Intervention de Serge Lagauche

Réunion du 4 juin 2008 à 15h00
Agents sportifs — Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission

Photo de Serge LagaucheSerge Lagauche :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, de profondes mutations allant à l’encontre de l’éthique sportive ont, ces dernières années, entaché le sport professionnel. Argent et dopage ont été, et sont toujours, à la source de dérives qui, si elles ne sont pas nouvelles, ont pris une ampleur particulière avec la médiatisation et la mondialisation des événements sportifs.

Par ailleurs, en supprimant les quotas de joueurs liés à la nationalité au nom de la libre circulation des travailleurs entre les États membres, l’arrêt rendu le 15 décembre 1995 par la Cour de justice des Communautés européennes dans l’affaire Bosman a ouvert la voie à une dérégulation du marché des transferts et a ainsi constitué un appel d’air favorisant, en France notamment, l’intervention d’intermédiaires étrangers dont l’activité de mise en relation de joueurs étrangers avec des clubs français a pour partie échappé à tout contrôle.

Le sport doit représenter un certain nombre de valeurs morales, favoriser l’épanouissement personnel, l’esprit d’équipe et de performance, mais le développement du « sport spectacle » et sa médiatisation croissante – on pense notamment au marché colossal représenté par la vente des droits de diffusion du championnat de France de Ligue 1 de football – ont engendré des enjeux financiers considérables. Les sommes échangées entre les grands clubs lors des transferts de joueurs ont donné lieu à des pratiques frauduleuses à propos desquelles est très souvent pointé du doigt le rôle joué par les agents sportifs, véritables hommes de l’ombre des circuits sportifs professionnels.

Depuis la loi du 6 juillet 2000 modifiant la loi relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, l’encadrement de l’activité d’agent sportif a été calqué sur celui qui vaut pour la profession d’agent artistique.

L’activité d’agent sportif est soumise à l’octroi d’une licence d’une durée de trois ans, délivrée et renouvelée par l’une des vingt-sept fédérations sportives délégataires d’une mission de service public.

Si la loi de 2000 a très strictement encadré la profession d’intermédiaire sportif en posant les règles d’accès, d’exercice et de contrôle des agents sportifs, le système en vigueur depuis huit ans et la réglementation de son application ont montré leurs limites ; les contentieux mettant en cause des agents sportifs se sont multipliés.

Comment ne pas évoquer, à cet instant, le procès des comptes de l’Olympique de Marseille, les instructions et mises en examen au Paris Saint-Germain, l’instruction en cours sur le Racing-Club de Strasbourg ou encore l’enquête mettant en cause l’Association sportive de Saint-Etienne pour blanchiment d’argent ?

Le principal vice entachant le système est constitué par le paiement très fréquent de l’agent par les clubs, et non par les joueurs – c’est la pratique dite du double mandatement –, alors que le code du sport dispose très clairement, en son article L. 222-10, qu’ « un agent sportif ne peut agir que pour le compte d’une des parties au même contrat, qui lui donne mandat et peut seule le rémunérer ».

C’est l’interchangeabilité, totalement illégale, entre l’agent et le club qui a donné lieu aux affaires de collusion frauduleuse et de corruption ou aux détournements d’argent que je viens d’évoquer. Le versement de rétrocommissions par les agents aux dirigeants des clubs, par le biais de la surfacturation préalable des transferts, s’en est trouvé facilité.

Il ressortait des conclusions du rapport d’enquête sur l’exercice de la profession d’agent sportif rendu par l’Inspection générale de la jeunesse et des sports le 1er avril 2005 que si toutes les fédérations avaient, conformément à la législation en vigueur, mis en place une procédure d’accès à la profession d’agent sportif, leur mission légale de contrôle de cette activité n’était qu’imparfaitement assurée.

Le rapport relève en effet le très faible taux de contrats de mandat soumis aux fédérations. Ce taux est nul à la Fédération française de volley-ball, du fait de la décision de celle-ci de demander aux agents d’acquitter une redevance annuelle. Il est de 20 % à la Fédération française de hand-ball, et de 35 % à la Fédération française de football.

Étaient également mis en évidence le non-respect quasiment généralisé de l’obligation de rémunération de l’agent sportif par le seul mandant, le club s’acquittant de cette rémunération, et l’exercice de l’activité d’agent par de très nombreuses personnes dépourvues de licence. En effet, on estime que, pour 180 titulaires d’une licence d’agent sportif délivrée par la Fédération française de football, il existe entre 400 et 500 faux agents qui ne possèdent pas la licence mais qui, étant très bien intégrés, sont acceptés par certains clubs et jouent le rôle de prête-nom.

Le rapport souligne en outre le mauvais contrôle des agents du fait de la possibilité ouverte par la loi d’attribuer la licence à une personne morale, les salariés d’une société ayant obtenu la licence n’étant ainsi pas contrôlés.

