Intervention de Pierre Martin

Réunion du 4 juin 2008 à 15h00
Agents sportifs — Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission

Photo de Pierre MartinPierre Martin, rapporteur :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous devons malheureusement admettre qu’évoluent dans le monde du sport des personnes au comportement pas vraiment exemplaire, voire peu recommandables. Sans vouloir stigmatiser une profession, je dois souligner qu’un certain nombre d’agents de joueurs sont dans ce cas, à tel point que l’on peut aujourd’hui dire qu’ils sont l’une des plaies du sport professionnel.

Je ne remets pas en doute l’utilité des agents sportifs. À l’époque où les joueurs professionnels étaient comparés à des esclaves parce que leurs dirigeants avaient tout pouvoir sur eux, l’arrivée de ces agents, négociateurs des contrats et des transferts, a rééquilibré le rapport de force. Aujourd’hui, les intermédiaires jouent un rôle utile d’interlocuteurs des clubs et de trait d’union entre les joueurs et les dirigeants.

Cependant, l’envolée du coût des transferts depuis l’arrêt Bosman, la mondialisation du football et, plus globalement, l’avènement du « sport business » ont entraîné l’arrivée d’agents plus ou moins scrupuleux qui réclament leur part du gâteau. La loi du 6 juillet 2000 visait à résoudre ce problème en confiant le contrôle de l’activité des agents sportifs aux fédérations et en renforçant les incompatibilités. Sans être un échec patent, la mise en œuvre de cette loi n’a pas tout à fait permis d’atteindre cet objectif.

Au cours des dernières années, la chronique judiciaire des agents sportifs a été très fournie. À titre d’exemple, permettez-moi de mentionner une pratique dans laquelle certains des plus grands clubs de football français se sont illustrés, si j’ose dire, durant la dernière décennie : la surévaluation des joueurs lors des transferts. En clair, un joueur est échangé pour une somme supérieure à sa valeur réelle et les acteurs de la négociation se partagent la différence, soit pour leur compte personnel – on appelle cela des « rétrocommissions » –, soit pour alimenter des caisses noires qui serviront elles-mêmes à financer d’autres transferts.

Mais il serait fastidieux d’énumérer les manœuvres frauduleuses constatées dans le sport professionnel. Retenons simplement qu’elles ont toutes un point commun : l’agent est au centre de la fraude. En effet, il est le maillon le plus faible de la chaîne, celui que l’on ne voit pas, celui qui peut facilement se rendre dans un paradis fiscal et se trouve forcément au cœur des transactions.

Quels sont les défauts de notre législation ?

D’abord, on a attribué des licences à des personnes morales. Or, en leur nom, un grand nombre d’agents occultes, ou plus ou moins secrets, ont prétendu négocier des contrats, et ce sans avoir les compétences minimales requises.

Ensuite, on a mal encadré l’exercice de l’activité par les agents étrangers. Ces derniers étaient censés détenir une licence française, ce qui s’est révélé trop contraignant. Finalement, ils sont tous intervenus sans aucun contrôle.

Enfin, on n’a pas été suffisamment loin dans les incompatibilités. Des agents de joueurs sont devenus dirigeants et ils ont ensuite utilisé leurs relations pour mener des opérations contraires à l’éthique sportive.

Les problèmes rencontrés sont surtout liés au manque de contrôle. Pourquoi les procédures de contrôle mises en place ont-elles échoué ? Pour une raison centrale : il est interdit aux clubs de rémunérer les agents, afin de protéger les joueurs. Pourtant, cette règle n’a pas du tout été respectée en pratique. Dans tous les sports, ce sont les clubs qui ont, systématiquement, payé les agents.

Ce constat est probablement lié aux caractéristiques sociologiques du monde du sport : les joueurs refusent de payer leurs agents. Cette situation est extrêmement pernicieuse. En effet, pour camoufler leurs pratiques, les clubs sportifs et les joueurs omettent le nom de l’agent dans les contrats qu’ils passent entre eux, ce qui rend tout contrôle impossible. Les fédérations ne peuvent pas contrôler les agents qui exercent illégalement ou qui détournent de l’argent et n’ont aucune possibilité de regard sur les sommes qui leur sont versées.

Au final, alors que les pratiques illégales se sont généralisées, très peu de sanctions ont été prises.

Pour ces raisons, tous les acteurs du monde sportif s’accordent aujourd'hui sur la nécessité d’une réforme, ainsi que sur ses modalités. Dès lors, la proposition de loi déposée et signée par nombre de nos collègues membres de la commission des affaires culturelles vient, me semble-t-il, à point nommé pour compléter notre arsenal législatif.

