Intervention de Valérie Pécresse

Réunion du 9 octobre 2007 à 16h30
Application de l'article 65 de la convention sur la délivrance de brevets européens — Discussion d'un projet de loi

Valérie Pécresse, ministre :

Nous ne pouvons pas laisser passer une telle chance, qui sera sans doute la dernière.

Déjà, au cours de la négociation du protocole de Londres, le mal nommé, des voix se sont élevées pour demander le passage au « tout-anglais ».

Si, demain, la France se refusait à ratifier ce texte qui ne peut entrer en vigueur sans elle, nul doute qu'elle serait en position de faiblesse pour défendre dans les négociations à venir la diversité des langues, nul doute que nous ne pourrions plus échapper, à court ou à moyen terme, à des concessions douloureuses en matière linguistique.

Cet accord est une occasion unique de renforcer la recherche française et de franchir un nouveau pas dans le développement de cette société de la connaissance que nous appelons de nos voeux.

Cette conviction, le Gouvernement la partage avec le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Serge Vinçon, ainsi qu'avec son rapporteur, Hubert Haenel, dont je voudrais saluer ici le travail remarquable. Il la partage également avec les présidents des commissions saisies pour avis, Jacques Valade et Jean-Paul Emorine, et leurs rapporteurs, Jean-Léonce Dupont et Francis Grignon. Je me réjouis de savoir que le Sénat pourra également s'appuyer, aujourd'hui, sur leurs analyses de très grande qualité.

Cette conviction, le Gouvernement la partage enfin avec tous ceux d'entre vous qui se sont penchés sur le protocole.

Rappelons les faits : il y a plus d'un an, la commission des finances de l'Assemblée nationale avait adopté un amendement du député Jean-Michel Fourgous autorisant la ratification du protocole. Le Gouvernement avait alors voulu offrir à tous le temps de la réflexion ; ce temps a été particulièrement bien employé, puisqu'il a permis à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, aux délégations pour l'Union européenne des deux chambres, à leurs commissions ainsi qu'au Conseil constitutionnel d'examiner avec une grande attention ce protocole, d'en peser toutes les conséquences, pour se prononcer finalement en faveur de sa ratification.

C'est donc, à n'en pas douter, un accord bénéfique pour la langue française, pour la recherche et l'innovation en France et, au-delà, pour le rayonnement de notre pays qui vous est soumis aujourd'hui.

Cet accord est tout d'abord favorable à la langue française.

De nombreuses inquiétudes se sont exprimées sur ce point essentiel. Mes collègues du Gouvernement qui m'ont précédée à cette tribune les ont évoquées. Je veux à mon tour y répondre très clairement, afin d'apaiser toutes les craintes qui se font jour chaque fois que l'avenir de notre langue est en cause.

Le protocole de Londres simplifie le régime linguistique des dépôts de brevet en Europe, et ce au bénéfice de trois langues : l'allemand, l'anglais et le français. Très concrètement, cela signifie que c'est dans chacune de ces trois langues que devront être traduites les revendications des brevets. C'est là une garantie essentielle pour les déposants francophones : les revendications sont le coeur du brevet, car ce sont elles qui définissent la portée de la protection juridique qu'il confère. Des revendications mal rédigées, ce sont des inventions mal protégées, et donc des brevets inutiles.

En faisant du français l'une des trois langues dans lesquelles les revendications des brevets doivent être obligatoirement rédigées, le protocole de Londres garantit que la partie fondamentale de chaque brevet sera nécessairement disponible en français.

Je veux insister sur ce point, qui a été la source de bien des malentendus : le protocole de Londres, je le répète, n'autorise en rien les déposants à choisir parmi ces trois langues, mais il oblige à rédiger les revendications du brevet dans chacune des trois langues.

II n'y a donc aucun risque que les brevets européens ne soient plus libellés qu'en anglais. L'accord ne mentionne pas trois langues afin de dresser une sorte de paravent pudique devant la reconnaissance du monopole de l'anglais ; bien au contraire, il impose tout simplement d'utiliser chacune des trois langues.

C'est pour les parties techniques du brevet, c'est-à-dire pour l'essentiel des schémas et des légendes, et pour ces parties seulement, que le choix entre ces trois langues sera possible. Cela n'emporte aucune conséquence pour l'avenir de la langue française, puisque ces parties techniques ne sont que peu rédigées et n'ont pas de réelle portée juridique. Il était donc légitime, dans un souci de simplification, d'autoriser leur rédaction dans l'une des trois langues officielles de l'Office européen des brevets.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, le protocole de Londres ne menace en rien le français, bien au contraire puisqu'il en fait l'une des trois langues officielles de l'innovation en Europe. C'est ce que le Conseil constitutionnel a reconnu en déclarant le protocole conforme à notre Constitution, qui consacre le français comme langue de la République.

Pourtant, je le sais, certains ne sont toujours pas convaincus des bénéfices que la France tirera du protocole de Londres. C'est pourquoi je veux le dire aujourd'hui devant vous : cet accord n'est pas seulement favorable à la langue française, il est aussi profitable à la recherche française et à chacune des entreprises innovantes que compte notre pays.

Si les États membres de l'Office européen des brevets se sont engagés dans une simplification du régime linguistique des brevets européens, c'est avant tout pour stimuler l'innovation en Europe. En effet, chacun de nous le sait, c'est de l'innovation que dépend désormais la croissance future de nos pays. C'est de notre connaissance et de notre capacité à la mettre en valeur que dépend notre avenir.

Le temps où il suffisait de suivre à notre rythme les pays innovants pour développer notre économie est désormais révolu. Ni la France ni l'Europe ne peuvent plus se permettre d'être à la pointe dans certains domaines et de laisser les autres aux États-Unis ou au Japon. Nous rivalisons aujourd'hui non plus seulement avec eux, mais aussi avec la Chine, l'Inde et l'ensemble des pays émergents, qui ont compris que l'intelligence était la plus grande de toutes les richesses humaines, la source unique dont découlent la paix, la prospérité et le progrès pour tous.

La France, qui a été de toutes les révolutions et de toutes les audaces, la France, dont sont sorties les Lumières qui ont éclairé l'Europe entière, n'a rien à craindre de la compétition mondiale des intelligences, et pour peu qu'elle s'y engage pleinement, elle y tiendra son rang.

Nous devons donc donner à nos chercheurs, à nos inventeurs les moyens de lutter à armes égales avec les chercheurs et les inventeurs des autres nations de ce monde. Le peuvent-ils, quand le dépôt d'un brevet est deux à trois fois plus coûteux en Europe qu'au Japon ou aux États-Unis ? Le peuvent-ils quand il faut traduire intégralement un brevet dans les vingt-trois langues de trente-deux pays ?

Je le sais, certains trouveront déplacé de parler d'argent lorsque l'on s'entretient de science, de savoir et de découverte. Mais les plus grands esprits eux-mêmes doivent bien vivre, et la moindre des choses, à mes yeux, est qu'ils puissent vivre des fruits de leur intelligence.

Dans ses premières années, une PME innovante n'a qu'une seule richesse : le brevet qu'elle a déposé et sans lequel elle ne pourra se développer. Sans ce brevet, nul moyen de lever des fonds et d'emprunter auprès des banques. Les États-Unis l'ont bien compris ; ils modifient en ce moment même leur propre système des brevets afin de le rendre encore plus efficace et moins coûteux pour les entreprises innovantes.

Voilà pourquoi il nous faut réagir, en ratifiant le protocole de Londres, mais aussi en formant nos jeunes ingénieurs et nos jeunes doctorants au dépôt de brevet.

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