Intervention de Marie-France Beaufils

Réunion du 15 octobre 2008 à 15h00
Loi de finances rectificative pour le financement de l'économie — Question préalable

Photo de Marie-France BeaufilsMarie-France Beaufils :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, rarement question préalable n’aura eu autant de sens : 360 milliards d’euros pour qui, et pour quoi faire ? Voilà la question qu’il est important de poser !

La crise financière, historique, et la crise économique et sociale profonde exigent des solutions fortes, urgentes. Oui, il y a urgence à protéger l’emploi, le pouvoir d’achat, à protéger les petits épargnants, à protéger les petites entreprises.

Il y a urgence, et M. Fillon l’affirme lui-même, mimant l’incendiaire qui crie au feu. Nous sommes en effet au bord du gouffre et la crise systémique menace notre pays.

En revanche, il n’y a aucune urgence à renflouer les spéculateurs et tous les acteurs responsables de cette faillite !

Notre question – 360 milliards d’euros pour qui et pour quoi faire ? – demeure après les débats qui se sont tenus à l’Assemblée nationale. Nous estimons que la décision de mettre à la disposition d’établissements bancaires une somme équivalant au budget de l’éducation nationale exige d’importantes garanties, point sur lequel je reviendrai.

Avant toute chose, je souhaiterais rappeler que – ce qui semble une évidence, bien que le Gouvernement et sa majorité aient du mal à l’intégrer – le krach boursier est non pas la source de la crise, mais le résultat d’une politique qui a déplacé l’utilisation de l’argent du développement économique, et notamment industriel, vers le profit financier et la spéculation.

L’énorme bulle financière qui explose actuellement est le résultat d’une politique initiée à la fin des années soixante-dix par Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Le modèle libéral anglo-saxon s’est imposé rapidement par un travail idéologique intense. Tout ce qui était public devenait facteur de stagnation, l’intérêt général devenait une notion conservatrice, alors que le progrès s’incarnait dans un individualisme exacerbé, la réussite sociale et, surtout, l’argent.

Le « chacun pour soi », la concurrence et l’enrichissement devenaient les valeurs cardinales de nos sociétés occidentales. La construction européenne s’est rapidement mise au diapason libéral.

L’Acte unique de 1986 affirmait le principe de la libre circulation des marchandises et des capitaux. Le traité de Maastricht mettait en place les institutions dévouées au marché, comme la Banque centrale européenne, que le Président de la République et le Gouvernement ne remettent aucunement en cause, et imposait les dogmes de la concurrence libre et non faussée.

Aujourd’hui encore, vous défendez un traité de Lisbonne qui perpétue un système qui s’effondre pourtant sous nos yeux.

La volonté des dirigeants politiques, acquis, comme vous, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, au capitalisme financier les a même amenés à refuser la démocratie en tentant de contourner les non français, néerlandais et irlandais à cette Europe au service des financiers et certainement pas à celui des peuples européens.

Oui, l’addition que notre pays doit payer aujourd’hui est posée depuis bien longtemps. Les privatisations massives de 1986 et de 1993 ont livré les secteurs bancaire et financier aux appétits capitalistes. Malheureusement, la gauche n’a pas su, n’a pas pu, n’a pas voulu stopper cette offensive, malgré notre inquiétude maintes fois formulée.

La question des privatisations est centrale. Il ne s’agit pas seulement d’un moyen de réduire le déficit public, elles constituent surtout un cadeau monumental aux marchés financiers alimentant la bulle spéculative, cette fameuse bulle financière.

Les privatisations à tout-va ont grandement participé à la déconnexion des bourses de l’économie réelle.

Le Gouvernement, la majorité, le Président de la République lui-même espèrent sans doute qu’une fois l’orage passé les affaires pourront reprendre comme auparavant.

J’ai pu lire, ici ou là, que la privatisation de La Poste serait suspendue, M. Sarkozy estimant peu judicieux de mettre sur le marché la Banque Postale, pour le moment. En revanche, rien n’est abandonné, semble-t-il, pour l’avenir.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, il faut aujourd’hui affirmer clairement que les privatisations massives, à tout-va, ont été une erreur et qu’en aucun cas La Poste ne sera cédée aux spéculateurs.

Oui, la crise d’aujourd’hui puise sa source dans l’évolution du capitalisme vers un capitalisme mondialisé et financier.

M. Fillon lui-même pourrait en tirer bien des leçons, lui qui s’est attaqué au système de retraite par répartition, favorisant l’explosion de produits financiers censés permettre une compensation par la capitalisation. Heureusement qu’il s’est trouvé des « archaïques », des partisans d’ « une société révolue », comme vous nous le rappelez bien souvent, pour empêcher que soit immédiatement suivi l’exemple des États-Unis : les fonds de pension de ce pays ont perdu depuis le mois de janvier 2 000 milliards de dollars, provoquant l’appauvrissement immédiat de centaines de milliers de personnes.

