Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, personne ne peut nier que les discriminations en France s'aggravent et s'étendent. C'est une réalité à laquelle il faut avoir le courage de s'attaquer, d'autant que cette situation a tendance à être structurelle.
La responsabilité de l'Etat, celle de toutes les forces politiques, celle des parlementaires, la nôtre, se trouvent engagées.
Trop de personnes, jeunes, moins jeunes, salariés ou non-salariés, citoyens français, migrants, femmes, sont en effet victimes de discriminations, et ce dans tous les domaines de la vie : accès à l'emploi, monde du travail, logement, formation, école, santé, loisirs...
Peu à peu, d'actes quotidiens en paroles publiques, les discriminations, les exclusions, les rejets de l'autre, fondés sur le sexe, l'origine ethnique, les convictions politiques ou religieuses, l'appartenance syndicale, le handicap, l'état de santé, l'âge ou l'orientation sexuelle, propagent des dérives répréhensibles.
Certes, notre pays a souscrit à des engagements internationaux et a renforcé son arsenal législatif pour pouvoir mieux lutter contre les discriminations, et je pense notamment à la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations en matière d'emploi et à la loi du 3 février 2003 visant à aggraver les peines pour les auteurs d'actes à caractère raciste, antisémite, xénophobe, sexiste ou homophobe.
Pourtant, malgré cela, les discriminations continuent à gangrener notre société, menaçant la paix sociale.
Force est d'admettre que les lois sécuritaires adoptées depuis plus deux ans sur un rythme soutenu, qui mettent en cause les droits sociaux, les services publics et qui stigmatisent les migrants, n'arrangent en rien la situation, bien au contraire.
Quand on mène une politique sociale et économique qui privilégie la place de l'argent à celle de l'homme, il ne faut pas dès lors s'étonner que les discriminations - le rejet de l'autre, de celui qui est différent parce qu'étranger ou d'origine étrangère, atteint d'un handicap, homosexuel - s'aggravent en France.
Quand les lois sont discriminantes, stigmatisantes et qu'elles désignent publiquement une catégorie de population, cela ne peut que susciter des réactions qui mêlent la méfiance à l'égard d'autrui, le repli sur soi, voire le communautarisme, et fragilisent la cohésion sociale.
Je pense, par exemple, à la réforme de l'aide médicale d'Etat qui montre du doigt les étrangers.
Je pense bien évidemment aux lois sur l'immigration et sur le droit d'asile qui stigmatisent les populations étrangères.
Je pense aussi aux lois dites Sarkozy et Perben sur la sécurité intérieure et la criminalité qui prennent pour cibles les jeunes - singulièrement ceux qui sont issus des quartiers défavorisés ou ceux d'origine étrangère -, les gens du voyage, les prostituées, les pauvres ; bref, une partie non négligeable de la population de notre pays.
Je pense, dans un autre registre, au dispositif Larcher qui, en favorisant les licenciements, laisse sur le bas-côté de la route un bon nombre de salariés.
Au-delà, je pense à toutes ces lois antisociales que votre gouvernement a fait passer depuis 2002 sur des sujets tels que les retraites ou la protection sociale.
Aujourd'hui, trouver un emploi, se procurer un logement ou se faire soigner quand on est étranger ou d'origine étrangère - a fortiori si l'on est étranger non communautaire -, obtenir un emploi qualifié quand on est une femme - a fortiori lorsque l'on est mère célibataire -, trouver un emploi lorsque l'on habite un quartier dit difficile, avoir un emploi stable ou obtenir un prêt quand on est atteint d'une maladie grave, avoir de l'avancement quand on est un syndicaliste engagé, relèvent tout simplement du parcours du combattant.
Compte tenu de cette situation, c'est peu de dire que la création d'une instance telle que la Haute autorité pour la lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE, était attendue et urgente.
Auditionné par la commission présidée par M. Bernard Stasi, le parti communiste français s'est clairement prononcé en faveur de cette instance, tout en précisant quels devraient être la composition, les missions et les pouvoirs de celle-ci.
A regarder de plus près le contenu de votre texte actuel, madame la ministre, on est bien loin des ambitions initialement affichées, tant par les conclusions de la commission Stasi, que par les déclarations du chef de l'Etat, à Troyes.
La création de la Haute autorité, telle que conçue dans ce texte, ne répond en effet que très imparfaitement aux défis posés à notre société et est contestable à plus d'un titre.
Sa composition, tout d'abord, nous pose problème. Sur les 11 membres du collège, deux seront nommés par le Président de la République, deux par le Président du Sénat, deux par le Président de l'Assemblée nationale, deux par le Premier ministre. C'est peu de dire que cette institution sera verrouillée politiquement et que son action sera difficilement indépendante du pouvoir en place.
Quant au pluralisme, cette notion était si inexistante dans le texte qui nous revient de l'Assemblée nationale que la commission des lois du Sénat s'est sentie obligée de l'évoquer dans l'un de ses amendements.
Nous regrettons, cependant, que le monde associatif et syndical ait été exclu de cette instance. Le fait qu'il y soit associé par le biais des organes consultatifs ne corrige en rien cet aspect.
Nous proposerons donc de garantir réellement le pluralisme, l'indépendance et l'impartialité de la Haute autorité en modifiant les modalités de sa composition de façon à les calquer sur celles de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, et cela tout en respectant la parité. A cet égard, il conviendrait, comme nous le proposons par amendement, d'introduire dans la loi l'obligation d'éditer des statistiques sexuées afin de mieux lutter contre les inégalités entre les hommes et les femmes.
