Intervention de Roland Ries

Réunion du 12 décembre 2006 à 21h30
Conseil européen des 14 et 15 décembre 2006 — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Roland RiesRoland Ries :

... et les lignes de fracture, sur ce thème, traversent les grandes familles politiques françaises.

À la veille de l'élargissement à la Roumanie et à la Bulgarie, qui intègreront officiellement l'Union européenne le 1er janvier 2007, c'est-à-dire dans quelques semaines, la question des candidatures en cours d'examen va se poser avec une acuité nouvelle.

S'agissant tout d'abord de la Croatie, les négociations en vue de l'adhésion ont été engagées le 3 octobre 2005. Elles se déroulent selon le calendrier prévu, ce dont je me réjouis.

Se pose aussi la question de l'adhésion de l'ancienne république yougoslave de Macédoine, qui a le statut de pays candidat depuis décembre 2005.

C'est, bien sûr, la Turquie qui pose aujourd'hui les problèmes politiques les plus redoutables. Comme Robert Bret l'a rappelé, elle frappe aux portes de l'Europe depuis plus de quarante ans. Cette candidature suscite de lourds débats politiques.

N'oublions pas que d'autres pays profilent leur candidature à l'horizon. Les thèmes de l'élargissement, de la capacité d'intégration de l'Union et, plus largement, de la nature même de la construction politique de l'Europe sont donc aujourd'hui posés et attendent de notre part des réponses claires.

Cette discussion recouvre, en réalité, un débat très ancien qui remonte aux années 1950, à l'époque de l'Europe des Six. À ce moment-là, déjà, deux conceptions de la construction européenne étaient en concurrence.

D'un côté, la conception britannique consistait à créer une vaste zone de libre-échange de nature exclusivement économique et qui avait vocation à intégrer un maximum de pays européens pour tenir tête aux deux puissants ensembles économiques qu'étaient à l'époque les États-Unis d'Amérique et l'URSS. Cette orientation s'est même concrétisée par la création de l'Association européenne de libre-échange, l'AELE, qui est entrée directement en concurrence avec l'Europe des Six.

De l'autre, la conception des pères fondateurs de la Communauté européenne du charbon et de l'acier et des signataires du traité de Rome était beaucoup plus politique, étant entendu que le choix stratégique de l'époque était de commencer la construction politique de l'Europe par un rapprochement des politiques économiques. Comme vous le savez, cette dernière orientation l'a emporté puisque l'AELE a décliné et que les principaux pays qui la composaient ont, à l'exception de la Suisse, rejoint l'Union européenne l'un après l'autre.

Mais, aujourd'hui, dans le débat sur l'élargissement, j'ai le sentiment qu'on assiste à un retour en force de la conception de l'Union européenne comme une vaste zone de libre-échange, au détriment d'une démarche plus politique. C'est pourquoi nous, socialistes, préconisons dans notre projet une clarification et une définition rigoureuse des frontières de l'Europe.

S'il doit y avoir un élargissement supplémentaire, il doit être limité à l'examen des candidatures actuelles - Croatie, Macédoine, Turquie - dans le respect des critères exigés, qu'ils soient démocratiques, économiques ou sociaux.

Je note, au passage, que la Turquie a fait ces derniers jours un certain nombre de concessions concernant ses relations avec Chypre. La décision prise hier par les ministres des affaires étrangères des vingt-cinq États membres de ne pas ouvrir huit des principaux chapitres des négociations d'adhésion montre néanmoins qu'il reste encore beaucoup de chemin à faire.

Globalement, nous sommes plutôt aujourd'hui dans une logique de gel, au moins partiel, des négociations ; nous approuvons, en ce qui nous concerne, la position qui consiste à faire pression sur la Turquie pour qu'elle accepte à tout le moins l'existence de Chypre, qui fait partie de l'Union européenne.

Au-delà des frontières actuelles et, le cas échéant, à venir de l'Union, des partenariats stratégiques devraient être proposés aux États voisins, notamment aux pays de la rive sud de la Méditerranée, de façon à bien marquer la frontière.

En d'autres termes, il importe de sortir de la logique d'extension sans limites, d'accepter le débat dans les années qui viennent sur les projets d'adhésion actuellement en cours et d'envisager pour les autres pays demandeurs des accords de partenariat. Telle est aujourd'hui la position des socialistes.

Je voudrais, dans un deuxième temps, aborder la question de la politique européenne des migrations et de l'immigration.

En vue de cibler les besoins européens en main-d'oeuvre issue de l'immigration, la Commission européenne a proposé, le 30 novembre dernier, de créer des portails européens sur la mobilité de l'emploi, chargés de renseigner les pays africains sur les possibilités d'emploi en Europe.

La Commission a également proposé que soient installés en Afrique des « centres de migration » destinés à « promouvoir » la formation professionnelle, des programmes de développement ou encore des cours de langues afin d'augmenter les chances des candidats à l'immigration de « trouver un emploi légal en Europe », notamment afin de faciliter « la gestion des travailleurs saisonniers, les échanges d'étudiants et de chercheurs ».

Nous sommes hostiles à cette perspective. Elle aboutirait en définitive à créer en dehors de l'Europe des sortes de réservoirs de main-d'oeuvre dans lesquels nous pourrions puiser à notre guise et selon nos besoins. En faisant venir ces travailleurs chez nous, nous appauvririons ces pays de leurs éléments les plus dynamiques et de leurs cerveaux les plus compétitifs. Il ne me semble pas que ce soit la bonne perspective.

Si nous devions aller dans ce sens, il faudrait plutôt permettre des migrations circulaires : nous pourrions accueillir des travailleurs chez nous, mais, à l'inverse, nous pourrions en envoyer dans ces pays.

Le temps m'est compté. J'aurais souhaité parler du troisième sujet important qui me tient à coeur : la question de la politique énergétique européenne. Mais je n'en ai pas le temps. Néanmoins, j'ai déjà eu à plusieurs reprises l'occasion d'intervenir à propos de la fusion Suez-GDF. Je dirai simplement que, si nous ne sommes pas en capacité de créer des pôles forts au niveau européen et une stratégie européenne de l'énergie, nous nous préparons des lendemains qui déchanteront.

En conclusion, l'Europe est aujourd'hui en panne d'idées et de perspectives. Cela fait dix-huit mois que nous débattons de la paralysie européenne. Le Président de la République participe régulièrement à des Conseils européens qui tournent largement à vide - j'espère que ce ne sera pas le cas après-demain, madame la ministre ! - faute de propositions novatrices dans les domaines qui, aujourd'hui, bloquent la machine. Les institutions, la croissance, le social, l'énergie, l'industrie, l'immigration, l'élargissement, tous ces sujets posent aujourd'hui problème, et nous empêchent de poursuivre notre démarche de construction d'une Europe politique.

Jean-Marc Ayrault l'a dit fort justement dans son intervention à l'Assemblée nationale : « En 2007, il ne suffira pas de tourner la page, de remplacer le Président de la République par son ministre de l'intérieur. Il nous faudra faire la preuve que la France change pour que l'Europe change ».

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