Par ailleurs, le rapport met en exergue la multiplication des cumuls de la fonction d’agent avec celle de membre de l’encadrement d’un club, la détention, par un agent, de parts de capital de clubs, ou l’accession à des postes de responsabilité dans des clubs après avoir exercé la profession d’agent sportif. Toutes ces situations sont, selon les rédacteurs du rapport, « porteuses de risques en termes de conflits d’intérêts ».

Étaient enfin visés les agents impliqués dans des procédures judiciaires et/ou fiscales, notamment du fait du reversement d’une partie des commissions à des joueurs bénéficiant ainsi de compléments de revenus échappant aux charges sociales.

À la fin de 2006, le constat de tous ces manquements et déviances avait conduit le groupe socialiste de l’Assemblée nationale à demander la création d’une commission d’enquête, qui avait été refusée. Cette demande fut néanmoins à l’origine de la mission d’information sur les conditions de transfert des joueurs professionnels de football et le rôle des agents sportifs, présidée par M. Dominique Juillot, dont le rapport d’information, présenté en février 2007, comporte vingt propositions pour encadrer, et par là même moraliser, l’activité d’agent sportif.

La proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise sur l’initiative de notre collègue Jean-François Humbert, écrite en étroite collaboration – je ne peux imaginer qu’il en soit autrement – avec le ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative, reprend précisément la plupart des propositions formulées dans le rapport de la mission d’information que j’évoquais.

Les conditions d’accès, d’exercice et de contrôle de l’activité d’agent sportif seront indéniablement améliorées. La protection des jeunes sportifs mineurs sera accentuée.

On peut toutefois déplorer le très faible montant – 3 750 euros – de l’amende due en cas de violation de l’interdiction de percevoir une rémunération lors de la signature d’un contrat par un mineur.

Afin de rendre plus transparentes les conditions d’attribution de la licence d’agent sportif, il est prévu que celle-ci ne pourra plus être délivrée qu’à une personne physique, et non à une personne morale, comme le permet la législation actuelle.

Cette personnalisation de l’octroi de la licence d’agent devrait permettre de lever l’incertitude qui planait sur le rôle des collaborateurs d’agents sportifs dirigeants d’une société détentrice d’une licence. Nous regrettons toutefois que la démarche de clarification n’ait pas été menée jusqu’à son terme au travers de cette proposition de loi, en précisant que les préposés d’agents sportifs sont cantonnés à l’exécution de tâches administratives nécessaires au fonctionnement de la société constituée et que tous salariés de ladite société exerçant des fonctions d’intermédiaire doivent, eux aussi, être titulaires d’une licence d’agent sportif.

Le régime des incapacités et incompatibilités auquel sont assujettis les agents sportifs sera renforcé, le renouvellement triennal de la licence sera supprimé au bénéfice d’un contrôle annuel de l’activité de l’agent sportif par la fédération dont il dépend, et la gradation des sanctions disciplinaires sera complétée et les sanctions pénales aggravées.

Mes collègues du groupe socialiste et moi-même pensons que ces mesures constituent une avancée indéniable au regard de la législation en vigueur et qu’elles devraient contribuer sensiblement à corriger les déviances observées dans la pratique de l’exercice de la profession d’agent sportif.

Néanmoins, il demeure plusieurs points sur lesquels nous ne pouvons être satisfaits.

Ainsi, dans un esprit constructif d’amélioration du dispositif de la proposition de loi, nous soumettrons au Sénat un certain nombre d’amendements.

Tout d’abord, il nous semble pertinent d’encadrer plus fermement l’activité de « préposé » d’agents sportifs, en soumettant son exercice à l’obligation de détention d’une licence lorsque l’intéressé n’effectue pas que des tâches administratives.

Pour limiter le plus possible les risques de conflits d’intérêts, nous proposerons également d’interdire formellement tout cumul des fonctions de dirigeant, d’associé ou d’actionnaire d’une société d’agent sportif avec celles de sportif ou d’entraîneur.

Par ailleurs, nous souhaitons encadrer davantage l’activité des agents sportifs qui ne sont pas ressortissants d’un État membre de l’Union européenne ou d’un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen, en les soumettant à l’obligation d’obtention d’une licence d’agent sportif dans des conditions équivalentes à celles qui prévalent pour les agents ressortissants d’un État membre de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen.

Enfin, nous sommes plus que sceptiques concernant la légalisation de la pratique du double mandatement telle qu’elle nous est proposée par la nouvelle rédaction de l’article L. 222-10 du code du sport.

Il est vrai que la prohibition actuelle n’a pas atteint son but, dans la mesure où elle n’a pas permis d’éviter les pratiques occultes et frauduleuses de versement de rétrocommissions par les clubs aux agents et aux joueurs.

