Intervention de Jean-Michel Baylet

Réunion du 15 octobre 2008 à 15h00
Loi de finances rectificative pour le financement de l'économie — Adoption définitive d'un projet de loi

Photo de Jean-Michel BayletJean-Michel Baylet :

J’entends dire que ce plan n’est pas parfait, qu’il ne va assez loin, que la confiance retrouvée est fragile, que les prévisions de croissance restent mauvaises, que beaucoup d’emplois restent menacés, ou encore que le pouvoir d’achat ne s’en trouve pas amélioré. Tout cela est vrai ou partiellement vrai, et j’y reviendrai.

Mais enfin, que voyons-nous et que voulons-nous ?

Voilà quelques jours, la panique s’étendait à grande vitesse depuis le cœur des institutions financières jusqu’à tous les petits épargnants, tous les petits porteurs, tous ceux qui craignaient pour leur retraite. Le sentiment d’une crise gravissime n’était plus celui des seuls spéculateurs, très justement mis en accusation par leurs victimes potentielles, mais celui de l’ensemble de nos concitoyens.

Voilà deux semaines, nous déplorions l’insigne faiblesse de l’Europe face au géant américain. Et aujourd’hui, c’est l’initiative coordonnée des Européens qui rend la confiance aux marchés, y compris Wall Street, et aux peuples, alors que le plan Paulson, pourtant doté de 700 milliards de dollars, avait été impuissant à enrayer la crise.

Voilà quelques mois, les tenants d’un libéralisme sans principes et d’une mondialisation sans lois espéraient encore leur survie de « la main invisible du marché », alors même que, pour la crise énergétique ou la crise alimentaire, la main de certains profiteurs était déjà bien visible. De M. Bush à Mme Merkel, en passant par le gouvernement britannique, on ne jure plus désormais que par la « régulation », nouvel euphémisme qui désigne cette économie mixte où la puissance publique réhabilitée refuse de se résigner à ce que les banquiers jugent inéluctable.

Et voilà quelques minutes, nous avons encore entendu poser la question du financement du volet français de cette opération de sauvetage de l’économie alors que, d’une part, si la confiance retrouvée perdure, la garantie payante donnée aux opérations interbancaires n’aura aucune raison d’être mise en jeu et que, d’autre part, les prises de participation dans les établissements exprimant des besoins en capital pourraient se révéler rapidement sources de bénéfices pour l’État.

Mais je crois que l’essentiel est bien là où les Français l’ont vu : pour la première fois, sur un sujet aussi important, les Européens parlent d’une seule voix et la similitude, en volume et quant aux modalités, des volets anglais, allemand et français, suffit à démontrer que l’élan communautaire s’est imposé comme une évidence que les radicaux de gauche, fédéralistes convaincus, saluent aujourd’hui.

Faudra-t-il pour autant en rester là et se contenter d’un succès d’étape dont chacun devine qu’il est à la merci de nouvelles convulsions ? Je ne le crois pas, et cela pour trois raisons.

La première raison, qui impose une réponse de court terme, tient à ce que la situation de ceux qui travaillent vraiment et qui ne jouent pas au Monopoly dans une salle dorée - je veux parler des vrais entrepreneurs et des salariés - ne s’est pas améliorée. La croissance est en panne, les prévisions pour 2009 n’augurent rien de bon et la crise de liquidités a révélé les besoins de financement de ce qu’il est désormais convenu d’appeler, dans un terrible aveu, l’« économie réelle ».

Il me semble que les énormes facilités accordées au système bancaire imposent de véritables contreparties, caractéristiques de cette économie mixte que les radicaux, là encore, ont toujours souhaitée.

Il faut, bien sûr, modifier les règles d’un jeu devenu fou, notamment sur les ratios de liquidités, la nature des risques et les échanges à terme. Mais il faut aussi profiter de l’effet de levier produit par l’aide de l’État pour imposer aux banques de financer effectivement et dans des conditions améliorées ceux qui créent des emplois.

Je prendrai trois exemples concrets.

Tout d’abord, j’appelle de mes vœux la mise en place un vaste système de prêts bonifiés avec différé d’amortissement, au moins jusqu’en 2010, au profit des PME et PMI, gisement d’emplois, d’innovations et de capacités d’exportation.

Ensuite, je veux aider Mme la ministre du logement à améliorer son plan d’endettement perpétuel pour en faire un véritable plan d’accession sociale à la propriété, en diminuant la durée des prêts non seulement pour le rachat des HLM, mais aussi pour la construction neuve, dans un secteur où 150 000 emplois sont en danger.

