Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes amenés à examiner en première lecture le projet de loi portant création d'une Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE, projet de loi adopté par l'Assemblée nationale, le 6 octobre dernier.
La mise en place rapide de cette autorité indépendante répond à des exigences internationales, européennes et nationales fortes.
Le comité des droits de l'homme de l'ONU a recommandé à la France dès 1997 de créer un « mécanisme institutionnel pour recevoir et traiter les plaintes relatives aux droits de l'homme incluant toutes formes de discriminations ».
Sur le fondement de l'article 13 du traité instituant la Communauté européenne, la directive du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique requiert des Etats membres qu'ils désignent un ou plusieurs organismes chargés de promouvoir l'égalité de traitement.
Enfin, le Président de la République, lors de son discours à Troyes le 14 octobre 2002, avait souhaité qu'« au-delà même de celles dont peuvent être victimes les personnes d'origine étrangère, une autorité indépendante soit créée pour lutter contre toutes les formes de discrimination qu'elles proviennent du racisme, de l'intolérance religieuse, du sexisme ou de l'homophobie ».
Cet engagement reposait sur sa conviction que « le refus des communautarismes ne se conçoit pas sans une lutte contre les discriminations ».
On pourra certes objecter qu'il s'agit là d'un constat d'échec puisque, en dépit d'un arsenal juridique très développé et du foisonnement des structures chargées de combattre les discriminations, ce phénomène perdure au point de porter atteinte à notre cohésion nationale.
S'il fallait se convaincre de son importance, on pourrait se référer à d'éloquentes enquêtes de testing. Celle qu'a réalisée cette année l'observatoire des discriminations de l'Université de Paris I montre qu'en matière d'accès à l'emploi, par rapport à un candidat de référence - homme au nom et prénom français, résidant à Paris, blanc de peau et d'apparence standard - le candidat handicapé reçoit quinze fois moins de réponses positives, le candidat d'origine maghrébine cinq fois moins, le candidat de plus de cinquante ans quatre fois moins, le candidat d'apparence disgracieuse plus de deux fois moins et le candidat issu d'un « mauvais quartier » près de deux fois moins. Seule satisfaction la variante homme-femme n'apparaît pas significative.
II est donc bien difficile de conclure que la différence visible n'existe pas dans notre société.
Dans ces conditions, faut-il s'étonner que, selon une étude du ministère des affaires sociales, un tiers des adultes interrogés déclarent avoir été confrontés à des attitudes intolérantes ou discriminatoires avec souvent des conséquences sur leur parcours et leur vie ?
En instituant la Haute autorité de lutte contre les discriminations, le projet de loi crée l'instrument de promotion de l'égalité qui nous manque aujourd'hui et dont se sont déjà dotés avec succès de nombreux pays comme le Royaume-Uni, la Belgique, le Canada, l'Irlande, les Pays-Bas ou la Suède.
N'oublions pas que le système, qui repose sur cinq ombudsmän respectivement compétents pour la discrimination ethnique, l'égalité des chances, les droits des enfants, les personnes handicapées et l'orientation sexuelle, a largement inspiré la création par la loi du 3 janvier 1973 de notre Médiateur de la République.
La commission des lois estimait, dans sa grande majorité, me semble-t-il, que d'autres solutions auraient pu être envisagées pour compléter notre système juridique afin de rendre plus efficace la lutte contre les discriminations dans notre pays et de répondre aux exigences communautaires.
Les compétences du Médiateur auraient ainsi pu être étendues, sous réserve de sa transformation en autorité collégiale, à la lutte contre les discriminations, ce qui aurait présenté l'avantage de bénéficier de l'expérience de l'Institution, du réseau des délégués du Médiateur - dans ma seule région du Nord - Pas-de-Calais, ils sont au nombre de dix-huit - et d'aller vers une simplification génératrice d'efficacité et d'économie des deniers publics.
Peut-être faut-il laisser du temps au temps, en sachant cependant que la multiplication des autorités administratives indépendantes peut engendrer conflits et confusions. Il s'avérera sans doute un jour pertinent de rassembler bon nombre d'entre elles en une seule instance collégiale, compétente à la fois en matière de droits des enfants, de traitement des réclamations des citoyens à l'égard des administrations et de lutte contre les discriminations, pour donner à l'accomplissement de ces missions complémentaires davantage de cohérence et de moyens.
D'ici là, ce sera une impérieuse nécessité pour la future HALDE de nouer des liens étroits avec les autorités administratives indépendantes intervenant dans des domaines connexes au sien, en particulier le Défenseur des enfants, la Commission d'accès aux documents administratifs, la Commission nationale de l'informatique et des libertés et, bien entendu, le Médiateur de la République.
