Inutile de traduire, mon cher collègue !
Le protocole de Londres constitue une véritable menace pour la langue française, car, n'en doutons pas, le français disparaîtra des bases de données mondiales et sera éliminé de la langue scientifique de demain.
La compagnie nationale des conseils en propriété industrielle considère que la ratification de cet accord conduirait, à terme, à renoncer à la réflexion en français dans les sciences et les techniques. On ne répétera jamais assez que la diversité est une richesse et que l'avenir est à la diversité. Je ne suis pas pour le français über alles excluant les autres langues, mais, face à l'hégémonie du « tout anglais » et au danger de l'uniformisation, il est indispensable de défendre le pluralisme et la diversité des langues.
Le protocole de Londres n'obéit, hélas ! qu'à des calculs financiers qui occultent les conséquences culturelles et politiques de ce texte, non seulement pour la France, mais aussi pour les autres peuples européens.
Promouvoir la diversité culturelle et linguistique, c'est aussi favoriser l'apprentissage de l'allemand, du polonais, de l'italien ou du hongrois, comme l'a rappelé le Président de la République lors de son déplacement à Budapest, dans l'ensemble de l'enseignement scolaire européen, alors que l'apprentissage de ces langues n'est pas suffisamment encouragé dans notre propre pays.
Le langage construit la pensée ; tout comme nous refusons la pensée unique, nous ne voulons pas d'une langue unique.
Un sondage effectué par un grand quotidien auprès des internautes montrait que nos concitoyens défendaient le français à 62%. Faut-il rappeler que la langue est un puissant élément d'identification, qu'elle est non seulement un outil de communication, mais aussi un instrument de pouvoir, voire de domination ?
Des centaines de dialectes et de langues ont déjà disparu. Cette cruelle et tragique tendance ne fait que s'accélérer de par le globe, appauvrissant de façon irrémédiable le patrimoine humain d'autant de visions du monde. C'est pire que les bibliothèques et les livres que l'on brûle dans le roman d'anticipation de Ray Bradbury que nous avons tous lu dans notre jeunesse, Fahrenheit 451, remarquablement porté à l'écran par François Truffaut, car ce sont la mémoire et la transmission orale des langues que l'on condamne.
Et n'est-il pas particulièrement regrettable de s'attaquer aux traductions, donc aux langues, alors même que le brevet européen est surtout coûteux en raison des taxes très lourdes prélevées par l'Office européen des brevets, qui est la première barrière à l'accès des PME au brevet européen ?
Cet office n'a pas voulu réduire ses revenus, pourtant à la hauteur de ses tarifs prohibitifs, ce qui a inspiré à certains États l'idée de sacrifier les traductions, qui ne représentent pourtant en moyenne que 10 % du coût du brevet, contre 75 % pour les taxes et frais de maintien et 15 % pour les procédures. Si l'objectif affiché est de faire des économies, c'est donc sur la question de ces taxes et frais abusifs que doit prioritairement porter toute réforme.
Puisqu'il est question de mieux soutenir la recherche scientifique et l'innovation françaises, pourquoi ne pas avoir plutôt l'ambition de créer sur Internet une immense base de traduction des données scientifiques et techniques d'avenir ?
Google a mis en ligne gratuitement tous les brevets américains et a annoncé qu'il continuera cette politique avec les autres brevets, notamment européens. Il s'agit peut-être là d'une occasion exceptionnelle de rendre les brevets gratuitement accessibles en français au monde entier. Cependant, afin de ne pas laisser échapper cette opportunité, il est essentiel de refuser que 93 % des brevets européens ne soient plus traduits en français.
De plus, indépendamment des initiatives privées, il est souhaitable que les traductions en français des brevets européens existants ou à venir soient également mises en ligne par un organisme d'intérêt public tel que l'Institut national de la propriété industrielle. À l'ère de la révolution numérique, c'est une mission légitime.
Pour aller plus loin, pourquoi ne pas créer un service public européen des brevets, qui respecterait chacune des langues des pays adhérents à l'Union européenne ?
De nombreux États ont adopté une monnaie commune avec l'euro ; je pense que, de même, à plus ou moins long terme, le besoin d'une langue commune se manifestera de façon croissante.
Pourquoi pas ? Mais une langue commune ne sera acceptable par les peuples que si chacun des pays adhérents à l'Union européenne sent non pas que sa langue est menacée mais au contraire qu'elle est respectée, et à la condition que l'on accepte que la traduction demeure l'une des langues vivantes de l'Europe, c'est-à-dire une langue au service de toutes les autres et reconnaissant à chacune le droit de s'affirmer et de se développer à égalité.
En conclusion, aucune étude ne permet de mesurer les effets qu'aurait le protocole de Londres s'il était ratifié, et rien ne démontre qu'il sera source d'économies et encore moins qu'il permettra de favoriser le dépôt de brevets en français. C'est même l'inverse qui risque de se produire, avec pour conséquence, on l'a dit, une insécurité juridique accrue. Et je me contenterai de mentionner ses conséquences négatives sur l'emploi, notamment dans le domaine de la traduction...
Alberto Moravia disait à propos des langues qu'elles étaient les « merveilles de l'Europe ». Ratifier un accord au seul nom de la rentabilité économique en ignorant les aspects éthiques et culturels liés au patrimoine linguistique européen est un non-sens politique. Ce n'est pas la meilleure façon de construire l'Europe et encore moins de respecter les peuples qui la composent.
Au nom de la diversité linguistique, composante essentielle de l'économie de la connaissance, je demande donc à la Haute Assemblée de s'opposer à la ratification du protocole de Londres.