Intervention de Aymeri de Montesquiou

Réunion du 12 décembre 2006 à 21h30
Conseil européen des 14 et 15 décembre 2006 — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Aymeri de MontesquiouAymeri de Montesquiou :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, s'il est un domaine dans lequel le Conseil européen se doit d'organiser notre avenir, c'est bien celui de l'énergie.

Hormis le nucléaire et un peu d'énergie hydraulique et thermique, l'Union européenne ne dispose que de très peu de ressources énergétiques. Soyons conscients qu'elle ne pourra se soustraire à une négociation ni à la nécessité de conclure des accords de coopération avec les principaux producteurs d'énergie qui sont à nos portes : la Russie et les États d'Asie centrale, l'Azerbaïdjan et l'Iran qui les jouxtent.

Selon les dernières statistiques publiées par Eurostat sur l'économie pétrolière en 2005, près d'un tiers de l'ensemble des importations de pétrole brut de l'Union européenne provenait, en 2005, de la Russie. La part du pétrole russe dans les importations de pétrole brut de l'Union européenne n'a cessé d'augmenter au cours des dernières années ; elle est maintenant deux fois supérieure à celle de la Norvège, deuxième fournisseur de l'Union. La Russie est donc devenue le premier fournisseur de l'Union européenne. C'est pourquoi le partenariat avec la Russie ne se discute pas : il s'impose !

De plus, l'Union européenne assure 70 % des recettes de Gazprom : l'Union européenne et la Russie sont de fait interdépendantes. Ce constat doit amener les chefs d'État et de gouvernement à fondre enfin leurs options nationales dans une véritable politique européenne à long terme de l'énergie qui réponde aux ouvertures russes.

La décision allemande de construire un gazoduc reliant la Russie à l'Allemagne par la mer Baltique est un véritable contre-exemple : elle crée de nouvelles tensions entre la Russie, d'une part, les pays Baltes et la Pologne, de l'autre. Du fait de cette brouille, la Russie menace d'imposer à partir du 1er janvier 2007 un embargo sur les produits européens d'origine animale, qui représentent un marché de 1, 7 milliard d'euros par an pour l'Europe.

Mettre en place un partenariat avec les Russes, c'est d'abord renforcer les moyens d'exploitation et de transport des ressources pétrolières et gazières de la Russie, qui ne peut seule faire face à ces investissements. Faute de ceux-ci, estimés à près de 700 milliards d'euros par la Commission, l'approvisionnement de l'Europe par la Russie déclinera progressivement dans les prochaines années. Si elle n'était pas entendue, la Russie pourrait aussi se détourner de l'Europe, ce qui serait désastreux. En effet, contrairement à l'Union, elle dispose d'une solution de rechange : elle peut s'engager avec les États de la Communauté économique eurasiatique dans un partenariat privilégié avec le Japon et, surtout, la Chine qui, en raison de ses besoins gigantesques en hydrocarbures, serait un client ouvert à des concessions.

Le protocole d'accord signé par la Commission avec le Kazakhstan, le 4 décembre 2006, sur la sécurité énergétique et la coopération industrielle va certes dans la bonne direction : il prend acte d'un intérêt commun pour la construction d'un oléoduc passant par la mer Noire, il définit des routes de navigation dans la mer Caspienne et renforce la coopération existante en matière de sûreté et de fusion nucléaires. Mais cet accord ne représente qu'un tout petit pas dans la bonne direction, vu l'énormité des besoins, et il doit encore faire l'objet d'une ratification formelle.

Madame la ministre, l'Europe fait preuve d'insouciance et même d'inconscience ; le réveil risque d'être très douloureux ! Une véritable politique européenne de l'énergie implique de s'engager dès maintenant, et beaucoup plus, dans une conquête évidemment collective des ressources d'énergie.

Tous les grands pays ont mis en place une stratégie ! Les États-Unis ont jeté leur dévolu sur le Moyen-Orient et au-delà ; la Russie, sur l'Asie centrale. La Chine s'avance vers l'Iran, l'Arabie saoudite et, finalement, l'Afrique.

L'Europe agit en ordre dispersé, la somme des politiques nationales ne saurait en rien constituer une politique de l'Union. Quelle est son ambition dans ce domaine ? Si l'on en juge par l'état actuel du projet de politique communautaire de l'énergie que vous venez de rappeler, il s'agit essentiellement d'économies d'énergie ou de promotion des biocarburants. En réalité, c'est une politique de la consommation, dans le prolongement du protocole de Kyoto. Ce n'est que l'esquisse d'une politique éventuelle de garantie et de sécurité de ses approvisionnements.

C'est pourquoi il revient au Conseil européen, organe suprême d'impulsion des politiques européennes de long terme, de décider et de mettre en place une véritable politique de l'énergie. Sortons enfin de cet attentisme pour mettre en place les outils de décisions qui manquent à l'Europe, à divers niveaux : une capacité de riposte militaire, en cas de menace sur ses intérêts vitaux - c'est tout le défi de l'Europe de la défense -, mais aussi une prise en compte des nouveaux défis de la mondialisation, qui entraîne la mise en place de politiques monétaire, budgétaire, industrielle et de recherche cohérentes, à la hauteur de la compétition mondiale qui n'autorise aucune faiblesse.

Finalement, les choix énergétiques nous renvoient au débat constitutionnel. Celui-ci ne doit pas être un alibi à l'inertie de l'Europe. Nos voisins, nos amis et alliés attendent nos réponses. Le temps presse. J'y insiste à nouveau, il faut maintenant savoir saisir la main tendue par la Russie, il faut savoir répondre aux demandes de coopération euro-asiatiques !

Si ce sont autant d'actes qui s'inscrivent plus dans une perspective externe que dans une approche interne de l'avenir de l'Union européenne, ils nous permettraient de sortir de l'impasse institutionnelle par un grand projet commun !

Madame la ministre, permettez-moi maintenant d'aborder un sujet interne, pour souligner nos carences et, j'ose le dire, notre pusillanimité. Le jour même où nous abordons ce débat sur le Conseil européen, notre pays risque une amende lourde pour la non-transposition de la directive sur les cultures commerciales d'OGM. Adoptée en 2001, cette directive devait être transposée avant octobre 2002. C'est dire si nous avons du retard, le Sénat ayant adopté le texte en mars 2006 ! Située en dix-septième position sur vingt-cinq États dans le classement sur la transposition des directives, la France, en tant que membre fondateur, ne devrait-elle pas être exemplaire dans ce domaine ? Mais comment y parvenir ?

En novembre 2000, j'avais déposé une proposition de loi constitutionnelle, cosignée par Hubert Haenel, permettant à tout projet de loi tendant à transposer les dispositions de nature législative d'une directive d'être inscrit à l'ordre du jour prioritaire six mois au moins avant l'expiration du délai fixé par cette directive pour sa transposition. À défaut, toute proposition de loi ayant le même objet devait être inscrite de droit à l'ordre du jour prioritaire. Madame la ministre, ne pensez-vous pas qu'il soit grand temps de mettre en place ce dispositif ?

La primauté du droit communautaire sur le droit français étant reconnue depuis plus de quarante ans, n'est-il pas temps également que la délégation du Sénat pour l'Union européenne se fonde dans l'actuelle commission des lois pour former une commission « de l'Union européenne, des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale » et travaille en priorité sur la question des transpositions ?

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