Intervention de Muguette Dini

Réunion du 23 novembre 2004 à 10h00
Création de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité — Discussion d'un projet de loi

Photo de Muguette DiniMuguette Dini :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis heureuse, d'intervenir pour la première fois au nom du groupe de l'Union centriste, dans cet hémicycle.

J'en suis d'autant plus fière que la lutte contre les discriminations me tient particulièrement à coeur et qu'elle est l'une des principales préoccupations de notre famille politique.

Le groupe de L'Union centriste, fidèle à ses convictions, reste en effet très attaché aux libertés fondamentales et, dans son ambition humaniste, cherche à promouvoir l'égalité de traitement entre tous, afin d'asseoir définitivement la dignité et le respect de la personne humaine.

La discrimination est d'autant plus inacceptable qu'elle contredit, dans notre pays, un siècle de construction du principe d'égalité et qu'elle bafoue les valeurs républicaines sur lesquelles nous avons établi notre nation.

La création de la Haute autorité, mais plus généralement cette volonté de lutte contre les discriminations, est une mesure très importante, en faveur d'un renforcement de la cohésion sociale.

Elle s'inscrit dans la droite ligne des textes récents, tels que le projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ou le projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires, à caractère sexiste ou homophobe.

Pourtant, nombreux sont ceux qui s'interrogent sur l'opportunité de la création d'un nouvel organisme chargé de lutter contre les discriminations. En effet, les outils institutionnels et législatifs utiles à la lutte contre les discriminations existent déjà en grand nombre.

Je citerai pour exemples : la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, le service du droit des femmes et de l'égalité, la délégation interministérielle aux personnes handicapées, la direction générale de l'action sociale, la direction générale de la santé, le fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations, etc.

De multiples organismes consultatifs, généralistes ou spécialisés mènent également des travaux d'étude et émettent des avis ou des recommandations en matière de lutte contre les discriminations. Il s'agit notamment de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, du Haut conseil à l'intégration et de l'Observatoire de la parité entre les hommes et les femmes.

Il existe également d'autres autorités administratives indépendantes, telles que le Médiateur de la République ou le Défenseur des enfants, qui peuvent avoir à connaître, dans leur champ d'intervention particulier, des réclamations relatives à des comportements discriminatoires.

Ainsi, plusieurs solutions auraient pu être envisagées pour compléter notre système juridique, rendre plus efficace la lutte contre les discriminations et répondre aux exigences communautaires.

Le Gouvernement a souhaité emprunter la voie d'une nouvelle autorité administrative indépendante.

Peut-être, un jour, nous paraîtra-t-il pertinent de réunir ces autorités en une seule instance collégiale, compétente en matière de lutte contre les discriminations, afin de rendre le tout plus cohérent...

Il peut paraître déplacé de critiquer le recours à la multiplication des autorités administratives indépendantes, dans l'enceinte même qui leur a attribué cette dénomination. La notion d'autorité administrative indépendante est, en effet, une création d'origine sénatoriale.

Le projet de loi institue, conformément à l'article 13 du traité d'Amsterdam, une nouvelle autorité administrative indépendante, chargée d'apporter une aide aux victimes de discriminations.

Je me réjouis que ce texte soit inscrit à l'ordre du jour du Parlement, puisque ce projet a pour objectif de nous mettre en conformité avec le droit européen, malgré, il faut le signaler, presque un an de retard.

J'en profite pour rappeler l'attachement de l'UDF aux valeurs défendues par les institutions européennes.

Nos voisins européens ont su depuis longtemps adapter leur législation aux nécessités de lutte contre les discriminations, que ce soit à travers la Commission pour l'égalité raciale, créée en 1975 au Royaume-Uni, la Commission pour l'égalité de traitement créée en 1994 aux Pays-Bas, l'Autorité pour l'égalité, créée en 1999 en Irlande, ou, hors d'Europe, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, créée en 1975.

Je crois que cette transposition tardive de la directive européenne est due à une sorte d'aveuglement de notre part, à un refus d'admettre une évidence.

Nous pouvons dire que la France n'a pas bien réussi sa politique d'intégration. Nous avons voulu qu'elle soit une terre d'accueil, ce dont je me réjouis, mais nous n'avons pas su accompagner le mouvement qui s'en est suivi d'une politique d'intégration efficace.

Ce refus d'admettre la montée de l'intolérance et des discriminations est conforté par le nombre assez restreint de contentieux faisant état de discriminations.

Ce dernier cache, en effet, un malaise plus qu'une réussite. Le rapport de M. Stasi indique d'ailleurs que la plupart des signalements de comportements discriminatoires ont abouti à des décisions de classement sans suite.

Ce constat renvoie également à la question de l'inégalité fondamentale entre la victime, qui dispose souvent de ressources matérielles et juridiques modestes et se trouve dans la position du demandeur, et les auteurs de discriminations, qui peuvent être en position de force, en tant qu'employeurs, bailleurs ou prestataires de service.

L'instauration de cette institution, chargée de lutter contre les discriminations, permettra, je l'espère, de pallier les carences de saisine de la justice française et de développer une culture de la tolérance.

A cette fin, le projet de loi prévoit trois mesures qui me semblent favoriser l'atteinte de ces objectifs : sous réserve de l'accord des personnes intéressées, elle pourra procéder à des enquêtes sur place ; elle sera en mesure de saisir le juge des référés ; elle pourra présenter ses observations à l'audience.

Par ailleurs, la Haute autorité sera habilitée à rendre des rapports annuels, ce qui permettra, à la fois, de recenser les « bonnes pratiques » en matière de lutte contre les discriminations, mais aussi de dresser un état des lieux indispensable des comportements et des situations inégalitaires dans notre société.

