Intervention de Jean-Paul Emorine

Réunion du 15 octobre 2008 à 15h00
Loi de finances rectificative pour le financement de l'économie — Adoption définitive d'un projet de loi

Photo de Jean-Paul EmorineJean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques :

Le texte que nous examinons cet après-midi, traduction nationale des engagements pris en commun par l’Eurogroupe le week-end dernier, est l’outil enfin efficace pour ramener les marchés à une certaine raison. La détermination du Président Sarkozy a été payante et, chacun sur ces bancs doit s’en réjouir, le possible écroulement du système a été évité.

En revanche, aucun d’entre nous ne peut se satisfaire de ce que la catastrophe ait été si proche. Une réflexion sur l’organisation et le contrôle de l’industrie financière doit être engagée sans attendre, afin d’aboutir rapidement à des mesures concrètes, efficientes et applicables à tous les acteurs financiers internationaux.

De même, personne ne peut cacher que l’avenir à court terme reste sombre, incertain pour notre économie, fragile pour les échanges mondiaux, dangereux pour la croissance.

En effet, les diverses mesures de sauvegarde prises avant le week-end dernier, tant outre-Atlantique qu’en Europe, ont été inefficaces. En effet, les marchés ont tout simplement anticipé la contagion de la crise financière à l’économie réelle et n’ont pas considéré que les moyens mis en œuvre jusqu’alors étaient de nature à l’éviter.

Cette contagion, nous l’observons dès à présent : le crédit interbancaire qui se tarit, c’est le crédit aux entreprises, aux collectivités locales et aux particuliers qui s’assèche. C’est l’investissement qui s’interrompt, le marché de l’immobilier qui se retourne, la consommation qui ralentit, les carnets de commande qui ne se remplissent plus, les trésoreries qui fondent, l’activité qui stagne.

Les entreprises, et au premier rang les plus petites d’entre elles, ont commencé par réduire les heures supplémentaires et l’intérim ; aujourd’hui, elles ne recrutent plus, et le risque existe que, demain, elles licencient. Chacun de ces effets alimentant et aggravant les autres, le cycle économique est véritablement sous tension.

Voilà en quoi cette crise n’est pas que financière ; voilà pourquoi il ne s’agissait pas simplement d’un ajustement, comme en connaissent les marchés lorsque éclate une « bulle » déconnectée du reste de l’activité économique ; voilà pourquoi il était indispensable d’intervenir massivement afin de restaurer la confiance.

Pour autant, le feu couve encore. Aussi, au-delà du présent projet de loi de finances rectificative, je souhaite saluer les initiatives prises par le Gouvernement ces derniers jours. Dans le contexte nouveau créé par les décisions du week-end, elles sont de nature à éviter le pire.

Je pense tout d’abord au déblocage de 8 milliards d’euros des fonds disponibles du livret de développement durable à destination des PME, comme aux 9 milliards d’euros provenant du livret d’épargne populaire orientés vers les entreprises de taille intermédiaire, entreprises auxquelles vous avez, monsieur le président, porté une attention toute particulière lors de l’examen de la loi de modernisation de l’économie.

Je pense aussi aux financements supplémentaires de 5 milliards d’euros mobilisés par l’établissement public OSEO pour soutenir les entreprises, qu’elles soient PME ou grands donneurs d’ordres.

À cet égard, toutefois, permettez-moi de suggérer que l’élargissement des bénéficiaires du dispositif « Avance plus » ne porte pas préjudice aux collectivités locales auxquelles il était jusqu’ici destiné. En effet, nos collectivités pourraient, elles aussi, être durement touchées par les tensions actuelles sur le crédit, et il serait dramatique pour l’activité économique locale qu’elles reportent leurs investissements. Du reste, si les PME n’avaient plus de commandes publiques, cela annihilerait en partie les soutiens financiers que leur consent par ailleurs, directement ou indirectement, la puissance publique.

S’agissant toujours des collectivités, nous savons, car nos élus locaux nous en alertent régulièrement, que les banques imposent actuellement des conditions de financement extrêmement rudes qui accroissent le coût du crédit et engagent les collectivités qui empruntent sur des durées de plus en plus longues, notamment par le renchérissement des indemnités de remboursement anticipé.