Mais, plutôt que de mettre en place les moyens permettant un contrôle accru des contrats passés entre un agent et un sportif – on pense notamment au renforcement des prérogatives de la Direction nationale de contrôle de gestion, la DNCG, chargée de surveiller les comptes des clubs de football professionnel en France –, vous prévoyez simplement de légaliser cette pratique, en espérant qu’une telle mesure suscitera de la part des cocontractants un plus grand nombre de déclarations, et donc un contrôle renforcé des fédérations sur les contrats passés entre le sportif, son agent et son club.

Nous pensons au contraire que la prohibition du double mandatement aurait dû demeurer la règle. Seul un renforcement des contrôles des contrats passés entre les agents et les sportifs ou les agents et les clubs, combiné à des investigations plus poussées des services de police judiciaire pour traquer les fraudes, peut permettre de débusquer et de limiter les manœuvres fiscales et les détournements d’argent.

C’est aux fédérations qu’a été confiée la charge de contrôler le respect du principe selon lequel on ne peut être à la fois l’agent du joueur et l’agent du club entre lesquels un contrat est signé. Ce principe doit demeurer, et les moyens de contrôle doivent être étendus.

Au lieu de cela, la proposition de loi de notre collègue Jean-François Humbert permet la rémunération des agents de joueurs par les clubs. L’effet bénéfique supposé est le dépôt des contrats d’agents auprès des fédérations, ce qui leur permettrait, selon M. le rapporteur, de contrôler la régularité des rémunérations mentionnées dans les contrats.

En d’autres termes, chers collègues, vous faites reposer, ni plus ni moins, l’efficacité des contrôles fédéraux sur la bonne volonté des cocontractants, qui seraient incités à déclarer au niveau fédéral les contrats passés.

Ce raisonnement est d’autant plus contestable que le texte qui nous est proposé par M. Humbert étend aux ligues professionnelles le pouvoir de contrôle actuellement détenu par les seules fédérations sur les contrats conclus par l’intermédiaire d’un agent sportif. Les parties au contrat pouvant être les clubs dont les ligues représentent les intérêts, il y a fort à craindre que ces dernières ne deviennent à la fois juges et parties !

Les dérives du sport professionnel sont nombreuses, mais elles ont toutes un lien entre elles : l’absence de contrôle financier et le sentiment d’impunité qui prévaut.

Nous ne contestons pas l’insuffisance des contrôles fédéraux ; nous pensons simplement que les fédérations doivent être épaulées par des contrôles externes complémentaires. Nous souhaitons légiférer pour lutter contre les dérives, et non pas changer la loi pour les officialiser !

Plusieurs pistes alternatives ont été proposées par les experts du sport professionnel pour intensifier les contrôles. La certification des agents sportifs par un organisme indépendant en fait partie, tout comme la mise en place d’une direction nationale de contrôle de gestion rattachée au ministère des sports ou à la Cour des comptes.

Enfin, il semblerait intéressant de créer un service de police spécialisé dans la lutte contre les dérives du sport dont les compétences seraient élargies au dopage, à la corruption et aux paris truqués.

La lutte contre la fraude, comme la lutte contre le dopage, est l’affaire de tous les acteurs concernés. Il serait cependant illusoire de croire à une solution miracle d’autorégulation menant à l’éradication définitive des abus et des détournements. Seule une volonté constante d’information des jeunes et de tous les publics de la part des clubs permettra de réduire les abus.

Quant aux sanctions, elles devront être appliquées avec rigueur, en particulier par le monde sportif.

S’agissant de la police judiciaire et de la justice, elles devront continuer à remplir leur mission d’investigation et de sanction, afin de soutenir les efforts des fédérations.

L’adoption de la proposition de loi de notre collègue Jean-François Humbert permettra d’apporter quelques améliorations ; elle constitue à nos yeux une première étape sur la voie d’une meilleure régulation du sport professionnel, afin que l’éthique et la morale y soient respectées. Malheureusement, ce texte ne permettra pas de faire disparaître l’ensemble des vices entachant l’activité d’agent sportif et les transactions afférentes.

La corruption et les transferts occultes de sommes considérables lors des achats et des transferts de joueurs ternissent l’image du sport professionnel. Malgré quelques avancées visant à moraliser les relations du triptyque joueurs-agents-clubs, nous sommes opposés à la légalisation de la pratique du double mandatement opérée par ce texte, cette pratique ayant largement contribué à développer un système de rétrocommissions qui gangrène littéralement le football professionnel.

Parce que nous pensons que cette proposition de loi ne change rien, nous voterons contre. Respectueux des bonnes intentions de nos collègues, mais sans illusion, nous leur laissons la responsabilité de prolonger une situation qu’ils réprouvent.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion