fiscaux pour 1, 7 milliard d'euros. Ainsi, les revenus de capitaux mobiliers - 19, 9 milliards d'euros de revenus déclarés en 2004 - profitent de plus de 7 milliards d'euros d'allégements fiscaux divers. Ainsi, les plus-values des particuliers - 10, 5 milliards d'euros de revenus déclarés - tirent également parti, outre le régime particulier d'imposition à 27 %, cotisations sociales comprises, de dispositifs d'allégement pour plus de 1, 8 milliard d'euros !
Dans ces trois domaines de la fiscalité des personnes, ce sont finalement plus de 10 milliards d'euros que l'État s'autorise à ne pas percevoir, sans doute pour encourager l'épargne... Mais à qui, encore une fois, profitent ces dispositifs, sinon à celles et ceux qui ont précisément la possibilité de se constituer une épargne importante, c'est-à-dire aux plus riches ?
Ce choix de classe, cette solidarité nationale à l'envers des plus pauvres, qui sont d'ailleurs de plus en plus nombreux, vers les plus riches, nous ne les acceptons pas plus cette année que nous ne les avons acceptés lors de la discussion des précédents projets de loi de finances.
Et tout cela pourquoi, et pour quels résultats ? Une législature aura suffi pour que l'endettement public, malgré la vente à l'encan de nombreuses entreprises publiques, connaisse une nouvelle explosion de 250 milliards d'euros supplémentaires, sur lesquels pèsent évidemment les intérêts correspondants.
La dette a connu une hausse de 8 points, selon la Cour des comptes ; et vous venez vous exclamer sur son montant ! Mais pour quoi et pour qui a-t-elle augmenté ? Car les inégalités sociales, dans le même temps, n'ont pas diminué ! À qui profite-t-elle ? Encore faut-il souligner que la dette nette de la France est inférieure à celle des pays de l'OCDE et de la zone euro.
Une législature aura donc suffi pour que, à la place du renforcement des capacités productrices et créatrices de notre économie, nous constations une fois encore la réduction de l'investissement des entreprises, strictement limité au renouvellement des matériels et à la substitution des machines à l'emploi salarié. Des milliers d'emplois industriels auront disparu en cinq ans - plus de 265 000 au total, une véritable hémorragie ! -, ce qui affaiblit la situation économique du pays et la rend de plus en plus dépendante de l'extérieur.
De la même manière, nous aurons connu une dégradation du solde de nos échanges commerciaux extérieurs. La situation du commerce extérieur français est déficitaire de 19, 9 milliards d'euros depuis le début de l'année, déficit en hausse de 5 milliards sur l'année 2005, qui n'était déjà pas brillante. Cela découle d'ailleurs de la persistance d'un déficit avec les pays de la zone euro : c'est le principal motif d'inquiétude, au-delà des effets de la conjoncture sur les prix du pétrole, qui renchérissent nos importations énergétiques en provenance du Moyen-Orient.
C'est bel et bien une France affaiblie qu'au terme de la législature vous laissez devant les Françaises et les Français, qui seront appelés au printemps prochain à faire valoir, au travers du suffrage universel, leur droit de déterminer la politique des cinq ans à venir.
Injustice fiscale, donc, prenant la suite des injustices sociales de plus en plus intolérables que subit la grande majorité des habitants de notre pays ; inefficacité économique, argent public dilapidé en cadeaux fiscaux destinés à permettre à quelques-uns de s'enrichir ou à quelques entreprises de persévérer dans leur recherche de la rentabilité : voilà le triste bilan que vous pouvez présenter en cette fin d'année 2006 et qui imprègne le projet de loi de finances pour 2007.
Une autre politique est plus que jamais nécessaire pour répondre enfin aux attentes de la population, pour rétablir l'égalité et l'équité fiscales, pour oeuvrer avec l'argent public à une véritable croissance saine, porteuse de richesses et d'emplois, et respectueuse de l'environnement.
Le développement durable n'appartient pas à la logique de privatisation et de marchandisation du service public qui a sous-tendu l'action que vous avez menée depuis 2002, pas plus qu'il ne réside dans la déresponsabilisation des entreprises et des détenteurs de gros patrimoines. Il ne peut s'appuyer que sur une fiscalité juste et rendue plus juste par l'examen critique de ce qui, aujourd'hui, rompt avec le principe d'égalité, sur une fiscalité incitant réellement à l'usage vertueux de la richesse créée.
Il s'appuie aussi sur une utilisation efficace de l'argent public, visant des objectifs porteurs de création de richesse et d'emplois. Il suffit de dépenser entre 20 milliards et 25 milliards d'euros pour alléger les cotisations sociales des entreprises !
Tout cela n'a fait qu'accroître, année après année, le nombre des salariés pauvres, au point qu'aujourd'hui, dans près de 90 branches professionnelles, les minima salariaux, messieurs les ministres, sont inférieurs au SMIC !
Des personnes qui travaillent sont privées du droit élémentaire de se loger à des prix raisonnables parce que le marché immobilier, que vous avez encouragé, ne cesse de battre année après année des records de prix. La pauvreté et la précarité sont le quotidien de millions et de millions de Français, au point qu'elles figurent aujourd'hui parmi les préoccupations majeures de nos compatriotes. M. de Rohan n'a pas mentionné tout à l'heure, dans son exposé, qu'en 2006 les Restaurants du coeur avaient servi 75 millions de repas !
En ce qui nous concerne, nous avons essayé de démontrer pendant l'examen de ce projet de loi de finances que l'argent existe. C'est pourquoi il est grand temps de taxer les plus-values boursières : Total, par exemple, rapporterait 20 milliards d'euros ! Les actifs financiers ont augmenté de plus de 100 % en dix ans ; les taxer à 1 % représenterait 35 milliards d'euros.
Vous nous avez parlé d'audit pendant la discussion, monsieur le ministre. Mais où est l'impact des 25 milliards d'euros de cadeaux de cotisations sociales patronales, alors que la Cour des comptes nous explique que 17 milliards d'euros ne servent à rien pour l'emploi ? J'arrêterai là les exemples.
Des millions de personnes ont été, au fil du temps, placées dans des dispositifs de précarité de l'emploi, et il a fallu un mouvement particulièrement puissant de la jeunesse du pays, largement soutenue par les plus âgés, pour que ne s'impose pas une règle pour les jeunes, au travers notamment du contrat première embauche.
Car là est l'un des motifs essentiels de l'espoir qui nous anime comme des craintes qui vous habitent : la société française, dans sa diversité, dans sa multiplicité, refuse de plus en plus votre logique libérale qui ne fait droit qu'à la rentabilité du capital, au détriment de tout autre droit.
C'est porteurs de cette colère et de ce refus, porteurs de cette envie irrépressible d'autre chose, que les parlementaires du groupe communiste républicain et citoyen indiquent clairement ici leur rejet pur et simple du projet de loi de finances pour 2007, tel que modifié par le Sénat.
Permettez-moi, pour conclure, de remercier une fois encore les personnels de l'ensemble des services du Sénat de leur disponibilité tout au long de la discussion de ce projet de loi de finances.