Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a décidé de soumettre à votre approbation le projet de loi autorisant la ratification de l'accord de Londres, relatif à l'application de l'article 65 de la Convention sur la délivrance de brevets européens.
Voilà plusieurs années que cet accord suscite des débats, souvent passionnés. Malgré les rapports de MM. Vianès et Grignon en 2001, nous en avons repoussé la ratification. Du fait de ces atermoiements, la mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne est restée incomplète. J'accorde d'autant plus d'importance à la relance de cette stratégie, qui sera rénovée par la présidence portugaise de l'Union européenne, qu'il appartiendra à la présidence française de la mettre en oeuvre à partir du 1er juillet prochain.
Le Gouvernement a écouté les arguments des uns et des autres, à la lumière notamment du rapport qui a été établi en 2006 par votre délégation à l'Union européenne. Il en a conclu que le bilan était largement en faveur du protocole de Londres.
Il appartient désormais à la Haute Assemblée de se prononcer.
Revenons brièvement sur les principaux enjeux de ce protocole.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez, de façon légitime, soulevé la question de son incidence sur l'usage de la langue française. À cet égard, je veux apaiser vos craintes.
Tout d'abord, comme vous le savez, l'accord de Londres porte mal son nom, car il a été négocié à Paris, en 1999.
Ensuite, cet accord représente une chance pour nous aujourd'hui : celle de conforter la langue française comme l'une des trois langues du progrès technologique et de l'innovation en Europe. C'est la meilleure parade au « tout-anglais » que recommandaient certains États, qui ont finalement accepté le régime équilibré qu'il propose.
En effet, le protocole de Londres simplifie le régime linguistique des dépôts de brevet en Europe. En privilégiant trois langues - l'allemand, l'anglais et le français -, il sécurise la possibilité pour toute entreprise de déposer ses brevets dans ces trois langues.
Aujourd'hui, 90 % des entreprises françaises déposent leurs brevets à l'Institut national de la propriété industrielle, donc en français, ce qui leur permet de bénéficier de coûts réduits - notamment pour les PME -, d'une facturation avantageuse du rapport d'antériorité et d'une délivrance plus rapide des brevets.
Désormais, ces entreprises pourront déposer leurs brevets auprès de cet institut dans des conditions facilitées. Les revendications des brevets seront toujours traduites en français. C'est là une garantie essentielle, car les revendications constituent le coeur du brevet : c'est d'elles qu'il tire sa véritable force juridique du brevet ; ce sont elles qui définissent, comme leur nom l'indique, la portée de la protection de l'invention devant le juge et à l'égard des tiers.
Le protocole de Londres allège également les obligations de traduction puisqu'il dispense les déposants, c'est-à-dire nos chercheurs et nos entreprises, de traduire la partie technique du brevet, dénommée description, dans toutes les langues officielles, soit vingt-deux langues pour trente-deux États parties à la convention européenne sur les brevets.
Ainsi, demain, un brevet déposé en français sera valable, sur les territoires de langues anglaise et allemande, sans traduction en anglais des descriptions. Le français deviendra donc une langue de l'innovation à part entière.
M. Francis Grignon, rapporteur pour avis de votre commission des affaires économiques, estime qu'il en résultera une économie de 300 millions d'euros pour les entreprises européennes.
Qu'il n'y ait pas de malentendu : le protocole n'autorise en rien les déposants à choisir parmi ces trois langues pour les revendications. Le risque de voir les brevets européens libellés uniquement en anglais disparaît. L'accord ne sert pas à dresser un paravent pudique devant le monopole de l'anglais, mais il rend obligatoire l'utilisation des deux autres langues.
Le choix entre les trois langues ne sera possible que pour les parties techniques du brevet, c'est-à-dire essentiellement les schémas et les légendes. Cela n'emporte aucune conséquence sur l'avenir de la langue française puisque ces parties sont peu rédigées et n'ont pas de réelle portée juridique. M. Hubert Haenel, rapporteur de la commission des affaires étrangères, et M. Jean-Léonce Dupont, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, l'ont remarquablement démontré dans leur rapport.
