Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Réunion du 12 octobre 2006 à 15h00
Secteur de l'énergie — Articles additionnels avant l'article 1er

Photo de Jean-Luc MélenchonJean-Luc Mélenchon :

Je soutiendrai naturellement cet amendement. Mais je voudrais en préalable remercier notre collègue Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre, de la considération qu'il a bien voulu manifester à l'égard de notre raisonnement en faisant l'effort d'y entrer.

Nous avons bien compris que, dans son esprit, ainsi que dans celui de nombre de nos collègues, l'acte fondateur est ce que certains résument sous l'expression « donner la liberté à GDF » et que, pour notre part, nous qualifions plus volontiers de « privatisation ». Vous le savez, nous sommes en désaccord avec vous sur ce point.

C'est même la grande querelle de notre époque. Je l'admets, dans cette grande querelle, vous avez quelques points de plus que nous. En effet, nous luttons le dos au mur, tant en France que dans d'autres pays. Toutefois, la tendance semble se retourner, et j'en dirai juste un mot.

Quant à la dignité du Parlement, si j'admets que le terme était peut-être un peu fort, je ne doute pas que vous avez parfaitement saisi l'esprit de mon propos.

Depuis le début de ce débat, nous nous débattons sans connaître les données de base sur lesquelles vous déclarez pourtant appuyer votre raisonnement. Or, à cette heure, deux principes, qui ont chacun leur légitimité, se trouvent en opposition.

Certes, la délibération privée des actionnaires d'une entreprise a sa légitimité. Mais nous, qui représentons le peuple et la nation, avons également des droits. Et, dans la hiérarchie des normes juridiques, les droits des parlementaires étaient jusqu'à présent, semble-t-il, supérieurs à ceux des actionnaires. Or la situation qui nous est faite manifeste très exactement l'inverse.

D'ailleurs, vous l'avez bien compris, monsieur Raffarin, puisque vous concluez en disant qu'il nous faudra être très attentifs aux signaux qui nous seront adressés parce que l'État reste actionnaire et qu'il n'est pas obligé d'entrer dans le jeu. Nous voilà justement au coeur du sujet ! Pourquoi donc commencer ce jeu, puisque vous admettez vous-même que nous pourrions être obligés de nous en retirer ?

Dans cette affaire, nous ne confrontons pas des conceptions abstraites ni des visions politiques, je les mets de côté pour l'instant, non, nous représentons la France ! Il est très important que, dans un débat qui ne se déroule pas entre purs esprits, la volonté collective des Français s'exprime avec toute sa force.

Les commissaires européens n'ont pas, comme par miracle, perdu leur patrie. Nous, en tout cas, nous en avons une et nous avons bien observé la continuité d'une série de décisions qui, au nom de la libéralisation des marchés, visent toujours à frapper plus fort les Français que les autres membres de l'Union. Pourquoi ? Parce que notre pays est ainsi constitué : notre génie national a voulu que l'État joue un grand rôle dans l'organisation et le développement de la puissance des Français.

À cet instant, donc, ce n'est pas seulement la question abstraite de l'organisation des marchés européens qui est en jeu, c'est aussi la question de la place spécifique des Français, en tant que peuple, un peuple qui a encore entre les mains des outils dont il ne disposera plus demain !

Monsieur Raffarin, je voulais attirer votre attention sur ce point, car je suis sûr que vous pensez, comme moi, que les signaux qui nous sont adressés n'émanent pas d'une pensée désincarnée, simplement préoccupée de réorganiser le grand marché européen de l'énergie. Je n'y crois pas et je pense que nous sommes nombreux ici à ne pas y croire.

Sinon, la Commission européenne aurait été plus respectueuse des décisions prises au sommet de Barcelone. Or, elle les a contournées à la première occasion ! Au sommet de Barcelone, compte tenu de ce que nous autres, Français, avions à dire sur le sujet, et cela a tout de même une certaine importance, il avait été clairement établi que l'Europe ne prendrait pas de décision sans directive-cadre sur les services publics. Et le projet de Constitution rappelait que l'Union ne porte pas d'appréciation sur le statut des entreprises.

Sur ce point, la volonté des Français reste très claire : ils veulent une régulation collective, soit au niveau de leur pays, soit à l'échelle de l'Europe. Et ils ne veulent pas l'abandonner à la main aveugle du marché, qu'ils ne croient pas capable de servir l'intérêt général.

Voilà, monsieur Raffarin, ce que nous voulons dire : l'état de confusion dans lequel la décision se prend nous donne raison. Nous vous comprenons parfaitement quand vous nous dites que, au fond, c'est la grande querelle du public et du privé qui nous oppose. Peut-être bien ! Mais, pour l'instant, c'est nous qui sommes fondés à vous inviter à constater dans quelle opacité nous prenons les décisions.

Si l'opacité règne au moment de prendre la décision, qu'en sera-t-il une fois qu'elle aura été prise ?

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