Intervention de Robert Bret

Réunion du 12 décembre 2006 à 21h30
Conseil européen des 14 et 15 décembre 2006 — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Robert BretRobert Bret :

Au sujet, précisément, de l'élargissement de l'Union à la Turquie, les négociations ont été ouvertes le 3 octobre 2005, soit quarante-cinq ans après la première demande d'adhésion de la Turquie. Le principe de cette adhésion, ses conditions et son calendrier ont en permanence été liés dans un seul et même processus devant aboutir, à terme, à l'intégration de la Turquie.

Hier, les ministres des affaires étrangères des Vingt-Cinq ont conclu un accord, conformément aux recommandations de la Commission européenne, tendant à geler huit des trente-cinq chapitres de la négociation - les plus importants, puisqu'ils concernent des dossiers comme l'agriculture ou la libre circulation des services.

Cette sanction s'appliquera tant que la Turquie n'aura pas ouvert ses ports et ses aéroports aux navires et aux avions en provenance de Chypre, obligation contenue dans le « protocole d'Ankara », qui a été approuvé par la Turquie et vise à étendre à la partie grecque de Chypre le bénéfice de l'union douanière. La négociation pourra s'ouvrir sur les chapitres qui ne sont pas gelés, mais elle ne pourra être clôturée que lorsque le protocole d'Ankara aura été mis en oeuvre par la Turquie.

Pour nous, s'il est clair que la Turquie doit intégrer à terme l'Union européenne, il est tout aussi clair qu'elle doit respecter au préalable les conditions d'adhésion. Cela passe, avant toute chose, par la reconnaissance de Chypre, pays membre de l'Union européenne.

S'agissant des politiques et des choix économiques préconisés par l'Union européenne, la question est aujourd'hui de savoir si l'on veut asseoir la croissance européenne sur des fondements solides et agir en faveur de l'emploi et du bien-être des populations, ou si l'on souhaite s'enfermer dans le carcan libéral des politiques de la Banque centrale européenne et du pacte de stabilité.

En effet, la devise européenne a atteint un pic à 1, 32 dollar ces dernières semaines, ce qui suscite de vives inquiétudes dans les milieux économiques et financiers. Les critiques de l'euro fort sont fondées, et elles devraient s'accompagner, selon moi, d'une réflexion sur les graves dérèglements liés à la monnaie unique. La monnaie européenne est un élément de la souveraineté du peuple qui est aujourd'hui « aliéné », puisque la Banque centrale européenne est indépendante.

Nous considérons qu'il est grand temps de réorienter la politique monétaire, en allant plus loin qu'une simple baisse de taux, comme certains le proposent. La Banque centrale européenne devrait être un instrument au service du développement d'une véritable croissance, d'un projet incitant au développement d'emplois stables, au financement de bonnes formations et à la garantie d'une sécurité de revenu.

La réalisation d'un tel objectif serait financée au moyen de crédits bancaires aux entreprises dont les coûts seraient abaissés grâce à des refinancements massifs de la Banque centrale européenne. Les taux d'intérêt seraient d'autant plus bas que les entreprises programmeraient des investissements productifs créateurs d'emplois et de véritables formations pour chaque individu. Le niveau de la monnaie unique face au dollar ne peut qu'augmenter, et les critiques politiques à l'égard de l'euro qui sont déjà apparues en France pourraient donc s'étendre, madame la ministre.

En ce qui concerne l'énergie, nous aimerions savoir pourquoi une grande partie de l'Europe de l'Ouest a été plongée dans le noir, samedi 4 novembre dernier, vers vingt-deux heures. Comment une défaillance du réseau allemand de lignes à haute tension peut-elle priver d'électricité dix millions d'Européens, dont une moitié de Français ? Comment, à l'avenir, éviter de tels incidents ? Il est urgent d'apporter des réponses concrètes à ces questions, en vue de mettre en place une véritable politique de l'énergie à l'échelon européen, madame la ministre.