Ce sont les revendications, toujours disponibles en français, qui feront apparaître tous les nouveaux termes qui seront utilisés dans les domaines scientifique, juridique ou technologique.
Ainsi, le français sera présent dans toutes les banques de données recensant les nouveaux procédés et les nouvelles découvertes. D'ailleurs, les entreprises ne s'y trompent pas : seulement 1, 7 % des descriptions disponibles en français sont aujourd'hui consultées.
Ces descriptions sont surtout utiles en cas de litige. Mais on ne compte en moyenne qu'un litige pour 2 000 brevets opposables en France. Lorsqu'un litige se produit, le protocole de Londres impose une traduction intégrale du brevet aux frais de son détenteur, et non aux frais de celui ou de celle qui est accusé de contrefaçon, c'est-à-dire le plus souvent une petite entreprise.
Le Conseil constitutionnel, gardien de nos principes républicains fondamentaux, a rendu en septembre 2006 une décision concluant à la compatibilité de l'accord de Londres avec l'article 2 de la Constitution, qui dispose que la langue de la République est le français.
Il faut permettre à nos entreprises et à nos grands instituts de recherche de réaliser des économies pour stimuler l'innovation et l'emploi en France. Comme l'a souligné M. Grignon, seule une PME sur quatre dépose des brevets en France. Le brevet européen coûte quatre à cinq fois plus cher qu'aux États-Unis et trois fois plus cher qu'au Japon. Or le dépôt d'un brevet par une PME se traduit dans les cinq ans par un doublement du nombre des emplois.
C'est la raison pour laquelle nous devons agir. C'est la raison pour laquelle l'Académie des sciences, l'Académie des technologies, les associations d'inventeurs, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises et le Mouvement des entreprises de France demandent depuis sept ans la ratification de l'accord de Londres pour qu'il soit répondu aux attentes de leurs adhérents.
Je trouve singulier que les opposants au protocole de Londres représentent des professions et des groupes qui ne déposent pas de brevet, qui ne pratiquent pas la propriété intellectuelle et qui ne font pas de différence entre ce qui est fondamental pour notre langue - les revendications - et ce qui est accessoire - les descriptions.
Je suis intimement persuadé que le refus de ratifier le protocole de Londres ne servirait pas le français. Nous maintiendrions un verrou illusoire puisque les descriptions en français ne sont que très peu consultées. Sa ratification, a contrario, n'entraînerait pas davantage un risque de contrefaçon de bonne foi puisque celle-ci ne peut être démontrée que sur la base des revendications, toujours disponibles en français. Le statu quo ne présente donc aucun avantage concret. De surcroît, il entraîne des surcoûts.
La non-ratification de l'accord aurait en revanche un coût politique très important puisqu'elle aurait pour conséquence de bloquer son entrée en vigueur, alors même que nous l'avons négocié à notre avantage en évitant le « tout-anglais » que préconisaient certains pays, y compris ceux qui nous sont le plus proches géographiquement et linguistiquement.
Notre refus conduirait de fait les treize pays qui ont engagé ou achevé la procédure de ratification à négocier entre eux un régime anglais.
Sept ans après l'avoir signé, nos amis allemands ont dressé un bilan du protocole de Londres. Ainsi, le nombre de brevets déposés en allemand auprès de l'OEB, l'Office européen des brevets est trois à quatre fois supérieur à celui des brevets déposés en français. En dépit de l'intérêt majeur qu'ils ont dans ces domaines, les Allemands n'ont pas hésité à ratifier le protocole, bien qu'ils soient aussi attachés à l'utilisation de la langue allemande que nous le sommes à celle de la langue française.
Une attitude de repli ne nous serait pas favorable. Pis, notre renonciation aurait pour conséquence irrémédiable de nous conduire au « tout-anglais ». Nous obtiendrions l'effet inverse de celui que nous recherchons.
Au contraire, la ratification du protocole de Londres serait un puissant levier de stimulation de l'innovation.
Certains font valoir qu'il n'est pas encore ratifié par tous les États membres. Mais il faut voir plus loin, il faut avoir confiance en nous, en notre capacité d'entraînement et d'influence sur nos partenaires, dans ce domaine comme dans d'autres.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les enjeux européens de cette ratification sont également importants.