Le journal Les Échos de ce jour rappelle d’ailleurs que le fonds de réserve pour les retraites a chuté de 14, 5 %.

Qui n’a pas écrit, qui n’a pas alerté sur la crise financière des fonds de pension et leur influence extravagante sur les économies de la planète ?

C’est au cours des années quatre-vingt que la bourse est devenue l’alpha et l’oméga de la société. Ce qui détermine la réussite de notre pays, ce n’est plus la bonne tenue de notre industrie, de notre agriculture, notre influence culturelle et scientifique, c’est l’épaisseur des portefeuilles des financiers et spéculateurs.

Comment ne pas être stupéfait des commentaires d’hier sur l’euphorie des places boursières, les records de hausse ? Mme Lagarde avait souligné ici même l’importance de faire de Paris une place boursière de premier plan.

Que signifient ces hausses ? La relance de l’économie, la création de milliers d’emplois, l’augmentation du pouvoir d’achat ?

Non, ces hausses traduisent la joie des spéculateurs rassurés par la manne versée par les États européens, qui – faut-il le rappeler ? – ont racheté massivement des titres au plus bas depuis plusieurs jours.

Faut-il se réjouir de ce scandale : l’argent des contribuables européens favorise la spéculation ! Un de nos collègues a évoqué un retour à la sérénité. Malheureusement, après être remontés, les cours de la bourse ont de nouveau chuté.

« Du passé faisons table rase », entonne-t-on en chœur sur les bancs du Gouvernement, de la majorité et, surtout, me semble-t-il, à l’Élysée !

M. Nicolas Sarkozy nous a refait à Toulon le numéro maintenant bien connu du « Je vous ai compris. Je vais prendre bientôt les mesures que vous attendez, mais l’urgence exige que je satisfasse mes amis. »

Celui qui, après avoir promis l’augmentation du pouvoir d’achat, débloqua, dès son élection, 15 milliards d’euros de cadeaux pour les plus riches, connaît bien cet exercice.

Ce discours était effarant. Le Président de la République a troqué son costume de libéral dogmatique contre celui de refondateur du capitalisme.

Première décision d’ampleur : on prend les mêmes, les banquiers, et on recommence, avec, en sus, une prime de 360 milliards d’euros. La refondation du capitalisme, c’est pour plus tard !

L’urgence de l’action, dont nous convenons, ne doit pas justifier la continuation des politiques antérieures. Les sommes versées aux banques, que ce soit sous forme de garanties ou sous forme de recapitalisation, doivent s’accompagner d’exigences fortes et porteuses – c’est essentiel – d’une rupture avec les politiques financières antérieures.

Les banques, qui ont un rôle de service public de premier ordre, puisqu’elles recueillent, par exemple, les salaires et l’épargne populaire, doivent rompre avec des choix qui les ont placées au centre de la spéculation. Alors que le produit du travail de la grande masse devrait servir à l’épanouissement commun, au développement du pays, il a alimenté une politique libérale, facteur de régression sociale importante.

En clair, l’argent du peuple a été détourné, et même retourné contre lui. Les banques sont les acteurs majeurs de la crise, sous la responsabilité des gouvernements qui ont encouragé leur choix. Il est inconcevable que la collectivité publique vole à leur secours sans engagement immédiat, sans préalable à un changement d’orientation radical.

Force est de constater que le Président de la République, qui reçoit régulièrement ces jours-ci les grands financiers de France, ne les presse pas trop en ce sens. Ce sont plutôt des réunions entre amis dans une mauvaise passe, qui cherchent à s’en sortir sans trop de dommages.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, j’insiste sur le fait que voter sans garantie votre projet de loi, notamment son article 6, reviendrait à signer un chèque en blanc à des gens qui ont failli à leur mission.

Pour remédier à cette situation, il est indispensable d’instituer des garanties. Dans cette optique, je ferai plusieurs propositions.

Première proposition : les banques doivent s’engager, par écrit, à opérer une modification stratégique de leur comportement. L’activité financière ne doit poursuivre qu’un objectif : le développement de l’économie réelle, à commencer par le développement industriel.

Une mesure immédiate consisterait à accroître considérablement le rendement du livret A en le consacrant au logement social. On manque de logements en France. Il faut exiger des banques qu’elles participent à de grands travaux de construction à l’échelle nationale. Cela passe, bien évidemment, par des conditions d’emprunts nouvelles, y compris pour les collectivités territoriales.

Le plafond du livret de développement durable – comment ne pas regretter l’abandon symbolique de la référence au développement industriel des CODEVI ? – doit être fortement relevé afin de créer un fonds pour l’engagement de grands travaux et de lutter contre les délocalisations.

À l’heure actuelle, le dépôt sur ces livrets est plafonné à 6 000 euros. N’est-ce pas ridicule, alors que le dépôt sur une assurance vie, outil financier livré à la spéculation, peut atteindre 150 000 euros.