Au sujet de la politique d'immigration européenne, les dirigeants de l'Union européenne ont défini, lors du Conseil européen d'octobre 1999 qui s'est tenu à Tampere, les principes de base d'une politique commune en matière d'immigration, qui a été entérinée en 2004 avec l'adoption du programme de La Haye, lequel fixe des objectifs pour la période 2005-2010 en vue du renforcement de la liberté, de la sécurité et de la justice dans l'Union européenne.

Tout un arsenal juridique, policier, militaire, technologique est mobilisé. Dans le cadre d'accords bilatéraux, des « camps portails » ont déjà été installés dans divers pays limitrophes, érigés en « zones tampons ». Les droits fondamentaux y sont totalement bafoués.

L'Europe contribue ainsi à détériorer des acquis du droit international datant de 1949 et se livre à une « guerre » contre les pauvres, laissant les migrants à la merci des réseaux mafieux. Il devient évident que la gestion des migrations entre de plus en plus dans les stratégies des États et des puissances économiques et financières : contrôle des mouvements de populations eux-mêmes, gestion de la mobilité professionnelle, ségrégation spatiale des sociétés.

Le droit d'asile est malmené, l'Europe est présentée comme un continent agressé qui doit défendre ses frontières contre les migrants. La loi relative à l'immigration et à l'intégration, dont le gouvernement auquel vous appartenez, madame la ministre, a été l'initiateur, s'inscrit parfaitement dans cette vision d'une Europe « forteresse », incapable de relever les grands défis, notamment celui du codéveloppement Nord-Sud !

Pour notre part, nous considérons au contraire que l'Union européenne doit tenir le premier rôle dans la promotion de véritables partenariats et, surtout, dans la coopération internationale, en particulier avec l'Afrique, qui représente une chance pour l'Europe si celle-ci se donne les moyens d'une réelle politique de codéveloppement avec les pays de ce continent.

Oui, il faut repenser l'Europe, réorienter en profondeur la construction européenne pour lui donner de nouvelles bases, en vue de l'instauration d'une Europe citoyenne, d'une Europe sociale, d'une Europe ouverte et solidaire, d'une Europe de paix. Tout appelle aujourd'hui à relever ces défis.

Il est temps que l'Europe devienne enfin une grande puissance politique. L'Union européenne doit prendre ses responsabilités sur le plan international. S'agissant, en particulier, de la question du Proche-Orient, elle doit s'opposer à l'institutionnalisation de la politique du « deux poids, deux mesures ». Il est urgent de mettre en oeuvre un nouveau processus de règlement politique pour toute la région, sur le fondement du droit international et des résolutions des Nations unies, garantissant notamment la création d'un État palestinien dans les frontières de 1967, la pleine souveraineté du Liban et l'institution d'un État de droit démocratique où les pouvoirs publics soient les seuls à disposer de la force armée. Il y va aussi de l'intérêt d'Israël, de sa propre sécurité et de la réponse à l'aspiration de son peuple à vivre en paix avec ses voisins.

L'Union européenne ne doit pas laisser George Bush s'approprier la gestion de la crise en vertu de la thèse du « Grand Moyen-Orient ». Elle doit s'opposer fermement à la politique de la force et de remodelage régional prônée par les États-Unis au nom de la lutte contre le terrorisme et de la nécessité de « répandre la démocratie ».

Dans ce contexte, comment comprendre que le « quartet », composé de l'ONU, de l'Union européenne, des États-Unis et de la Russie, continue de renvoyer dos à dos les parties ? Nous attendons de l'Union européenne qu'elle fasse pression pour que se tienne au plus vite, sous l'égide des Nations unies ou du quartet, la conférence internationale qui avait été annoncée.

L'Union européenne doit se situer délibérément dans la perspective de la construction d'un espace méditerranéen de coopération. Un tel espace ne garantit pas automatiquement la paix, mais il constitue la seule alternative à la logique du « choc des civilisations » prônée par George Bush, dont on peut mesurer aujourd'hui l'échec. Elle a un rôle particulier à jouer pour que la politique reprenne le dessus sur la force.

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