Je veux enfin - et où le dire mieux qu’au Sénat ? – sortir les collectivités d’une situation financière liée aux conditions de leur endettement, mais aussi aux effets de la récession sur les recettes de taxe professionnelle, de droits de mutation et de foncier bâti. Il faut imposer aux banques de renégocier les prêts avec des taux fixes au lieu des taux variables qui livrent nos collectivités à la spéculation.

Le deuxième motif que nous avons de prolonger l’élan interventionniste, qui a eu des effets si heureux et qui nous oblige à ne pas nous désarmer, est à rechercher dans le champ européen. Les événements de ce week-end sont la preuve éclatante que l’Union européenne a besoin d’un gouvernement économique, dont elle ne peut abandonner l’aspect monétaire à la seule BCE.

Ce gouvernement économique, pour être efficace, devra être doté d’armes telles qu’une fiscalité directe communautaire, de grands services publics européens - qu’il faudra bien cesser de démanteler par pur dogmatisme au moment même où l’on réinvente la régulation financière par les États : nous en avons un exemple frappant avec La Poste -, mais aussi telles que l’usage raisonné du déficit budgétaire - n’ayons pas peur du mot ! - qui permettrait, à rebours de la stricte orthodoxie, de financer de grands travaux d’investissement et donc de créer des emplois qui doperaient nos exportations, ce qui ne serait somme toute que la réponse du berger européen à la bergère américaine.

En signant le très strict traité de Maastricht, nous avons renoncé à cette possibilité au plan national, mais nous n’avons jamais déclaré que nous l’abandonnions pour l’avenir au niveau européen.

En 2009, nous aurons un nouveau Parlement européen et, sous réserve de la ratification finale du traité de Lisbonne, une nouvelle Commission. L’occasion est belle de poser cette question : l’Europe enfin devenue visible aux yeux de ses citoyens est-elle décidée à continuer d’exister ?

Enfin, ma troisième raison de souhaiter que la résurgence forte de la volonté politique face au laisser-aller libéral se prolonge durablement tient à la nécessité de réformer en profondeur et les règles monétaires internationales et celles de l’OMC.

Le déséquilibre des accords de Bretton Woods signe leur caducité et la faiblesse du niveau d’intervention du FMI montre son inadaptation. En réalité, le système ne fonctionnait déjà plus du tout sur ses bases initiales depuis 1971 et la décision de non-convertibilité du dollar, à cette époque où le secrétaire d’État américain au Trésor déclarait aux Européens : « Le dollar est notre monnaie, mais c’est votre problème ! ».

Pour cynique qu’elle ait été, cette déclaration était la traduction de la réalité, et nous l’avons vérifié aussi bien dans l’application des mécanismes de la politique agricole commune que dans le jeu de yoyo du cours du pétrole : nous ne cessons de payer le déficit de la réserve fédérale américaine.

L’ensemble du système doit donc être repensé en fonction des objectifs prioritaires suivants : le rééquilibrage entre les grandes monnaies mondiales sous l’angle de leur pouvoir d’arbitrage des échanges internationaux ; la création de règles imposées aux titulaires de rentes, énergétiques ou autres, aujourd’hui capables d’irriguer ou d’assécher des économies nationales entières ; la révision totale des règles d’intervention d’inspiration strictement libérale du FMI au profit de pays en développement.

Le chantier est donc immense. C’est une raison de plus de s’y attaquer dès la réunion du G8 élargi qu’on nous annonce pour novembre.

Quant aux accords de Maastricht, ils étaient dépassés dès leur signature. S’il s’agit de « moraliser » ou de « refonder » le capitalisme – des expressions que, pour ma part, je n’emploierais pas –, il n’y aura pas de commerce international équitable aussi longtemps que le libre-échange ne sera pas assorti de critères sociaux générateurs d’espoir dans les pays émergents, de clauses environnementales devenues aujourd’hui impératives et de conditions démocratiques propres à rénover les cynismes d’État.

Vous le voyez, l’approbation que les radicaux de gauche apportent au projet qui nous est soumis n’est ni aveugle ni exempte d’inquiétudes pour demain. Mais nous croyons qu’il est du devoir d’une opposition responsable et sûre d’elle de dépasser les strictes considérations partisanes pour s’attacher à l’intérêt public national – ou plutôt, en l’occurrence, à l’intérêt du continent européen –, tout en aiguillonnant le pouvoir exécutif et en le rappelant à l’objectif de justice sociale sans lequel aucune politique économique n’a de sens puisqu’elle ne se donne pas l’homme comme mesure et comme finalité.

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