Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme l'a rappelé Jean-Louis Borloo lors de l'ouverture du débat à l'Assemblée nationale le mois dernier, la lutte contre les discriminations n'est pas l'affaire d'un petit nombre, c'est l'affaire de tous. Tout le monde est susceptible, à un moment ou à un autre de son existence, d'être victime d'une discrimination. Aussi appartient-il à chacun de veiller à une meilleure égalité de traitement entre les personnes.
Mais, au-delà de la responsabilité de chacun et de l'action des associations, que je souhaite saluer pour leur engagement et leur travail au quotidien, il revient aux pouvoirs publics de sanctionner efficacement les comportements et les infractions discriminatoires et de promouvoir l'égalité de traitement et également des chances : parce que la création d'une telle autorité répond à la volonté constante du Président de la République, qui a toujours vu dans ce projet l'un des garants de notre modèle d'intégration ; parce que le traité d'Amsterdam fait obligation de se doter d'un organisme indépendant pour lutter contre les discriminations ; parce que les publics les plus fragiles sont précisément ceux qui cumulent les risques de discrimination sur le marché de l'emploi, dans l'accès au logement ou aux loisirs et dans toutes les déclinaisons de leur vie quotidienne ; parce que les inégalités de traitement entre les individus compromettent notre cohésion sociale et qu'elles sont à l'origine, chacun le sait, de frustrations qui confortent les tentations communautaristes de notre société.
C'est au nom du principe fondamental de la République qu'est l'égalité que nous refusons ces tentations.
Alors qu'ils avaient fait un choix de société différent, nos amis néerlandais, au travers d'événements tragiques, en mesurent aujourd'hui les risques pour leur cohésion nationale. La France n'est pas, bien sûr, à l'abri de telles dérives. Mais la représentation nationale a déjà su montrer son unité pour conforter le principe de laïcité à l'école publique au début de cette année.
S'agissant d'un autre principe, celui d'égalité, et de la lutte contre les discriminations, l'Assemblée nationale a d'ores et déjà voté, avec des amendements, mais sans opposition, le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui.
Le Gouvernement sait pouvoir compter sur le Sénat pour enrichir ce texte, avec le même souci de renforcer nos principes républicains.
Le projet de loi relatif à la création d'une Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité que le Gouvernement vous soumet aujourd'hui reprend la presque totalité des propositions faites par M. Bernard Stasi dans son rapport de février dernier, établi à la demande du Premier ministre.
De façon très pragmatique, le projet de loi s'inspire du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, qui fonctionne avec efficacité en Belgique depuis 1993 et qui est doté, vous le noterez, d'un budget de 8 millions d'euros consacré aux seules discriminations raciales et entre hommes et femmes.
Le Gouvernement veut donc donner à cette Haute autorité une très forte légitimité. Le mode de nomination des onze membres de son collège en est la preuve avec un souci de parité qui a été retenu à la demande de l'Assemblée nationale, que je soutiens.
Par ailleurs, l'apport des associations à la lutte pour l'égalité de traitement est reconnu. Leur participation aux travaux de la Haute autorité est désormais institutionnalisée.
En ce qui concerne ses moyens, la Haute autorité, avec un budget de 10, 7 millions d'euros, pourra prendre en charge dans le courant du premier semestre prochain toutes les réclamations individuelles, mettre en oeuvre des médiations, organiser la promotion de l'égalité et expérimenter des délégations territoriales.
En ce qui concerne ses missions, elle en aura deux principales : le soutien aux victimes de discriminations et la promotion de l'égalité.
Nous le savons tous, comme l'ont rappelé les cent quarante associations et les personnalités qualifiées reçues par M. Bernard Stasi, les discriminations dans notre pays sont avant tout un problème de preuve.
Le dispositif précédent, qui s'appuyait sur un numéro d'appel gratuit, le 114, pour préinstruire par téléphone les réclamations, et les commissions d'accès à la citoyenneté, les CODAC, qui devaient les traiter, n'a généré que de l'amertume, faute de moyens juridiques et matériels.
C'est pourquoi, en plein accord avec le ministre de la justice, nous avons élaboré un dispositif d'enquêtes contraignant, tant pour les personnes publiques que pour les personnes privées. Ce dispositif est articulé avec le contentieux particulièrement pénal, et le recours à la médiation est possible.
La Haute autorité pourra procéder ou faire procéder à de telles médiations.
En outre, nous transposons dans notre droit l'aménagement de la charge de la preuve en matière de discrimination raciale.
Enfin, le Gouvernement a retenu la mission de promotion de l'égalité de traitement, mais également de l'égalité des chances, comme l'avait souhaité l'Assemblée nationale, ce qui doit permettre à notre société d'évoluer sur le sujet de la lutte contre les discriminations.
D'ores et déjà, nous pouvons mesurer cette prise de conscience de la société française au travers de quelques exemples, comme les plans d'actions positives ou les chartes de la diversité dans les secteurs de l'audiovisuel, de l'automobile ou encore du travail temporaire.
A ce propos, M. Bébéar remettait hier au Premier ministre, en présence de Jean-Louis Borloo, un rapport qui contient des propositions sur l'égalité des chances dans l'entreprise.
Il reviendra à la Haute autorité d'identifier et de reconnaître ces bonnes pratiques.
Le Parlement sera en outre destinataire, au même titre que le Président de la République, du rapport annuel de la Haute autorité.
Enfin, en ce qui concerne les provocations à la discrimination, aucune disposition n'existe à ce jour lorsque la discrimination est fondée à raison du sexe ou de l'orientation sexuelle. C'est ainsi que des propos favorables à la lapidation des femmes ont pu être diffusés au grand public en toute impunité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le constatez, le Gouvernement tient aujourd'hui ses engagements dans les délais prévus.
L'Etat se doit de réagir en recherchant l'équilibre nécessaire entre la liberté de la presse et le respect de la dignité de la personne humaine, qui sont, l'un et l'autre, des principes à valeur constitutionnelle. C'est dans cet esprit que le dispositif prévu en matière de racisme n'a pas été totalement transposé dans ce projet de loi.
Ainsi, la prescription initiale d'une année a été ramenée à trois mois, qui est la durée de droit commun de la prescription de l'action publique pour la presse.
En revanche, le Gouvernement a souhaité le parallélisme total entre les dispositions relatives aux propos discriminatoires, qu'ils soient fondés sur l'homophobie ou sur le sexisme. Les associations pourront se constituer partie civile même lorsque l'injure, la diffamation ou la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence concernent des homosexuels ou des femmes sans identification possible.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est ma collègue, Mme Catherine Vautrin, alors secrétaire d'Etat à l'intégration et à l'égalité des chances, qui était intervenue devant votre commission des lois, le 27 octobre dernier.
J'ai bien entendu pris connaissance de vos travaux. Notre texte est certainement perfectible afin de mieux assurer l'indépendance du collège, le respect de la règle du contradictoire ou bien la publicité des avis de la Haute autorité.
Avec, je n'en doute pas, une volonté commune de rechercher un consensus sur ce sujet aussi sensible et symbolique pour notre République, notre débat parlementaire est l'occasion, mesdames, messieurs les sénateurs, de parfaire le projet de loi.