Quels sont les principes qui ont guidé sa rédaction ?

Ce texte vise à encadrer la profession d’agent sportif dans ses trois dimensions, c'est-à-dire l’accès à cette profession, son exercice et le contrôle à laquelle elle est soumise. Voici les mesures phares qu’il contient.

D’abord, la délivrance de licences aux personnes morales ne sera plus possible. Les incompatibilités seront renforcées, afin d’éviter les trop nombreuses collusions entre agents et dirigeants de clubs.

Ensuite, la protection des mineurs sera renforcée. Aujourd'hui, certains intermédiaires amènent des enfants africains dans notre pays, puis les abandonnent en cas d’échec. Une telle pratique s’apparente à la traite d’êtres humains. La proposition de loi vise donc à interdire à tout intermédiaire d’être rémunéré sur un contrat passé par un jeune.

En outre, l’activité des agents étrangers sera encadrée. Ainsi, les agents étrangers non communautaires devront obligatoirement passer par un agent français pour négocier un contrat avec un club de notre pays.

Surtout, et c’est une véritable révolution, la rémunération des agents de joueurs par les clubs sera autorisée. Cette mesure, qui a été le point d’achoppement de toute réforme dans le passé, fait aujourd’hui l’unanimité. Elle est fondée sur une évidence : il faut légaliser pour mieux encadrer.

L’encadrement sera forcément plus simple. En effet, les clubs ne verront plus d’obstacle à mentionner le nom de l’agent qu’ils rémunèrent et les agents qui respectent la loi auront tout intérêt à transmettre leur mandat à la fédération.

C’est donc l’ensemble du transfert, de la recherche du joueur à l’homologation de son contrat, qui pourra être contrôlé par les fédérations.

Peut-être certains d’entre vous trouvent-ils cette règle gênante, mais je voudrais rappeler quelques éléments. Dans une transaction immobilière, c’est l’acheteur qui rémunère l’agent immobilier, même si ce dernier a été sollicité par le vendeur. Et, dans le cas d’un spectacle, c’est le producteur, et non le comédien, qui paye l’agent artistique. Ainsi, la rémunération des agents de joueurs par les clubs constitue un retour logique et bénéfique au droit commun.

Enfin, le texte prévoit un renforcement tout à fait approprié des contrôles et des sanctions, afin de tirer l’ensemble des effets positifs d’une telle transformation des règles de rémunération et d’assainir la profession.

En dépit de l’exhaustivité de cette proposition de loi, que j’applaudis des deux mains, la commission des affaires culturelles a souhaité apporter quelques modifications au texte initial.

La première est importante, puisqu’elle tend à assurer la compatibilité de la proposition de loi avec le droit communautaire, et plus précisément avec les principes de liberté d’établissement et de libre prestation de services.

Les agents européens ayant une expérience professionnelle crédible et respectant le droit français, notamment en matière d’incompatibilités, pourront s’installer en France en obtenant une équivalence. Le cas échéant, un examen allégé sera imposé aux détenteurs d’un diplôme d’une valeur manifestement inférieure à celui qui permet la délivrance de la licence. En tout état de cause, tous seront strictement soumis aux mêmes règles que les agents français, ce qui n’était pas clairement le cas aujourd’hui.

Les conditions seront moins strictes pour un agent souhaitant exercer son activité de manière très ponctuelle en France. Il devra être établi légalement dans son pays et respecter les règles relatives aux incapacités et aux incompatibilités. Ainsi, il ne pourra pas s’agir d’un entraîneur qui exercerait le métier d’agent dans son pays, comme le cas pouvait se présenter jusqu’à présent.

Tous ces professionnels devront déclarer leur activité aux fédérations, qui la contrôleront.

Une telle mise en conformité avec le droit communautaire est une nécessité. Sur le fond, elle ne retire rien à notre capacité d’encadrer l’activité des agents européens.

Par ailleurs, la rédaction proposée vise à imposer clairement aux fédérations de faire respecter les dispositions du code du sport, à encadrer l’action des collaborateurs d’agents, à préciser quelles sont les personnes potentiellement concernées par les sanctions prises par les fédérations et à interdire l’exercice de l’activité d’agent sportif aux avocats, afin de protéger la lisibilité de la profession.

En conclusion, mes chers collègues, la commission est favorable à l’adoption de la présente proposition de loi.

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