Enfin, le groupe de l'Union centriste accueille favorablement la proposition d'amendement, faite par la commission des lois et qui a pour objectif d'étendre le droit à l'égalité de traitement dans les domaines visés par la transposition à tous les critères de discrimination énumérés par la loi du 16 novembre 2001.

Cette loi, je le rappelle, porte sur la lutte contre les discriminations, qu'elles concernent l'origine, le sexe, les moeurs, l'orientation sexuelle, l'âge, la situation de famille, l'appartenance ethnique ou raciale, la nationalité, les opinions politiques, les activités syndicales ou mutualistes, les convictions religieuses, l'apparence physique, le patronyme, l'état de santé ou le handicap.

Cela assure une plus grande homogénéité de notre ordre juridique, en donnant aux citoyens les mêmes garanties, quel que soit le critère de discrimination.

Il rend, par ailleurs, applicable, pour toutes les discriminations prohibées par notre droit interne, l'aménagement de la charge de la preuve, devant les juridictions civiles et administratives, dans les domaines visés par l'article 17.

Cet aménagement de la charge de la preuve est capital. En effet, outre le fait de répondre à une exigence de Bruxelles, il garantit une meilleure prise en compte des difficultés de notre société et apporte une solution au problème de l'inégalité fondamentale entre la victime et les auteurs de discriminations.

Après la discussion du projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, il convient de replacer la création de cette autorité administrative indépendante et les avancées qu'elle défend comme une suite logique de cette volonté d'égalité de traitement de tout être humain.

Vous me permettrez de formuler maintenant quelques remarques.

En ce qui concerne le mode de désignation, nous pouvons regretter le caractère éminemment politique de cette autorité, alors qu'une autorité administrative indépendante - et j'insiste sur le terme « indépendante » - est, par nature, créée pour justifier l'intervention d'experts « indépendants » et impartiaux.

Comment, donc, légitimer la création de cette autorité, alors que ses membres sont pour la plupart nommés par les plus hautes autorités politiques de l'Etat ? Comment garantir l'impartialité des interventions d'une institution lorsque certains de ses membres restent soumis à un lien hiérarchique avec un ministre, qui plus est, le premier d'entre eux ?

Peut-être serait-il nécessaire de modifier le mode de désignation, en supprimant le rôle dévolu au Premier ministre, et de reporter son pouvoir de nomination auprès du Conseil économique et social, qui disposerait de deux sièges, et au ministre en charge de la lutte contre les discriminations, qui disposerait d'un siège.

En ce qui concerne la saisine de cette autorité, nous souhaitions déposer un amendement, autorisant les associations à saisir la Haute autorité, conformément aux dispositions de la directive, mais le rapporteur en ayant déposé un identique, nous nous rallierons à l'amendement de commission des lois.

En effet, les associations de défense des droits de l'homme, de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, de soutien aux personnes handicapées, ont, par leurs revendications, fait progresser la lutte contre les discriminations et suscité une prise de conscience générale dans l'opinion publique. Elles ont acquis une capacité d'expertise et une légitimité qui paraît aujourd'hui justifier leur participation au travail de la future Haute autorité, mais également leur capacité à la saisir.

Nous souhaitons également que les parlementaires soient en mesure de saisir cette autorité, afin de suppléer leurs électeurs, parfois réticents ou hésitants, face à une situation de discrimination. L'élu, est, en effet, souvent le destinataire privilégié de courriers et des dossiers, faisant état de situations et de pratiques discriminatoires.

Pour ce qui est de l'inquiétude quant à l'organisation institutionnelle générale de la lutte contre les discriminations, l'implantation d'une délégation, au sein de chacune des vingt-six régions, semble être, à terme un objectif incontournable. Ces délégations devront avoir un rôle majeur, et non pas limité à un simple rôle d'information, et remplir les mêmes fonctions d'assistance aux personnes.

Ce n'est pas un hasard, si les instances de lutte contre les discriminations des pays étrangers disposent de bureaux locaux : j'en veux pour exemple, les dix-huit permanences d'accueil pour le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme en Belgique, ou les six délégations régionales pour la Commission pour l'égalité raciale au Royaume-Uni.

Or, la France dispose déjà d'organes, de délégations ou de commissions territoriales, chargées de lutter contre les discriminations : le groupe d'étude et de lutte contre les discriminations, le GELD, et les commissions pour la promotion de l'égalité des chances et de la citoyenneté, les COPEC.

Pour le GELD, nous souhaiterions savoir, madame la ministre, quelles sont vos intentions, car maintenir en place deux organismes ayant le même objet, dans une même délimitation territoriale, n'est pas souhaitable.

En ce qui concerne la coordination avec les commissions pour la promotion de l'égalité des chances et la citoyenneté, nous souhaitons qu'une véritable collaboration soit mise en place, pour qu'elles deviennent de véritables relais locaux de la Haute autorité.

Il est nécessaire de créer une situation unique et coordonnée afin d'éviter que des luttes de pouvoir entre ces organismes ne rendent les situations complexes et les actions inefficaces dues à des luttes de pouvoir entre ces organismes.

En dépit de ces quelques réserves, qui devront être levées, le groupe de l'Union centriste votera ce texte.

J'espère, madame la ministre, que vous pourrez répondre à nos interrogations, afin de garantir le succès de cette autorité.

J'en appelle donc, madame la ministre, à votre détermination pour que soient levées ces réserves et mis en oeuvre les moyens d'action nécessaires pour atteindre nos objectifs.

Cette nouvelle autorité permettra à notre pays de renforcer l'égalité de nos concitoyens dans leur vie quotidienne.

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