Intervention de Alex Türk

Réunion du 23 novembre 2004 à 10h00
Création de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité — Discussion d'un projet de loi

Photo de Alex TürkAlex Türk :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je formulerai quelques remarques qui touchent à l'organisation même de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, car l'objet de sa création a déjà été circonscrit et les modalités ont été largement décrites par les orateurs qui m'ont précédé.

Depuis quelque temps, tant nos collègues que des observateurs s'interrogent sur le statut même des autorités administratives indépendantes. Ils vont jusqu'à les remettre en question en se demandant à quoi elles servent et pour quelle raison des institutions de cette nature sont créées.

Je rappellerai une évidence : on a créé ces autorités administratives indépendantes parce que l'on ne pouvait pas faire autrement. En effet, qui pouvait proposer des sanctions et formuler des recommandations sans être le Parlement qui définit la norme, ni le Gouvernement qui serait juge et partie, ni une juridiction qui ne peut que prononcer la sanction et qui serait vite débordée pour des raisons d'emploi du temps, ni les associations acteurs du droit privé qui ne disposent pas des moyens nécessaires, si ce n'est une autorité administrative indépendante ? Dans un pays qui veut un tant soit peu respecter la séparation des pouvoirs, il est indispensable de recourir au concept de l'autorité administrative indépendante.

Si l'on fait ce choix - et tel est la décision du Gouvernement, que j'approuve -, il faut respecter un certain nombre de règles. Le texte en respecte beaucoup, et je m'en félicite. De plus, grâce aux amendements qui ont été déposés et que nous examinerons cet après-midi, le texte a encore beaucoup progressé en la matière.

J'aborderai maintenant les points sensibles d'une telle autorité.

Trois textes créent une telle instance. Le premier texte, c'est la loi, et elle nous concerne. Nous devons écrire dans la loi l'essentiel de ce que nous avons à dire sur cette autorité. Les deux autres textes sont le décret d'application, qui sera nécessaire, et le règlement intérieur de la Haute autorité.

L'expérience montre que l'indépendance, l'autonomie réelle de l'autorité se joue dans la loi et dans le règlement intérieur. En effet, c'est par le biais du règlement intérieur que la Haute autorité mettra en place son propre mode de fonctionnement, bien entendu dans le respect des textes.

Nous devons essayer de tout prévoir dans la loi et de faire en sorte que nous accordions le moins de place possible au décret d'application. J'adjure le Gouvernement de faire en sorte que le décret d'application laisse la plus grande place possible au règlement intérieur.

Ma deuxième observation concerne le mécanisme de contrôle, qui, à l'évidence, est le coeur du texte. Il faut que nous réussissions à mettre en place un mécanisme de contrôle efficace et respectueux des droits, sinon ce n'est même pas la peine de créer cette instance.

C'est pourquoi je suis très heureux de constater que la commission des lois a amélioré le dispositif prévu. Ne l'oublions pas, il s'agit de faire en sorte, d'une part, que la Haute autorité soit efficace dans le cadre de ses investigations et des contrôles qu'elle opérera sur place et, d'autre part, que les droits de la défense soient respectés. En effet, rien ne serait plus dangereux que de faire en sorte que les efforts consentis pour améliorer le fonctionnement de la preuve se transforment progressivement en un système de calomnies. Il est donc indispensable d'assurer cet équilibre.

Ma troisième observation porte sur les moyens. A cet égard, je suis assez dubitatif. J'ai lu ici ou là que la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité serait dotée de quatre-vingts personnes. D'où vient ce chiffre ? La CNIL, la Commission nationale de l'informatique et des libertés, comprend quatre-vingts personnes après vingt-six ans de fonctionnement, alors que la CNIL allemande, par exemple, en compte quatre cents. Comment peut-on savoir aujourd'hui qu'il faudrait prévoir quatre-vingts personnes au sein de cette autorité ?

S'agissant du budget, on entend des sommes fort différentes. En réalité, personne n'en sait rien. Il faut réfléchir à une méthode de montée en puissance. Progressivement, cette autorité pourra avoir des moyens supplémentaires pour assumer sa compétence. C'est d'autant plus vrai que nous ne savons pas encore combien de personnes seront nécessaires. Alors que certains avancent le chiffre de quatre-vingts membres, certaines associations prétendent que ce n'est pas suffisant. En réalité, je le répète, personne ne le sait.

Ces trois points sont très sensibles car ce sont eux qui conditionnent l'indépendance de cette instance.

En conclusion, je ferai deux remarques.

Monsieur le rapporteur, lorsque vous évoquez les problèmes de visibilité et d'égalité positive, je comprends parfaitement l'esprit qui vous anime, mais je vous mets en garde, c'est une question extraordinairement sensible et complexe, qui mériterait, à mon avis, un débat ici même, au Parlement. On ne peut imaginer un seul instant qu'en abordant le problème de la discrimination positive il s'agisse uniquement de régler un problème mécanique et technique. Ce serait une évolution majeure, qui nécessite une réflexion approfondie au plus haut niveau, c'est-à-dire au niveau du Parlement.

Enfin, s'agissant du statut des autorités administratives, comme l'a souligné le rapporteur, il faudrait engager une réflexion, car il existe une grande différence entre le Parlement, le Gouvernement, les juridictions et une telle autorité. Cette autorité n'a pas forcément pour destin d'être éternelle. Je me référerai à la célèbre expression de Martin Luther King : nous devons faire le rêve qu'un jour cette autorité ne soit plus utile.

En effet, la Haute autorité doit exister en tant que telle mais, par un simple parallélisme des formes, elle peut disparaître dans les mêmes conditions. Pour ce qui concerne les problèmes de discrimination, le jour où notre pays sera parvenu à l'âge adulte, la Haute autorité disparaîtra de manière tout à fait naturelle. C'est ce but qu'il nous faut viser. Nous devons donc doter cette instance de tous les moyens nécessaires à sa mise en place mais, simultanément, nous devons parfaitement encadrer le champ de ses compétences.

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