En ce qui concerne le Médiateur, dont j'ai décidément quelque peine à m'éloigner, dans un amendement déposé à l'Assemblée nationale qui fut finalement retiré face à des réticences unanimes, le Gouvernement proposait d'ajouter une saisine directe à la saisine par l'intermédiaire des parlementaires retenue en 1973. J'oserai un mauvais jeu de mots pour dire qu'il m'apparaîtrait bien cavalier à l'égard de nos collègues députés de le reprendre lors de l'examen du projet de loi par notre Haute Assemblée.
Cependant, le problème reste entier et mérite une solution d'autant plus rapide que la saisine directe sera retenue pour la Haute autorité.
En 2003, le Médiateur a été saisi de 55 635 affaires contre 38 600 en 1993 et 12 606 en 1983 - leur nombre a donc été multiplié par plus de quatre en vingt ans - mais 40 % des réclamations proviennent désormais directement du courrier ou d'Internet et donnent lieu à de fastidieuses régularisations. Peut-on espérer, madame la ministre, que, rapidement, par exemple à l'occasion du prochain projet de loi de simplification administrative, la saisine directe, déjà en oeuvre pour le Médiateur européen et vingt-trois des vingt-cinq Médiateurs des Etats de l'Union européenne, jouera également pour notre Médiateur de la République, à côté de la saisine par les parlementaires ?
Je n'aborderai pas dans le détail, à ce stade de la discussion, les différents aspects relatifs à l'indépendance de la HALDE, à l'universalité de son champ de compétence ouvert à toutes les discriminations directes ou indirectes prohibées par la loi ou par un engagement international auquel la France est partie, ou aux pouvoirs d'investigation importants dont elle disposera, dans le respect absolu, cela va de soi, des prérogatives de l'autorité judiciaire. Tout cela sera analysé point par point au fil des nombreux amendements que nous examinerons tout à l'heure.
Je voudrais simplement vous faire partager la conviction que la future Haute autorité ne pourra asseoir sa légitimité, en tant qu'autorité morale, qu'en concentrant ses efforts sur le soutien aux victimes et la promotion des bonnes pratiques.
Si la solennité et l'autorité des textes prohibant les discriminations ne sont pas en cause - citons la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 ou la Constitution de 1958 -, force est cependant de constater le nombre dérisoire des condamnations prononcées ces dernières années pour des infractions de discrimination, conséquence de l'inégalité fondamentale entre les victimes et les auteurs.
La Haute autorité devra assurer l'effectivité de ces textes en aidant les victimes à constituer leurs dossiers avant, le cas échéant, de recourir à une médiation ou à la justice.
La promotion de bonnes pratiques, tout particulièrement dans l'accès à l'emploi, au logement et aux biens et services, constituera par ailleurs l'instrument essentiel d'une politique de prévention et de lutte contre les préjugés, qui fondent la plupart des comportements discriminatoires.
Enfin, si la réforme se fait à droit constant, il appartiendra à la HALDE, le moment venu, de faire toute proposition d'évolution, par exemple de proposer qu'il soit mis fin à l'invisibilité statistique des populations potentiellement victimes de discriminations.
Il n'est guère douteux que la production de statistiques sexuées dans le champ du travail, notamment à travers le bilan social, a permis de mettre en évidence les disparités homme-femme dans l'entreprise, puis d'agir à leur encontre. Or, comme le note Laurent Blivet dans son ouvrage L'entreprise et l'égalité positive, « pour un citoyen français, le fait d'être noir, asiatique ou maghrébin continue d'influencer l'attitude de la société à son égard et les opportunités qu'elle lui offre ». En intégrant au recensement une question relative à l'appartenance « ethnoraciale », des pays comme les Etats-Unis le Canada ou la Grande-Bretagne ne se sont-ils pas donné les moyens d'une lutte efficace pour l'égalité de traitement ? Cela mérite à tout le moins réflexion.
La création de la Haute autorité participe pleinement à la mobilisation des pouvoirs publics en faveur d'un renforcement de la cohésion sociale, dont elle constitue le volet institutionnel.
La discrimination nourrit l'exclusion, qui à son tour nourrit le communautarisme, qui alimente les préjugés générateurs de comportements discriminatoires.
Le projet de loi invite à briser ce cercle vicieux et à faire ensemble le pari d'une société plus juste, plus respectueuse de l'égalité de chacun, plus conforme à l'idéal de nos principes républicains.
C'est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à l'adopter, avec l'espoir confiant que le Gouvernement ne s'opposera pas à bon nombre d'amendements que proposera la commission des lois.
M'est-il permis d'ajouter que cet espoir est d'autant plus confiant que le dépôt tardif des amendements du Gouvernement visant à insérer dans le texte sur la Haute autorité l'essentiel des dispositions du projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe n'est pas de nature à faciliter le travail de notre Haute Assemblée.