Rendue attractive pour les épargnants, cette forme de placement, qui oblige les banques à utiliser les fonds collectés dans le but initialement prévu, dégagerait des moyens considérables qui pourraient être réinjectés dans l’économie de notre pays.

Deuxième proposition : il faut des engagements sur l’avenir des établissements financiers. Nous considérons que si l’État vole au secours d’un établissement financier, il doit pouvoir contrôler sa stratégie et sa gestion, et lorsqu’il l’estime justifié, compenser l’aide apportée par une nationalisation durable, contribuant ainsi à la constitution et au renforcement d’un grand pôle financier public.

L’idée d’un retour au secteur privé des investissements publics, dès le calme revenu, ne me semble pas acceptable.

Les Français doivent savoir que le Président de la République et son gouvernement appliquent un bon vieux principe libéral : « Socialisons les pertes ; privatisons les profits »

Le terme de « nationalisation » n’est plus tabou. Il faut, comme en 1945, donner à l’État et au pays les moyens d’agir pour le bien commun. Ces nationalisations, leur réussite, devront s’appuyer sur l’intervention des salariés, partie prenante à la gestion de leur entreprise.

Troisième proposition : il faut donner des garanties budgétaires. Cessez de nous prendre pour ce que nous ne sommes pas. Malgré les propos rassurants que nous avons entendus tout à l’heure, les 320 milliards d’euros de garanties seront utilisés. Aux États-Unis, hier, 125 milliards de dollars ont été engloutis par neuf banques privées. Soutenir aujourd’hui qu’il n’y aura pas d’incidence budgétaire nous paraît très optimiste, pour ne pas dire irréaliste.

Le service public ne doit en aucun cas être mis en cause, ni les contribuables modestes sollicités. Ce sont les financiers, les plus riches, les détenteurs de grandes fortunes qui, pour une fois, doivent mettre la main à la poche.

Il faut abroger le bouclier fiscal, modifier le barème de l’impôt sur le revenu pour taxer les plus hauts revenus, reformer l’ISF pour accroître son rendement et intégrer les fortunes financières et industrielles.

Quatrième proposition : les banques doivent rompre avec les paradis fiscaux et la pratique détestable des hedge funds.

Nul besoin de séminaire, comme celui que vous avez prévu le 21 octobre prochain, pour décider de les remettre en cause. Des directives précises peuvent être adressées aux établissements financiers dès aujourd’hui.

Cinquième proposition : les établissements financiers doivent cesser leur politique de revenus à l’égard de leurs dirigeants et plus hauts responsables. Dès aujourd’hui, nous vous proposons des amendements allant dans ce sens. Il faut remettre en cause les parachutes dorés, supprimer les stock-options. Est-il compréhensible que tout le monde, y compris le Président de la République, prône l’abandon des parachutes dorés et que personne n’accepte aujourd’hui de supprimer concrètement, par un vote, ces pratiques qui scandalisent chaque jour nos compatriotes ?

Nous vous proposerons de vous prononcer tout à l’heure, par scrutin public, sur ce sujet.

Enfin, les responsables financiers coupables de malversations, de fraudes, de dissimulations – et ils sont nombreux – doivent répondre de leurs actes devant la justice, qui doit être la même pour tous.

Sixième proposition : l’État doit garantir les finances des collectivités territoriales qui, chacun le sait, vont subir un grave contrecoup du fait de la crise financière. Leurs possibilités d’emprunt doivent être intégralement maintenues à des taux préférentiels. Les directives en ce sens doivent être adressées aux banques dès aujourd’hui.

Ma septième et dernière proposition porte sur l’emploi et sur les salaires.

Le Gouvernement, qui sert sur un plateau 360 milliards d’euros aux banques, doit apporter des garanties aux salariés et à la population, qui ne doivent pas être les victimes des dégâts collatéraux d’une crise financière qu’ils vont subir.

Il faut garantir les rémunérations en cas de licenciement, interdire les expulsions, y compris pour les accédants touchés par la crise des crédits relais.

Tout doit être mis en œuvre pour garantir les emplois, y compris par l’interdiction des licenciements quand le motif est financier.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, vous demandez l’union nationale. Certains vont même jusqu’à mettre en cause la responsabilité de l’opposition qui n’approuverait pas comme un seul homme le hold-up planétaire auquel nous assistons.

La ficelle est pourtant bien grosse : pour masquer votre écrasante responsabilité, vous tentez d’associer l’opposition à vos erreurs et turpitudes passées.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, nous vous avons démontré qu’aucune garantie réelle n’accompagnait le plan de sauvetage que vous nous soumettez aujourd’hui, dans une précipitation extrême qui signe bien la gravité de la crise dans laquelle, avec vos amis, vous avez plongé le monde.

En conséquence, avec la responsabilité de ceux qui dénoncent depuis si longtemps les dangers du capitalisme aujourd’hui mondialisé, nous voterons contre ce projet de loi.

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