Cette exigence implique que l'article 14 du projet de loi prévoit que la Haute autorité devra non seulement identifier, reconnaître et promouvoir toute bonne pratique en matière d'égalité des chances et de traitement, mais surtout - et c'est l'élément essentiel - susciter et soutenir les initiatives de tous organismes publics et privés en ce qui concerne l'élaboration et l'adoption d'engagements visant à la promotion de l'égalité des chances.
L'égalité entendue comme égalité des chances ne consiste pas à ériger la différence en droit, bien au contraire. L'action que l'Etat doit mener est celle du nécessaire rééquilibrage républicain.
L'égalité des chances doit inspirer toute notre politique éducative. Elle doit également pénétrer le monde des entreprises.
Cela est d'autant plus urgent que, dans le monde du travail, les pratiques discriminatoires se font souvent en connaissance de cause et en toute impunité.
Voilà vingt ans, j'ai participé à la « Marche pour l'égalité ». On disait alors que les difficultés d'insertion professionnelle des enfants d'immigrés étaient liées à un problème d'inadéquation de leurs qualifications avec les exigences du marché du travail.
Beaucoup d'enfants d'immigrés ont grandi à l'école de la République. Nombreux sont ceux qui ont fait des études supérieures longues. Ceux-là, plus que d'autres, ont cru au discours - ô combien porteur et stimulant - de la méritocratie républicaine !
Pourtant, de la même façon que leurs aînés de la « Marche pour l'égalité », ils continuent à être victime de discriminations, notamment dans l'accès à un emploi stable correspondant à leurs qualifications.
Dans certaines entreprises, l'idée qu'un Arabe ou un Africain puisse exercer des fonctions d'encadrement ou d'accueil des clients n'est pas encore admise.
Aujourd'hui, alors qu'ils ont joué le jeu et qu'ils sont parvenus à un niveau d'études « bac + 5 », ces jeunes se rendent compte qu'il s'agissait d'un marché de dupe.
Pour ceux-là, l'égalité des chances en matière d'emploi tient à l'accès à un premier entretien d'embauche.
Une étude récente, menée par l'Observatoire des discriminations de l'Université Paris I - Sorbonne, sous la direction du professeur Jean-François Amadieu, a permis de hiérarchiser les variables de la discrimination : les chercheurs de Paris I ont répondu à 258 annonces d'emploi, en utilisant un curriculum vitae identique, mais des identités différentes. Je ne rappellerai pas le résultat - affligeant - de cette étude. Il figure en bonne place dans le rapport de M. Lecerf.
Cette étude démontre, s'il en était encore besoin, les contradictions qui existent entre les principes du droit, nos idéaux républicains et la réalité quotidienne. Les discriminations sont tellement flagrantes qu'elles conduisent à une « mort sociale programmée » de beaucoup de nos concitoyens.
C'est pourquoi le groupe socialiste défendra plusieurs amendements visant à favoriser l'accès à l'emploi dans les entreprises, notamment le premier entretien en généralisant l'anonymat des curriculum vitae - M. Bébéar a d'ailleurs fait cette proposition dans le rapport qu'il a remis hier à M. le Premier ministre - et à promouvoir les entreprises qui s'engagent dans la lutte contre les discriminations et l'affichent dans leur bilan social.
Le dernier point que j'évoquerai porte sur l'article 14 du projet de loi.
Le champ de compétence de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité en matière de promotion de l'égalité ne peut se cantonner uniquement aux discriminations prohibées par la loi. Je crains que la rédaction actuelle de l'article 14 ne permette pas à la Haute autorité de mener des études sur les emplois réservés aux seuls nationaux. Or, ces emplois fermés aux étrangers disposant de la citoyenneté de résidence représentent plus de six millions de postes. La Haute autorité doit pouvoir faire des recommandations, notamment législatives, sur les discriminations qui, pour ne pas être illégales, n'en sont pas moins intolérables.
Quant aux amendements proposés par le Gouvernement portant sur les propos à caractère sexiste et homophobe, le moins que nous puissions faire est de dénoncer le procédé que vous utilisez, madame la ministre, qui nous empêche de travailler sereinement, comme M. le rapporteur l'a souligné à juste titre.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la République est un idéal. Il arrive trop souvent qu'elle soit une promesse mal tenue. Gambetta disait : « Ce qui constitue la vraie démocratie, ce n'est pas de reconnaître des égaux, mais d'en faire. » Or, à cause des moyens qui sont accordés à la Haute autorité, le texte qui est soumis à notre examen s'avère timide pour assurer cette égalité.
En conclusion, dans un contexte de crise sociale où les repères traditionnels semblent inopérants, la pratique massive des discriminations est un élément aggravant de la dissolution du pacte républicain. Par ailleurs, ces pratiques nuisent grandement à l'image de la France. Pour notre pays, la véritable menace serait de devenir une terre de départ, et non plus d'accueil.