Ensuite, il faut savoir que la création d'une telle autorité n'a d'intérêt qu'à condition qu'elle soit dotée de pouvoirs et de moyens différents de ceux dont disposent déjà les victimes de discriminations et les acteurs qui luttent contre les discriminations.
L'efficacité d'une autorité administrative serait, en effet, considérablement compromise si elle ne pouvait, par exemple, aider les victimes à recueillir des éléments de preuve pour leur permettre de faire valoir leurs droits en vue d'une médiation ou d'une action en justice.
C'est pourquoi nous proposerons de renforcer les missions de la Haute autorité dans le domaine de l'assistance aux victimes en terme d'aide à la constitution des dossiers et de rassemblement d'éléments.
Les capacités d'action de la Haute autorité se révèlent malheureusement limitées. On peut en effet regretter que cette dernière ne dispose pas de pouvoirs d'investigation et d'injonction aussi importants que le préconisait la commission conduite par M. Stasi.
Par souci d'efficacité et par nécessité d'être au plus près des problèmes, il conviendrait également que l'autorité administrative dispose de correspondants locaux - délégués départementaux et régionaux, par exemple - ayant les mêmes pouvoirs qu'elle, à l'instar de ce qui existe pour le Médiateur de la République. Cette solution aurait le mérite d'éviter l'encombrement de la Haute autorité et de minimiser le risque de paralysie de son fonctionnement.
L'autorité administrative ne pourra être efficace que si elle est dotée des moyens nécessaires à un travail de terrain effectif et si elle peut agir au niveau des institutions et des instances républicaines : l'école, les lieux de travail, l'habitat...
Enfin, s'agissant des moyens humains et budgétaires qui lui seront alloués - 10, 7 millions d'euros annoncés pour 2005 et l'emploi de 80 agents à terme -, ils semblent insuffisants si on les compare aux moyens mis en oeuvre pour des autorités équivalentes au Québec ou en Belgique, par exemple.
Le texte prévoit que les crédits nécessaires au fonctionnement de la Haute autorité soient inscrits au budget du ministère chargé des affaires sociales. Or, afin d'assurer l'indépendance et de garantir l'accomplissement effectif de sa mission, il est nécessaire de prévoir un budget autonome pour la Haute autorité, voté par le Parlement et figurant sur une ligne budgétaire spécifique et clairement répertoriée.
Pourquoi ne pas prévoir une loi de programmation budgétaire pluriannuelle ? Cela permettrait d'éviter ce qui vient de se passer à l'Assemblée nationale, à l'occasion de l'examen des crédits de l'emploi, du travail, de la cohésion sociale et de l'égalité professionnelle, où les députés ont réduit le budget de la HALDE à 9 millions d'euros avant que le Gouvernement ne revienne sur cette diminution de crédits.
Avoir des moyens humains et matériels adaptés est à l'évidence fondamental. L'expérience de structures comme les CODAC, les commissions départementales d'accès à la citoyenneté, et comme le GELD, le groupement d'études et de lutte contre les discriminations, n'a-t-elle pas révélé les difficultés que ces structures rencontrent dans la conduite des missions qui leur sont confiées, et ce essentiellement en raison du défaut de moyens ?
J'en viens à présent aux amendements déposés par le Gouvernement et relatifs à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe, propositions attendues de longue date par les associations homosexuelles.
Etant nous-mêmes dépositaires d'une proposition de loi traitant de cette question, nous ne sommes pas contre le fait de légiférer en l'espèce. Toutefois, nous nous interrogeons sur la méthode employée ici, qui consiste à retirer un projet de loi déposé devant l'Assemblée nationale et prévu en séance publique le mois prochain pour le faire passer en catimini au Sénat.
Nous nous interrogeons également sur le rejet par le Gouvernement et le rapporteur des amendements sur les questions de l'homophobie et du sexisme lors de l'examen de ce projet de loi à l'Assemblée nationale les 5 et 6 octobre dernier. J'aurai l'occasion d'y revenir plus longuement lors de l'examen des amendements du Gouvernement.
En guise de conclusion, malgré notre réticence de principe à l'égard des autorités administratives indépendantes et le fait que le texte reste bien en deçà des ambitions affichées, nous ne nous opposerons pas à la création de cette Haute autorité qui sera chargée de coordonner les actions contre les discriminations et pour l'égalité. Nous nous abstiendrons néanmoins sur l'ensemble du texte, avec le vif espoir que cette Haute autorité permettra de faire bouger les choses. Dans le cas contraire, il faudrait alors reconnaître que cette instance ne serait qu'une autorité administrative indépendante de plus parmi celles, déjà fort nombreuses, qui existent en France.
Car, si vos intentions sont louables, madame la ministre, en revanche le dispositif retenu me semble insuffisant, tant la lutte contre les discriminations - phénomène massif et complexe - doit exiger plus que de bonnes intentions. En tout état de cause, cette Haute autorité aura bien du mal à « réparer » à elle seule le mal causé par les politiques d'exclusion qui conduisent aux souffrances et à la « mal vie » que l'on connaît et qui riment avec précarité et exclusion.
Cette instance ne doit pas se substituer à l'action des pouvoirs publics dont le rôle essentiel est de promouvoir et de mettre en oeuvre le principe d'égalité et de lutter contre les discriminations ; de même, les politiques - et singulièrement les parlementaires - ne doivent pas se sentir dédouanés de leur responsabilité en la matière du fait de l'existence de cette instance.
Enfin, il faut porter une attention toute particulière à ce qui se passe aujourd'hui à l'école. J'aurai l'occasion d'y revenir lors de l'examen d'un de mes amendements tendant à impliquer davantage l'Education nationale dans la lutte contre les discriminations. Il en va de la paix sociale dans les années à venir et du type de société que nous voulons léguer aux générations futures.