Monsieur le secrétaire d’État, il est essentiel que les soutiens que l’État accordera aux banques à la faveur du plan autorisé par le présent projet de loi soient conditionnés par un retour à des pratiques normales, non pénalisantes pour les emprunteurs.

Cela est particulièrement vrai pour Dexia puisque l’État en est maintenant actionnaire : avoir sauvé la banque des collectivités locales n’a de sens et d’intérêt que si elle renonce à présenter des offres dégradées de crédit à ses clients principaux. Je crois pouvoir dire que le Sénat tout entier, du fait de son rôle, vous fait cette demande, car il se place résolument aux côtés des collectivités territoriales.

Je voudrais aussi rendre hommage aux partenaires sociaux, gestionnaires de l’UNEDIC, qui ont décidé vendredi dernier d’accorder aux PME confrontées à des difficultés de trésorerie un report d’un ou deux mois, selon leur taille, de l’appel de leurs cotisations d’assurance chômage.

C’est une décision courageuse du régime, même si, comme ses gestionnaires, je suis convaincu qu’il s’agit d’un calcul payant : mieux vaut financer un report de paiement que supporter une diminution nette des cotisations en raison de faillites plus nombreuses. Au demeurant, ces faillites pèseraient non seulement sur les recettes mais aussi sur les charges, puisqu’elles s’accompagneraient inévitablement de licenciements, et donc d’un accroissement du nombre de chômeurs à indemniser.

Il reste que la part des cotisations chômage dans les charges des entreprises est relativement minime et que la question se pose de savoir si l’État, à côté du vaste effort qu’il consent pour sauver le système bancaire, n’aurait pas aussi intérêt à favoriser un mécanisme de report similaire pour les autres cotisations sociales, voire de le décider lui-même pour la fiscalité des PME.

Il est vrai que la puissance publique intervient déjà de manière considérable pour rétablir un système économique privé chancelant, mais les circonstances exceptionnelles qui le conduisent à agir de la sorte peuvent justifier de parachever son effort par toute mesure de nature à réduire le nombre des faillites, frappant notamment des PME, qui ne vont pas manquer malheureusement de survenir dans les prochaines semaines.

À cet égard, la crise que nous subissons fait resurgir un débat que nous avons eu ici voilà quelques mois sur les délais de paiement. Vous vous souvenez certainement, monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chacun s’accordait à reconnaître que la diminution substantielle du crédit interentreprise qui allait nécessairement résulter du passage du délai à soixante jours au maximum devait, pour être supportable, être accompagnée d’une augmentation à due proportion du crédit bancaire. Or, évidemment, l’accès des entreprises à ce crédit ne s’est pas ouvert davantage ces derniers mois ; il s’est même rétréci.

Dans ces conditions, je ne crois pas qu’il soit opportun de rouvrir le débat de principe : nos discussions en séance ont été longues et le Parlement a adopté un dispositif qui tend à ramener la France dans la moyenne de ses partenaires européens en la matière. Naturellement, nous espérons tous que les efforts louables du Gouvernement pour restaurer une certaine fluidité du crédit porteront leurs fruits. Aussi, monsieur le secrétaire d’État, je soutiens votre approche consistant à ne pas remettre aujourd’hui en cause la date de mise en œuvre de la réforme, soit le 1er janvier 2009.

Si, malgré le texte que nous adopterons tout à l’heure, malgré l’action de l’État, il s’avérait par exemple que, à la fin du mois de novembre, les conditions d’obtention des prêts bancaires restent relativement tendues et ne retrouvent pas le niveau qui était le leur au moment de l’adoption de la loi de modernisation de l’économie, ne serait-il pas sage, alors, d’envisager un report de la mesure ?

Les craintes exposées par le président Larcher, par notre rapporteur, Élisabeth Lamure, ainsi que par plusieurs de nos collègues lors du débat au Sénat sur l’équilibre de nombreuses filières importantes de notre économie pourraient se révéler fondées. Dans ce cas, qui aurait intérêt à fragiliser encore davantage des entreprises qui supportent, par leur activité, l’ensemble d’un secteur ?

Monsieur le secrétaire d’État, si l’accès « normal » au crédit n’était pas rétabli dans les six semaines qui viennent, le Gouvernement serait-il toujours opposé à un report de la mise en œuvre des nouveaux délais de paiement ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion