Pour toutes ces raisons, les traductions ne sont pas utilisées. Des statistiques réalisées dans la plupart des pays établissent que moins de 1 % des traductions de brevets sont consultées. Ce n'est pas défendre efficacement la langue française que d'entasser dans les sous-sols de l'INPI des tonnes de papier que personne ne lira.
C'est plutôt un faux-fuyant qui ne réglera pas le vrai problème de l'insuffisance des dépôts de brevets en France. Je citerai trois chiffres : l'Allemagne enregistre 50 000 demandes de dépôt de brevet par an, le Royaume-Uni de 25 000 à 30 000, la France 17 000, soit un tiers des demandes de dépôt de l'Allemagne. Telles sont les statistiques enregistrées depuis trente ans que le brevet européen existe.
Les obstacles que nous rencontrons tiennent à la formation, à la culture nationale et à la structure des PME - je ne développerai pas tous ces aspects. L'innovation technologique souffre d'un lourd handicap en France et je n'hésite pas à interpeller le Gouvernement sur ce point, même s'il n'est pas au coeur de notre débat : nous devons renforcer notre politique d'innovation, de recherche et développement en faveur des PME par des mesures fiscales incitatives et par une meilleure formation dans les écoles d'ingénieurs et les universités.
Il faut développer un substrat qui encourage les PME françaises à déposer plus de brevets et nous permette de passer de 17 000 à 25 000 ou 30 000 demandes de brevets par an. Le génie français n'est pas inférieur au génie allemand en matière de technologie, seule notre culture est déficiente sur ce point. Nous avons également besoin d'une politique plus volontariste en matière d'information scientifique et technique, où l'anglais est devenu prépondérant, ce qui pose un vrai problème.
La ratification de l'accord de Londres suppose évidemment des mesures d'accompagnement, cela a été souligné. J'en proposerai quatre.
En premier lieu, le ministère de l'industrie doit faire en sorte que les abrégés soient traduits et mis à disposition le plus rapidement possible - je crois que Jean-Léonce Dupont l'a également demandé. L'abrégé permet déjà une connaissance du contenu du brevet.
En deuxième lieu, les revendications doivent être traduites et publiées au moment du dépôt du brevet. La difficulté que nous rencontrons aujourd'hui tient à une traduction trop tardive des revendications, cinq ans après la publication du brevet. Les traduire et les publier dans un délai de neuf à dix-huit mois rendrait un service important aux PME en particulier, qui y auraient accès plus rapidement.
En troisième lieu, il faut répondre aux inquiétudes de la profession des traducteurs qui est touchée par l'accord de Londres, même s'il est difficile d'estimer dans quelle mesure. En effet, selon les estimations, 200 à 300 traducteurs vivraient des demandes de brevet ; ces chiffres sont sujets à caution car la profession est relativement divisée. Nous devons répondre à cette préoccupation et le groupe socialiste demande que le ministère de l'industrie organise une table ronde avec la profession sur les points que je viens d'indiquer et sur d'autres, comme le développement de la veille technologique. Accompagnons les traducteurs dans la modernisation de leur profession ! Quand le système européen des brevets est entré en vigueur, les conseils en brevet français ont exprimé la crainte d'être débordés par leurs concurrents anglais ou allemands. Cela ne s'est pas produit car les Français ont su structurer et développer une nouvelle profession de conseil en brevet de dimension européenne. C'est tout aussi jouable dans le cas des traducteurs.
En dernier lieu, nous devons demander à l'Office européen des brevets et à la Commission européenne d'accorder le libre accès aux bases de données de terminologie qu'ils construisent, au fur et à mesure des traductions de brevets, dans tous les domaines de la science et de la technique.
J'évoquerai brièvement la question du coût des traductions : pour le système européen des brevets, il s'élève approximativement à 700 millions d'euros. C'est une sorte d'impôt que l'Europe prélève sur ses entreprises innovantes car cet argent n'est pas utilisé intelligemment. Les entreprises américaines ou japonaises ne supportent pas un tel prélèvement : cela mérite réflexion.
Par ailleurs, le coût de la traduction d'un brevet moyen, selon l'expression consacrée, s'élève à 7 000 euros. Une PME innovante dépose de cinq à dix brevets par an. La traduction de dix brevets coûte en moyenne 70 000 euros, somme non négligeable. Il faut trouver un moyen d'aider ces PME innovantes qui veulent et peuvent exporter car une PME qui détient des brevets a plus de chances de remporter des succès à l'exportation.
On nous objecte que l'accord de Londres va faciliter l'invasion des brevets américains et japonais. Cette conception me semble dépassée : un meilleur accès à l'innovation technologique en France et en Europe ne peut qu'être positif car il est gage d'investissements et d'emplois futurs. Ou alors, il faudrait élever autour de l'Europe une barrière protectrice contre les technologies américaine et japonaise. Poussé à son terme, ce raisonnement devient donc intenable.
Enfin, j'évoquerai les relations entre l'accord de Londres, le brevet communautaire et les problèmes de juridiction, questions sur lesquelles beaucoup a déjà été dit.
Le brevet européen a rencontré un immense succès : on compte 200 000 dépôts de brevets par an, 6 000 à 7 000 agents travaillent à l'Office européen des brevets, dont 1 500 Français qui défendent la langue française - ne donnons pas systématiquement dans la morosité ! Ce brevet voit sa qualité mondialement reconnue et il a servi de modèle à l'harmonisation du droit des brevets, non seulement en Europe mais dans le reste du monde. Tous les pays copient le système européen des brevets.
Mais le brevet européen n'a pas évolué depuis sa création en 1973, date à laquelle les « pères fondateurs » ont rédigé la convention de Munich. Il se heurte à deux écueils : le coût du système et le problème des juridictions.
J'ai déjà évoqué la question du coût des traductions, l'accord de Londres cherche à y répondre. Le système européen des brevets génère un autre type de coût, les taxes annuelles, qui représentent plus de 1 milliard d'euros payés par l'industrie pour faire vivre les brevets pendant leur vie de vingt ans. Un débat doit être ouvert pour envisager si l'on ne peut pas réduire cette somme ou mieux l'utiliser.
Quant au problème des juridictions, le brevet communautaire y apporte une réponse, plusieurs d'entre vous l'ont dit. Mais la convention de Luxembourg de 1975, sur laquelle il repose, n'est jamais entrée en vigueur parce qu'elle bute notamment sur le problème des langues. En effet, des États comme l'Espagne, le Portugal, et d'autres, veulent que leur langue officielle soit reconnue. L'accord de Londres permet de contourner cette difficulté en posant les bases d'un système communautaire ainsi que, je l'espère, d'un système juridictionnel satisfaisant. Il jetterait en quelque sorte un pont entre le brevet européen et le brevet communautaire.
L'accord de Londres constitue peut-être même un exemple pédagogique, en ce sens qu'on pourrait imaginer un brevet communautaire conçu selon le même modèle, c'est-à-dire ouvert aux seuls États l'ayant accepté, les autres conservant le brevet européen. Il peut paraître étrange de préconiser un brevet communautaire qui ne serait pas vraiment unitaire, mais ce serait une façon d'avancer dans la bonne direction.
Aux yeux du groupe socialiste, l'accord de Londres représente donc une occasion unique, en termes d'investissements, d'emploi, de recherche et développement, domaines importants pour l'avenir de notre pays. Il répond au risque du « tout-anglais » et affirme la place du français, représentant ainsi une réelle avancée. Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste votera le projet de loi autorisant la ratification de l'accord de Londres.